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Le passé d'une sinistre secte dirigée par un ancien nazi ressurgit au cinéma

Le film "Colonia" évoque l'existence de cette colonie allemande commandée par un pédophile et ancien SS qui a participé aux tortures du régime de Pinochet, au Chili.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Deux personnes marchent à la Villa Baviera, qui a remplacé la Colonia Dignidad, au Chili, le 11 mars 2005. (JUAN ROMO / AFP)

Une histoire sidérante, à peine croyable. Le film Colonia, en salle mercredi 20 juillet, déterre le passé d'une secte dirigée par un ancien nazi pédophile, dans le Chili de Pinochet. En Allemagne, le film remue une histoire douloureuse.

Un gourou nazi et pédophile

Paul Schäefer, fondateur de la Colonia Dignidad (colonie de la dignité), a le CV du monstre. Né en 1921, dans l'ouest de l'Allemagne, il est brancardier SS pendant la Seconde Guerre mondiale. Devenu pasteur, il fuit son pays où il est accusé de pédophilie et s'installe au Chili en 1960. L'année suivante, il fonde, avec d'autres exilés allemands sa colonie, véritable enclave de 15 000 hectares où vivent environ 300 personnes, à 350 kilomètres au sud de Santiago.

Schäefer règne sur cette communauté en gourou. Il se fait appeller "l'oncle permanent" (Tio Permanente). Battus, drogués, les enfants sont violés par Paul Schäefer qui reçoit "chaque soir dans son lit un jeune garçon", écrit Le Figaro. Selon la justice chilienne, rappelle Le Monde, Paul Schäefer utilisait "la religion comme moyen de soumission", "le viol étant un instrument pour garantir la loyauté entre dominants et dominés au sein de la colonie".

Une photo de Paul Schaefer diffusée par la police chilienne. (HO / AFP)

Schäefer hait les Juifs et les communistes. Au Chili, il "noue des liens étroits avec la très influente communauté allemande, nazis en fuite ou riches propriétaires terriens, nostalgiques de l'empire du Kaiser", écrit L'Obs. Pendant la dictature, il s'acoquine avec le régime d'Augusto Pinochet qui passe des week-ends dans le cadre bucolique de la colonie. La femme du dictateur décrit l'endroit comme "un paradis d'ordre et de propreté".

"L'ancien sous-officier du IIIe Reich est régulièrement impliqué dans des scandales de sévices sexuels sur des mineurs, de fraude fiscale, détention d'armes, manipulations génétiques et esclavagisme", explique Le Monde. Mais il bénéficie de protections politiques. La police chilienne ne se lance à sa poursuite qu'en 1997. Trop tard, il est en Argentine. Il est arrêté en 2005 et meurt en prison en 2010, à 89 ans.

Miradors et détecteurs de mouvements

La vie à la Colonia Dignidad est difficile. C'était "un mini-camp totalitaire", résume au Figaro Winfried Hempel. Avocat né dans la colonie, il défend les victimes. "Paul Schäefer avait un contrôle parfait sur les individus, comme la Stasi en aurait rêvé : nous n'avions pas un mètre carré à nous, pas le moindre espace privé. Quand un système totalitaire est si petit, il en devient plus pervers."

Sur fond d'eugénisme, hommes, femmes et enfants, sont strictement séparés. L'amour interdit. Les colons n'ont pas de lien avec l'extérieur. Pas même une radio, ou un calendrier. On y cultive la terre et la nostalgie de la Bavière, dans un paysage de montagnes andines. "C'était une vie de labeur, un an y paraissant un siècle. Tout était 'péché', on se sentait terriblement seuls et toujours coupables", témoigne à L'Obs l'un de ses anciens occupants, violé et torturé par le Dr Schäefer.

La colonie est un camp retranché, ceinturé de barbelés électrifiés, de caméras de surveillance, de miradors et de détecteurs de mouvements. Ceux qui tentent de fuir sont torturés, mais pour les anciens nazis en fuite, c'est un hâvre. Y seraient passés "le médecin de la mort Josef Mengele, célèbre pour ses expérimentations dans le camp d’Auschwitz ou le conseiller d’Hitler, Martin Bormann", écrit Rue 89.

