Ramadan en Tunisie: manifestation de soutien à des non-jeûneurs condamnés
A l'appel du mouvement Mouch Bessif («Pas contre notre volonté», en arabe), les manifestants se sont rassemblés au centre de Tunis, criant notamment «La liberté individuelle est garantie par la Constitution». «En quoi ça te dérange si tu jeûnes et si je mange?», «Arrêtez les terroristes et laissez tranquilles les non-jeûneurs», «Non aux arrestations des non-jeûneurs», pouvait-on lire sur des affiches brandies par les protestataires.
Comme l'explique La Croix, la seule règle qui prévaut aujourd'hui pour ceux qui veulent échapper au jeûne, «pourrait être ''Mangeons heureux, mangeons cachés». Le 1er juin 2017, quatre jeunes l'ont appris à leur dépens: ils ont été condamnés à un mois de prison pour «outrage public à la pudeur». Motif: ils s'étaient restaurés dans un jardin public en plein ramadan, le mois sacré des musulmans. Le lendemain, à Sfax (centre-est), un couple d'artistes de théâtre a été arrêté «en possession d'une bouteille d'alcool dans leur voiture», rapporte le site kapitalis.com. Une bouteille vide «utilisée comme accessoire» dans leur spectacle, a indiqué le couple...
Aucune loi n'interdit de manger ou de boire en public pendant le ramadan en Tunisie mais le débat sur cette question revient chaque année. La Constitution tunisienne garantit «la liberté de croyance et de conscience». Mais l'Etat y est également décrit comme «gardien de la religion».
Les quatre jeunes concernés «ont choisi un jardin public pour manger et fumer, un acte provocateur durant le mois de ramadan (...). De ce fait, le tribunal (…) les a condamnés à un mois de prison», a déclaré le porte-parole du parquet. «Ils sont en état de liberté et s'ils n'interjettent pas appel dans un délai de dix jours, leur peine sera appliquée», a-t-il ajouté.
De son côté, le procureur général du tribunal de première instance de Bizerte, Mongi Boularès, a affirmé que les quatre hommes avaient provoqué la colère d'habitants de la ville en mangeant et en fumant dans ce jardin. Ce qui, selon lui, a nécessité l'intervention des forces de l'ordre. «Leur acte est provocateur et porte atteinte à la morale», a-t-il estimé. «S'ils ont choisi de ne pas jeûner, ils n'avaient qu'à manger dans un autre endroit à l'abri des regards et ne pas tenter de semer la haine entre les gens», a renchéri le procureur.
Discrétion
En Tunisie, la plupart des cafés et restaurants ferment la journée pendant le ramadan, sauf, en général, les bars et les restaurants des hôtels internationaux fréquentés par les consommateurs les plus aisés et les étrangers. Ceux qui restent ouverts le font discrètement. Certains établissements tapissent leurs vitres de journaux pour éviter que leurs clients ne soient vus de l'extérieur.
En 2015, le ministère tunisien de l’Intérieur expliquait qu’effectivement, aucune loi n’interdisait de manger ou de boire en public pendant le ramadan. Mais que seuls les cafés situés dans les zones touristiques et dans les centres commerciaux sont autorisés à rester ouverts.
Provocation
Un prédicateur très médiatique, Adel Admi, un «ancien marchand de légumes», selon le site kapitalis.com, a suscité une polémique en se rendant dans des cafés ouverts pendant la journée pour filmer les clients. Se présentant comme le «défenseur de l’islam et de ses principes», il entend ainsi jeter l'opprobre sur les «fattaras», les non-jeûneurs. A ses yeux, ouvrir un café pendant les heures de jeûne est une infraction et juridique et «religieuse». Il évoque aussi une campagne contre la «corruption». «On combattra toute situation de corruption. Si chaque Tunisien faisait de même, la Tunisie changerait à 180°», a-t-il affirmé.
«Accompagné d’un huissier de justice, il investit ces commerces avec une caméra et menace de porter plainte contre les non-jeûneurs et les propriétaires des cafés qui servent les clients musulmans durant ramadan», raconte kapitalis.com. Il demande les raisons de l’ouverture des commerces, s’il y a des clients étrangers et si des boissons alcoolisées sont servies.
Il arrive aussi que le prédicateur soit éconduit comme cela s’est produit dans un café à L’Ariana, près de Tunis. L’accès de l'établissement lui a été interdit. Adel Admi a démenti les informations selon lesquelles il avait été «tabassé» dans un café à la Soukra.
«Garantir la liberté de conscience»
Qu'll y ait eu tabassage ou non, cette réaction montre que les agissements d'Adel Admi suscitent des résistances. Un collectif d'ONG avait ainsi demandé aux autorités de «respecter leur devoir constitutionnel de garantir la liberté de conscience». Et un appel à manifester le 11 juin avait été lancé sur les réseaux sociaux pour défendre les non-jeûneurs et réclamer le respect des libertés individuelles.
«Par solidarité avec les quatre jeunes de Bizerte, nous allons organiser un pique-nique de soutien à ces jeunes (…), parce que ce verdict est une atteinte aux droits de l'Homme, aux libertés individuelles, le verdict est aussi inconstitutionnel», expliquait, avant la manifestation, le collectif dans un appel lancé sur Facebook avec un hashtag en arabe «Pas par la force». Sous-entendu : «Nous ne jeûnerons pas par la force».
Dans le même temps, une pétition a été mise en ligne pour dénoncer les atteintes aux libertés individuelles. Le 11 juin, elle avait été signée par plus de 2600 personnes.
De son côté, l’Association tunisienne de soutien des minorités a dit vouloir saisir la justice contre l’ancien commerçant pour harcèlement et non-respect de l’article 6 de la Constitution. Elle dénonce les autorités qui, selon elle, laissent le chasseur de «fattaras» jouer librement à la «police religieuse».
Le «zèle politique et judiciaire se déploie en l'absence d'une parole politique et religieuse claire», constate La Croix. Qui ajoute: «Pour les autorités, réticentes à heurter la sensibilité majoritaire, la règle ''Gouverner, c’est se taire'', semble prévaloir.» En fait, les pouvoirs publics, pris en tenaille entre d'un côté des milieux religieux conservateurs et islamistes, de l'autre des militants séculaires issus de la puissante société civile, semblent un peu dépassés, comme le prouvent leurs réactions contradictoires. En 2015, quatre policiers avaient été limogés pour «abus de pouvoir» après être intervenus dans des cafés ouverts avant la rupture du jeûne.
(Article publié le 2 juin 2017 dans le blog Tunisie, la démocratie en marche. Il s'agit ici d'une version réactualisée de cet article)
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