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Tunisie: l'armée face au phénomène djihadiste

L’armée tunisienne n'a pas toujours été correctement équipée et dimensionnée pour faire face au terrorisme, notamment aux actions comme celle du 7 mars 2016 à Ben Guerdane. Depuis l’indépendance, les dirigeants politiques se sont toujours méfiés de l'institution militaire. Et ont freiné son développement.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Militaires tunisiens à 50 km de Ben Guardane (sud), près de la frontière libyenne, le 10 mars 2016  (REUTERS - Zoubeir Souissi)
(Article complété le 31 mars 2016)

Au moment de la révolution du 14 janvier 2011, l’armée a acquis une grande popularité, notamment en raison du rôle de son chef d’état-major, le général Rachid Ammar. Lors des évènements, ce dernier aurait dit non au dictateur Zine el-Abidine Ben Ali et refusé de tirer sur la foule, donnant ainsi «un coup de pouce décisif à la révolte populaire qui a balayé» l’ancien régime, rapportait Jeune Afrique le 7 février 2011. Par la suite, le journal affirmera qu’il s’agissait en fait d’une «légende» «fabriquée de toutes pièces par un obscur blogueur». Aujourd’hui encore, l’affaire reste apparemment une énigme.

Quoi qu’il en soit, après la chute de la dictature, les militaires ont dû assumer des missions auxquelles ils n’étaient pas préparés : «maintenir l’ordre public en ville (…), gérer l’afflux désordonné de millions de réfugiés fuyant la désintégration de la Libye, prévenir l’extension du conflit aux frontières, garantir la sécurité des élections… et la tenue des épreuves du baccalauréat», observe Jeune Afrique.

Pour autant, la période de transition, les changements de gouvernements et de responsables ne leur ont pas facilité la tâche. Les nouvelles autorités ont renouvelé «la grande majorité des gradés, chaque camp au pouvoir cherchant à installer ses hommes», constate le journal (français) L’Opinion. Ce qui n’a pu que contribuer à déstabiliser l’institution militaire.

«Ennemi invisible et imprévisible»
Par la suite, formée pour un «combat de type conventionnel», cette dernière a dû affronter le terrorisme, «ennemi invisible et imprévisible», auquel elle n’était pas préparée.

Militaires tunisiens en patrouille à Ben Guerdane (sud) le 13 mars 2016 (AFP - Fathi Nasri)

L’armée tunisienne compte aujourd’hui quelque 35.500 hommes : 27.000 dans l’armée de terre, 4000 dans l’aviation, 4500 dans la marine. Mais elle est longtemps restée sous-équipée pour faire face aux nouvelles menaces, dotée qu'elle était de matériels anciens et inadaptés, fournis pour la plupart par les Etats-Unis et la France.

Ainsi, «faute de blindés protégés contre les mines et les EEI (engins explosifs improvisés, NDLR), les militaires tunisiens ne disposent que de lourds chars M60, peu maniables», rapportait un expert, Laurent Touchard, en août 2013. De plus, «les moyens héliportés, indispensables aux actions commandos, font cruellement défaut. L’armée ne possède toujours pas d’hélicoptères de combat modernes, équipés de systèmes de vision nocturne, de caméras thermiques», expliquait Jeune Afrique l'année suivante. Elle n'était alors pas non plus équipée de drones. 

Pour autant, précisait Laurent Touchard en 2014, «adoptées au dernier trimestre de l'année 2013, les premières mesures pour pallier les carences des armées de terre et de l'air ont été mises en œuvre par le nouveau gouvernement (...) de Mehdi Jomâa, formé en janvier 2014». Celui-ci a notamment fait acquérir des drones, entrepris la modernisation de 12 chasseurs-bombardiers F-5E et F-5F Tiger de l'armée de l'air et acheté des avions de transport Hercules. Pour équiper son armée de terre, les autorités tunisiennes ont par ailleurs acquis une cinquantaine de véhicules de transport Kirpi (une cinquantaine d'autres ont été commandés).
 
«Aujourd’hui, (les militaires) ont commencé à s’adapter en terme de stratégie et de matériels. Ils comprennent qu’ils sont confrontés à une guerre asymétrique, appelée à durer», a confirmé à Géopolis la députée tunisienne Leila Chettaoui, députée du parti gouvernemental Nidaa Tounès et membre de la commission de la défense et de sécurité de l’Assemblée tunisienne.
 
Méfiance, méfiance…
Pour autant, l’inadaptation de l’appareil militaire aux nouvelles menaces ne date pas d’hier. Depuis l’indépendance en 1956, le pouvoir politique s’est toujours méfié de lui. Le premier président de la Tunisie dégagée de la tutelle coloniale, Habib Bourguiba, se méfiait des casernes, «particulièrement après la tentative de coup d’Etat de huit officiers en 1962», raconte L’Opinion.

La méfiance était tout aussi vive du temps de son successeur, Ben Ali. Lequel s’appuyait surtout sur la police, chargée de la répression contre les opposants et l’«ennemi intérieur». Une méfiance qui se lit aujourd’hui dans les chiffres. Selon le site webdo.tn, en 2013, le budget du ministère de la Défense atteignait 1,3 milliard de dinars (578 millions d’euros au 11-3-2016). Soit «à peu près la moitié du budget du ministère de l’Intérieur»
 
Pour autant, même plus gâtée que les militaires, la police n’a pas forcément, dans le passé, utilisé cet argent à bon escient. «Sous l’ancien régime, contrairement à une idée reçue, l’appareil de sécurité intérieure était peu efficace», explique un analyse de l’ONG International Crisis Group, Michaël Béchir Ayari.

Soldats tunisiens lors d'un exercice à Sabkeht Alyun, à la frontière libyenne, le 6 février 2016 (REUTERS - Zoubeir Souissi)

«L’autoritarisme entretenait l’illusion d’une toute-puissance de la police. (Mais) celle-ci était très faible, la sécurité était plus ou moins maintenue parce qu’il y avait tout un système de propagande, un parti hégémonique qui jouait le rôle d’agence de renseignements et surtout parce que la peur du policier était savamment entretenue. Or une fois la barrière de cette peur levée au cours des années 2000, (…) la police est devenue incapable de maintenir l’ordre. Sa faiblesse apparaît aujourd’hui au grand jour», poursuit Michaël Béchir Ayari. On comprend dès lors mieux le désarroi des actuelles autorités tunisiennes face au phénomène djiahdiste.

Nous avons sollicité à plusieurs reprises le ministère tunisien de la Défense pour obtenir son point de vue et confirmation de certains chiffres. Il n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.

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