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Pourquoi Google veut-il désormais tous nous soigner ?

Article rédigé par Vincent Daniel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Google souhaite utiliser la technologie des nanoparticules pour détecter précocement des maladies comme le cancer.  (DADO RUVIC / REUTERS)

L' entreprise veut révolutionner la médecine grâce aux nanotechnologies et inventer une nouvelle méthode de diagnostic précoce. Pour le fondateur de Doctissimo et auteur de "La Défaite du cancer", le but ultime de Google est de repousser les limites de la vie.

C'est un pari fou de Google : inventer une nouvelle médecine et repousser les limites de la vie. Le géant du web a annoncé, mardi 28 octobre, la mise au point de nanoparticules dont le but est de détecter les maladies plus précocement que les méthodes existantes. Pour cela, l'entreprise américaine veut faire circuler dans le sang ces particules nanoscopiques "radar" (environ 2 000 fois plus petites qu'une cellule sanguine).

Bien avant que survienne cancer, accident vasculaire cérébral ou crise cardiaque, les nanoparticules circulant dans les vaisseaux sanguins pourraient permettre de mesurer les changements biochimiques du corps humain annonciateurs d'une maladie. Pour introduire ces particules, il suffirait d'avaler un petit comprimé. Une fois les cellules malades repérées, les nanoparticules enverraient un signal à un objet connecté externe, permettant ainsi de mettre en place un traitement avant même que la maladie se développe. 

Google annonce donc une révolution qui transformerait "radicalement le diagnostic médical", et qui pourrait signifier la fin des maladies telles que nous les connaissons aujourd'hui. Est-ce possible ? Et si oui, quand le projet de Google sera-t-il réalisable ? Est-il sans danger ? Francetv info a interrogé Laurent Alexandre, auteur de La Défaite du cancer (JCLattès,  2014), chirurgien urologue, fondateur du site Doctissimo et président de DNAVision, société de séquençage de l'ADN. Pour lui, Google cherche "à développer une intelligence artificielle supérieure à l'homme et à 'euthanasier la mort'".

Francetv info : L'annonce de Google est-elle une surprise ?

Laurent Alexandre : Non, c'est la poursuite de l'entrée de Google en particulier, et des Gafa - Google, Apple, Facebook, Amazon - dans le monde de la santé. Il s'agit d'une nouvelle étape dans le développement de ce que l'on appelle les NBIC, les nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives, dans la lutte contre le vieillissement et la maladie. Cela confirme que Google devient l'entreprise la plus innovante au monde dans le domaine des nanobiotechnologies.

En quoi cette annonce est-elle révolutionnaire ?

Traditionnellement, on utilise un diagnostic biologique ou radiologique pour dépister les maladies. Avec les nanoparticules, on pourra repérer plusieurs années à l'avance l'arrivée d'un certain nombre de maladies et les traiter en conséquence. On passe donc d'un diagnostic réactif à un diagnostic préventif. C'est l'avènement d'une médecine personnalisée, préventive et prédictive.

A moyen terme, les maladies seront traitées avant d'apparaître. Pour certaines maladies génétiques, l'étude des gènes permettra de détecter des prédispositions. Ce qui n'est pas d'origine génétique pourra être repéré grâce à cette technique de nanodiagnostic. 

Quand ce projet sera-t-il réalisable ? 

D'ici très peu de temps, entre cinq et dix ans. 

Vous prédisez une défaite du cancer d’ici à 2030... 

En 2030, le cancer devrait devenir une maladie chronique : si le cancer n'aura pas disparu, il ne tuera plus. Des diagnostics ultraprécoces seront possibles grâce à la technique de Google, mais aussi avec l'analyse de l'ADN dans le sang. Le cancer sera donc repérable des années avant qu'il soit visible au scanner ou à l'IRM. Par ailleurs, on pourra personnaliser les traitements en fonction des caractéristiques génétiques des tumeurs. 

Enfin, de nouvelles thérapies permettent de manipuler génétiquement les globules blancs, en les renforçant pour améliorer leur action contre les cellules tumorales. Ces trois grandes innovations technologiques vont se déployer dans les 15 prochaines années, et vont complètement changer le paysage de la cancérologie.

Pourquoi Google investit-il le champ de la santé ? 

L'objectif avoué de Google, tel qu'il a été annoncé lors du lancement en 2013 de Calico [une filiale à 100% de Google, spécialisée dans les biotechnologies], est d'augmenter l'espérance de vie humaine de 20 ans d'ici 2035 et de lutter contre le vieillissement. Cela suppose une accélération très rapide de l'espérance de vie.

