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Comment Thomas Fabius a pu laisser pour 3,5 millions de dollars de chèques en bois dans des casinos

Le fils du ministre des Affaires étrangères, joueur invétéré, est sous le coup d'un mandat d'arrêt aux Etats-Unis après avoir joué plus qu'il ne devait.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Thomas Fabius, le 27 novembre 2013, au Parc des Princes, à Paris. (MARTIN BUREAU / AFP)

La scène se déroule au paradis américain des joueurs, à Las Vegas (Nevada), à la mi-mai 2012. Lors d'une nuit de folie, Thomas Fabius flambe l'argent qu'il n'a pas. Accro au jeu, le fils de Laurent Fabius achète des jetons et des plaques de casino à tour de bras, à coup de chèques sans provision, comme l'a révélé Le Point, fin octobre.

Dans un premier casino, The Palazzo, le trentenaire dégaine son chéquier de la banque italienne Banca Monte dei Paschi di Siena. Il signe trois chèques. Le premier de 200 000 dollars, le deuxième de 409 000 dollars, le troisième d'un million de dollars. Il se rend ensuite au Aria Resort & Casino. Cette fois, il sort un carnet de chèques de la Société générale. Il en libelle deux de 300 000 dollars, deux autres de 100 000 dollars et un dernier de 200 000 dollars. Le passionné de roulette finit au Cosmopolitan of Las Vegas. Là, il laisse un chèque de 900 000 dollars. 

La virée nocturne se solde par une ardoise de 3,5 millions de dollars (environ 3,2 millions d'euros). Onze mois plus tard, en avril 2013, une plainte est déposée devant la justice américaine. Le joueur invétéré âgé de 33 ans est désormais sous le coup d'un mandat d'arrêt qui pourrait lui valoir une arrestation à son prochain voyage sur le sol américain. Mais comment Thomas Fabius a-t-il pu jouer si gros, uniquement grâce à des chèques en bois ? Pour répondre à cette question, francetv info a interrogé Matthieu Escande, avocat parisien spécialiste du droit des jeux de hasard.

Des garanties financières sûrement exigées

L'expert s'étonne tout d'abord de la "légèreté" des casinos de Las Vegas dans cette affaire. "En France, les casinos n'acceptent pas les chèques, alors que les Français sont connus pour être les derniers grands utilisateurs de ce moyen de paiement. Les casinos américains et canadiens, eux, n'en sont vraiment pas très friands." 

"Cela paraît fou que trois casinos fassent la même erreur", estime l'avocat. "Que le même scénario se soit répété trois fois laisse supposer que le joueur a présenté des garanties." Mais impossible de savoir lesquelles. "Les casinos les tiennent secrètes." Peut-être Thomas Fabius a-t-il produit des documents bancaires attestant de sa solvabilité à hauteur d'une ligne de crédit donnée. Il a aussi pu présenter un titre de propriété sur un bien immobilier hypothécable, imagine le spécialiste. 

Il ne s'agissait pas à proprement parler de chèques bancaires mais de reconnaissances de dettes, rédigés sur papier libre, sur lesquels figurait un numéro de compte en banque, et qui valaient bons à payer, précise à francetv info l'entourage de Thomas Fabius. Reste qu'à Las Vegas, cette nuit-là, la petite dizaine de papiers à 5 ou 6 zéros signés étaient, bel et bien, sans provision, comme le détaille la plainte.

Un probable traitement de faveur pour un joueur VIP

Matthieu Escande avance une deuxième explication possible : le statut de "gros joueur connu" de Thomas Fabius. Interdit de jeu en France, l'homme ne peut plus s'adonner à sa passion qu'à l'étranger. Mais "de Montreux à Londres en passant par Monaco, il a droit au traitement VIP réservé aux clients d'exception : billet d'avion et chambre dans un palace, tous frais compris", écrit L'Express en 2013.

Aux tables de jeu aussi, "les gros joueurs référencés jouissent d'un traitement de faveur", explique l'avocat. Autrement dit, "les casinos les laissent jouer à crédit". Car les établissements y trouvent un intérêt. Les "gros joueurs" sont une promesse de parties spectaculaires. Du pain béni en terme d'image de marque. Pour le spécialiste des jeux de hasard, le fils du ministre des Affaires étrangères a sans doute bénéficié de cette bienveillance.

Une possible tolérance calculée des casinos

Les casinos de Las Vegas se sont peut-être, eux aussi, montrés joueurs. Ils ont très bien pu faire le pari d'augmenter le plafond de crédit de Thomas Fabius pour qu'il continue à jouer, sans s'être assuré de sa solvabilité, courant ainsi le risque qu'il gagne avec de l'argent qu'il n'avait pas.

Un coup de poker calculé, explique Matthieu Escande. Car si les sommes sont impressionnantes, ces montants ne sont rien par rapport aux gains engrangés par les casinos en une nuit, même les plus petits, juge l'avocat. "Les casinos comme le Bellagio peuvent sans difficulté décider de s'asseoir sur une dette de jeu de plusieurs centaines de milliers de dollars. Et prendre cette décision en à peine une demi-heure." 

"Au final, les casinos n'ont rien perdu. Il s'agit juste d'un manque à gagner pour eux", relativise le spécialiste. "Ils n'ont même pas avancé d'argent. Ils ont ouvert une ligne de crédit à un joueur. Il s'agit simplement de quelqu'un qui a joué gratuitement et n'a rien gagné", conclut-il.

"A Las Vegas, de telles affaires sont très fréquentes", affirme l'expert juridique. "D'ordinaire, les casinos ont avant tout le souci de ne pas les rendre publiques pour ne pas tenter d'autres joueurs de suivre ces exemples. Il en va de leur pérennité financière." Cette fois, "la capitale du vice" n'a toutefois pas été clémente avec son flambeur impécunieux, poursuivi par la justice américaine.

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