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Attentat à Lahore: les chrétiens persécutés au Pakistan

Les talibans pakistanais ont revendiqué lundi 28 mars 2016 l'attentat-suicide de la veille dans un parc de Lahore en plein dimanche de Pâques, affirmant avoir délibérément visé les chrétiens. L'attentat a fait plus de 70 morts. Ce n'est pas la première attaque anti-chérienne au Pakistan. Nous republions un article sur le sort de la minorité chrétienne au Pakistan.
Article rédigé par franceinfo
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Un enfant blessé dans l'attentat de Lahode au Pakistan est amené à l'hôpital. L'attentat du 27 mars, jour de Pâques, a fait plus de 70 morts. Il visait la communauté chrétienne. (ARIF ALI / AFP)

La minorité chrétienne du Pakistan, entre 2 et 5 millions de personnes (selon les sources) sur une population globale de 180 millions, musulmane à 95%, est fréquemment l’objet de violences. Le 15 mars 2015, des attaques suicides, menées par des talibans contre deux églises à Lahore (nord-est), ont ainsi fait 17 morts et des dizaines de blessés. En septembre 2013, une action similaire à Peshawar (nord-ouest) avait fait 82 morts et une centaine de blessés.
 
«Nos frères chrétiens versent leur sang seulement parce qu'ils sont chrétiens», a déclaré le pape à propos des attaques de Lahore. Celles-ci ont entraîné une manifestation de protestation qui avait rassemblé des milliers de personnes dans les rues de la ville. Par la suite, certains manifestants avaient lynché deux hommes soupçonnés d’être liés aux kamikazes, saccagé des voitures et des arrêts d'autobus. De telles violences «ne peuvent que refléter le stress aigu et la tension subie» par toutes ces personnes, commente le journal pakistanais Dawn.

Des membres de la communauté chrétienne manifestent le 16 mars 2015 à Lahore, deuxième ville la plus peuplée du Pakistan, après les attaques contre deux églises.

	  (REUTERS - Fayaz Aziz)

En avril, toujours à Lahore, un jeune chrétien avait été brûlé vif après avoir été pris à partie par des musulmans qui se rendaient à la mosquée. Et en novembre 2014, un couple, lui aussi de confession chrétienne, avait subi le même sort dans un four à briques, dans un village du sud de Lahore. Ils «étaient accusés d’avoir commis un blasphème en incinérant des pages du Coran», rapporte La Croix. On pourrait multiplier les exemples.


Législation anti-blasphème
Les persécutions se fondent souvent sur la loi anti-blasphème, adoptée en 1986 sous la dictature de Muhammad Zia-ul-Haq. Conséquence : aujourd’hui, le fait d’injurier le prophète Mohammed est passible de la peine de mort. Et la profanation du Coran entraîne la prison à vie.

Le texte est apparemment souvent dévoyé : «les gens se servent de cette loi pour régler leurs petits problèmes quotidiens», explique la journaliste Anne-Isabelle Tollet. En mars 2013, un village entier, peuplé de chrétiens, avait ainsi brûlé après des rumeurs de blasphème. Apparemment, il s’agissait surtout de voler les terres de ces malheureux… Et l’affaire Asia Bibi semble, elle aussi, liée à une sombre affaire familiale. Conclusion : la loi a été «détournée de son usage, créant ainsi d’immenses souffrances à de nombreuses personnes, parmi lesquelles, on le relève ironiquement, de nombreux musulmans», constatait en 2010 le journal pakistanais The News.

Des religieuses catholiques prient dans la cathédrale Saint-Patrick de Karachi (sud du Pakistan) le 15 mai 2015. (AFP - CITIZENSIDE/SYED RIZWAN ALI)

Au-delà des accusations de blasphème, la communauté chrétienne est très souvent méprisée par ses concitoyens musulmans, comme l’a montré le beau livre de l’écrivain pakistanais Mohammed Hanif, Notre-Dame d’Alice Bhatti«Malgré la très bonne réputation des écoles chrétiennes (par lesquelles passent de nombreux non chrétiens), la communauté est cantonnée au nettoyage des rues et au ramassage des ordures», observe le site de RFI.

Selon un avocat interviewé par la même source, il n’est pas rare que «les collègues de travail d’un chrétien utilisent un ustensile différent du sien pour boire de l’eau. Au Pakistan, ses coréligionnaires sont d’ailleurs surnommés ‘‘choori’’, un terme extrêmement insultant désignant celui dont le travail est de nettoyer les toilettes

Chrétiens pakistanais célébrant Pâques à l'église du Sacré-Cœur dans une église de Lahore le 5 avril 2015 (REUTERS - Mohsin Raza)


«Syndrome pakistanais»
Le gouvernement tente pourtant de réagir. Soumis à la pression des groupes islamistes, il ne parle apparemment plus d’amender la loi anti-blasphème, comme il l'envisageait en 2011. Mais il dit vouloir améliorer la protection des minorités religieuses du pays. Trois mois après les attaques de Lahore, il a promis d’élaborer un «plan de sécurité» au profit des chrétiens, des hindous… Dans le même temps, la police a arrêté deux imams qui seraient liés au lynchage avorté d’un couple de chrétiens. Ceux-ci étaient accusés d’avoir dormi sur une bâche. En fait une vieille bannière sertie de logos d'universités et d'inscriptions arabes, prises pour un verset du Coran par des habitants musulmans…


En théorie, il existe bien un ministère des Minorités religieuses. En 2011, le titulaire du poste était d’ailleurs un chrétien, Shahbaz Bhatti. Mais ce dernier, qui avait défendu l’amendement de la législation anti-blasphème et multipliait les déclarations sur les violences et intimidations notamment vis-à-vis des chrétiens, a été assassiné en mars de la même année par des talibans pakistanais. Lesquels avaient alors jugé ces propos… blasphématoires. Ce meurtre est intervenu deux mois après celui du gouverneur du Pendjab qui avait publiquement pris la défense d’Asia Bibi.

Le fait que des sièges sont réservés aux minorités au Parlement ne change visiblement pas grand-chose aux persécutions dont elles sont victimes. «Comme les partis qui remportent ces sièges les distribuent à qui leur plaît, les députés issus de minorités qui acceptent ces sièges deviennent les esclaves des partis. Conséquence : même élus, ils ne défendent pas les leurs», constate RFI. Et les persécutions se poursuivent. Cette affaire est un exemple, parmi d’autres, de ce que le grand spécialiste français du Pakistan, Christophe Jaffrelot, appelle «Le syndrome pakistanais» dans l'un de ses dernier livres. Un pays paradoxal qui balance entre aspirations démocratiques et bouffées islamistes.

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