La raison est très simple : la Silicon Valley est mue par le transhumanisme. Cette idéologie a deux facettes : développer une intelligence artificielle supérieure à l'homme et "euthanasier la mort". Depuis des années, la Silicon Valley veut rendre l'homme immortel, et Google est à la pointe de ce combat. Dans l'ensemble des avancées significatives dans le domaine biomédical, on retrouve Google. 

Avec ses nanoparticules, Google aurait aussi accès à nos données personnelles de santé... 

Personnellement, je confierais sans problème mes données à Google pour vivre plus longtemps et être en meilleure santé. Si des gens veulent garder leurs informations personnelles et mourir à 80 ans au lieu de les livrer à Google et mourir à 130 ans, ils en auront le droit. Moi, je ferai le choix contraire. Je me moque de donner ces données à Google si ce dernier est plus efficace que le système de santé traditionnel.

Mais la toute-puissance du géant américain ne vous inquiète-t-elle pas ?

Si, bien sûr... Mais il s'agit là d'un autre sujet. Il faut qu'il y ait un débat politique sur l'encadrement des majors de la Silicon Valley. Leur immense pouvoir doit être encadré, un pouvoir qui explose notamment grâce à leur maîtrise de plus en plus importante de l'intelligence artificielle. Les Gafa sont plus puissants que les Etats. Aujourd'hui, Larry Page, cofondateur de Google, pèse plus que François Hollande, et, ce n'est pas près de changer. 

Avec ces nouvelles techniques, les médecins vont-ils devoir laisser leur place aux machines ?

Dans le monde médical, la transition est déjà en marche. L'analyse du génome d'une tumeur, c'est 20 000 milliards d'informations. Aucun médecin n'est capable de traiter cette somme de données. Seuls les systèmes informatiques peuvent le faire. Le transfert du pouvoir des médecins vers les algorithmes devient donc inévitable. Mais c'est un choc pour le corps médical qui n'est pas préparé, car il n'a pas anticipé cette évolution.

Ce n'est pas un danger, c'est un état de fait. Le remplacement du corps médical par le pouvoir des algorithmes est aussi inévitable que la disparition des disquaires au profit des plateformes de téléchargement. Aucun cerveau humain ne peut traiter des milliers de milliards d'informations dans une consultation de quelques minutes. Même Dr House ne le pourrait pas ! Les médecins seront les infirmières de 2030. Ils prodigueront les soins mais ne seront pas à l'origine du diagnostic. 

Doit-on s'inquiéter du coût de cette "nouvelle santé" ? Sera-t-elle accessible à tous ?

Si l'on regarde l'évolution des coûts des technologies NBIC, on peut remarquer une baisse constante des prix des composants dans l'électronique. Pour le séquençage ADN, le coût est passé de trois milliards de dollars pour le premier dans les années 70 à 1 000 dollars aujourd'hui. Nous sommes dans une phase de démocratisation très rapide de ces technologies. A mes yeux, leur accès en terme financier ne sera pas un problème. Mais des questions éthiques et politiques vont rapidement se poser : que fait-on de ces technologies ? Jusqu'où modifie-t-on l'espèce humaine pour vivre plus longtemps ? Comment encadre-t-on d'un point de vue éthique ces technologies ?

Pourquoi ces innovations viennent-elles de Google, et non des géants de la santé ?

C'est simple : les géants de la santé ne sont pas transhumanistes, ils ne veulent pas tuer la mort. Seule une idéologie transhumaniste peut entraîner une rupture fondamentale dans le monde de la santé. Google est et sera de plus en plus en avance sur ces technologies-là, alors que la pharmacie soigne les maladies. Elle n'a jamais voulu faire reculer la mort. Son objectif n'est pas la médecine préventive. Google, lui, est idéologiquement parfaitement adapté pour développer cette médecine de demain.

En revanche, la pharmacie sera sous-traitante de cette nouvelle médecine. C'est déjà le cas aujourd'hui. Par exemple, Google a inventé la lentille intelligente pour les diabétiques, mais a confié son développement au groupe pharmaceutique Novartis (lire l'article du figaro.fr à ce sujet). Et voilà pourquoi sa stratégie est révolutionnaire : en laissant les autres industrialiser ses idées, Google peut mener beaucoup d'autres projets en parallèle (énergie, robotique, télécommunications...).

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