"Des relations sexuelles avec des chiens"

L'horreur va plus loin. La petite expérience du Dr Schäefer profite au régime de Pinochet. La colonie est mise à la disposition de la police secrète de Pinochet, la Dina. Loin des regards, on torture les opposants du régime. "Je n'aime pas parler des tortures. L'horreur ne se transmet pas, souffle une survivante à L'Obs. Disons que le supplice le plus bénin impliquait l'électricité, et le pire, des relations sexuelles avec des chiens."

Paul Schäefer dirige lui-même des séances de torture, affirme l'une de ses anciennes victimes à Rue89. "Son extrême cruauté et le plaisir qu’il prenait étaient hallucinants. Même les hommes de la Dina étaient choqués", témoigne-t-il.

Hartmut Hopp, médecin et bras droit de Schäefer a également ses entrées à la Dina. L'homme a fuit le Chili, où il a été condamné à cinq ans de prison pour complicité dans 16 agressions sexuelles sur mineurs en 2011. Il pourrait purger sa peine en Allemagne, a annoncé le parquet de Krefeld, en juin.

En 2014, des restes humains sont retrouvés lors d'excavations. L'année suivante, l'ONG Londres 38 révèle l'existence d'un rapport de 1 200 pages qui confirme les "liens étroits" entre le régime d'Augusto Pinochet et l'enclave allemande où des opposants ont disparu. Ce document répertorie 46 000 archives découvertes entre 2000 et 2005, enterrées dans la propriété.

Couvert en Allemagne de l'Ouest

En Allemagne, la sortie du film ravive des plaies. En plein conflit est-ouest, le régime Pinochet était perçu comme un rempart à l'expansion du communisme. D'après L'Obs, la RFA (Allemagne de l'Ouest) était "en coulisse, l'un des grands fournisseurs d'armes du régime". Et d'ajouter qu'"alors que les accusations de torture vont bon train, les visites officielles de députés CSU (parti conservateur de Bavière) se succèdent".

Le Figaro ajoute que "Paul Schäefer disposait notamment de relais : en 1978, Gerhard Mertins, trafiquant d'armes, ancien membre des Waffen SS devenu agent du BND (les services de renseignements allemands), y avait fondé le cercle d'amitié de la Colonia Dignidad". En 1977, la RFA a ignoré un rapport d'Amnesty international. Et l'ambassade allemande aurait protégé Schäefer. Des fugitifs ont même été renvoyés dans le camp.

Le 12 juillet 2016, le président allemand Joachim Gauck, en déplacement au Chili, a déploré les atrocités commises dans la Colonia Dignidad. "Ce que l'Allemagne déplore, c'est que les diplomates allemands aient détourné le regard ou se soient alliés aux bourreaux. Il m'aurait beaucoup plu qu'un ministre des Affaires étrangères allemand tienne des propos clairs à cette époque", a-t-il déclaré au côté de son homologue chilienne Michelle Bachelet. Quelque 120 anciens habitants de la colonie ont déposé une plainte collective pour obtenir un million de dollars chacun auprès de l'Etat chilien. La plainte doit aussi viser l'Etat allemand, auquel il est reproché de ne pas avoir porté secours à ses ressortissants.

Spécialités allemandes bio et musique bavaroise

Aujourd'hui, bourreaux et victimes se côtoient et se confondent dans la colonie rebaptisée Villa Baviera. 69 familles, comptant une vingtaine d'enfants vivent encore là, parlant à peine espagnol.

Une borne à l'entrée de la Villa Baviera, au Chili. (AFP)

Pas de mausolée, mais un hôtel et un restaurant. Depuis 2007, on y développe le tourisme. Les touristes peuvent se régaler de spécialités allemandes bio en écoutant de la musique bavaroise, se prélasser dans un jacuzzi après une balade en vélo.

A Rue89, la responsable du développement touristique des lieux admet "un passé un peu compliqué. Mais c’est aussi cette histoire, dans un pays comme le Chili qui n’en a pas vraiment, qui attire une partie des touristes. Les autres viennent pour profiter de ce cadre paradisiaque. C’est un peu tout ça qui explique notre succès".

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