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La Tunisie confrontée à une augmentation des attaques djihadistes

Depuis plusieurs semaines, on constate en Tunisie une recrudescence des attaques djihadistes. En juillet, une vingtaine de militaires ont ainsi été tués. Malgré les mesures prises, rien ne semble parvenir à juguler cette vague de violences. Enquête.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'enterrement d'un soldat tunisien tué lors d'une attaque au Kef le 26 juillet 2014. Deux militaires avaient été tués lors de cette attaque dans la région du Kef, région pauvre du nord-ouest de la Tunisie. (Reuters - Anis Mili)

La plus grave attaque depuis la fondation de l’armée il y a 58 ans : le 16 juillet 2014, 15 militaires ont été tués sur le mont Chaambi, à la frontière avec l’Algérie. Aux dires des autorités, entre 40 et 60 personnes, armés de mitrailleuses, de grenades et de lance-roquettes, avaient alors ouvert le feu sur les soldats. Une opération qui intervient à la suite de nombreuses autres actions.
 
D’une manière générale, «on constate une montée en puissance et en gravité de telles actions. Celles-ci changent de nature. Les armements sont plus importants. Et alors qu’on croyait se trouver face à de petites cellules combattantes, les groupes peuvent compter plusieurs dizaines de personnes. Dans ces conditions, nous sommes aujourd’hui confrontés à une vraie guerre face à des gens qui ont une stratégie de conquête», observe un journaliste tunisien qui travaille sur les dossiers de terrorisme.
 
La majorité des assaillants du 16 juillet viennent «probablement de l’extérieur des frontières», affirme le ministre de la Défense, Ghazir Cheribi. En clair : ils viendraient d’Algérie. Parmi eux, on trouverait des Tunisiens, des Algériens, mais aussi des «mercenaires étrangers», ajoute le ministre, sans plus de précisions. Une source à Tunis évoque une véritable «internationale», avec des éléments peut-être même originaires de Tchétchénie et d’Afghanistan…

Dans le même temps, pour la première fois, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a revendiqué le 13 juin des opérations récentes. Notamment celle contre le ministre tunisien de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, dans la nuit du 27 au 28 mai. Quatre policiers avaient alors été tués. «Un groupe de lions de Kairouan (ville sainte de l'Islam en Tunisie, NDLR) est parti pour couper la tête du criminel (le ministre) Lotfi Ben Jeddou chez lui dans la région de Kasserine, et Dieu leur a permis de tuer un nombre de ses gardes personnels et d'en blesser d'autres et de leur prendre leurs armes», indique un communiqué publié sur un forum utilisé par Aqmi pour diffuser ses revendications.

L'organisation islamiste reconnaît aussi pour la première fois que les combattants armés pourchassés depuis un an et demi au mont Chaambi appartiennent à Aqmi. Une confirmation de ce que les autorités tunisiennes affirmaient depuis des mois. «Entrer en guerre ouverte contre l'islam et ses partisans pour plaire aux Etats-Unis, à la France et à l'Algérie, se paye cher», ajoute Aqmi.

Manifestants salafistes devant les locaux de la télévision tunisienne à Tunis le 9 mars 2012 (Reuters - Zoubeir Souissi)

Mesures antiterroristes
Face à l’aggravation de la situation, les autorités tentent de réagir. Ghazir Cheribi a annoncé que son pays et l’Algérie coopéraient pour traquer les assaillants. A la frontière libyenne, jugée «poreuse», Tunis aurait déjà déployé 5000 soldats pour prévenir une situation très mouvante.

Sur le plan politique, les choses bougent elles aussi. Les autorités ont décidé «la fermeture  immédiate» des mosquées tombées aux mains de radicaux et qui se trouvent hors du contrôle du ministère des Affaires religieuses. Selon une source gouvernementale, 13 mosquées ont déjà été fermées. «On y tenait des discours violents et on y pratiquait des mariages orfi. Dans certains cas, on y a trouvé des caches d’armes», précise un observateur.
 
Les autorités ont aussi annoncé la fermeture des radios et télévisions devenues des «espaces pour le takfir (le fait de déclarer une personne infidèle, ndlr) et l'appel au djihad». La radio religieuse, Nour, et la chaîne al-Insen devraient ainsi cesser leurs activités. Une telle mesure est vue comme le moyen de tenter de contrôler le discours extrémiste dans un paysage audiovisuel en plein chantier, où de nombreuses radios et télévisions opèrent sans licence. «Il n’y a pas si longtemps, on pouvait voir dans les médias des djihadistes défendre leur discours et lancer des appels à la haine», rapporte un observateur.

Autre indicateur d’une reprise en main de la situation par le gouvernement: la démission du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Mohamed Salah Hamdi. Même si cette démission est parfois interprétée par le fait que ce dernier, qui serait proche des islamistes, aurait cherché à brouiller les pistes. Et à couper court aux rumeurs d’infiltration de l’institution militaire par des éléments religieux…
 
Un projet de loi dans l’attente
Au-delà de cette affaire, «on assiste aux premières décisions fermes dans le domaine du terrorisme», estime l’observateur cité ci-dessus. Mais il faut voir que dans le même temps, un projet de loi antiterroriste se trouve en discussion depuis plus de six mois à l’Assemblée nationale constituante. «Une discussion bloquée», assure le journaliste spécialisé. Un blocage attribué par plusieurs observateurs aux islamistes du parti Ennahda, de fait plutôt ambigus sur les questions de sécurité.
 
Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste Ennahda, lors d'une manifestation à Tunis le 4 février 2011. (Reuters - Louafi Larbi)

Dans un communiqué rendu public le 17 juillet, au lendemain de l’attaque du mont Chaambi, la formation religueuse à demandé à ce que le texte soit adopté au plus vite. Mais en juin, l’un de ses députés, Néjib Mrad, estimait que le terrorisme ne constitue pas un danger et reprochait à certains partis de l'amplifier de manière délibérée, rapporte le site africanmanager. Les 136 articles du projet de loi sont exagérément répressifs et pourraient faire replonger le pays dans la dictature, ajoutait Néjib Mrab.

Les questions des journalistes
Dans ce contexte, l’orientation plus sécuritaire prise par le pouvoir a-t-elle des chances de réussir ? «Le problème actuellement», explique le spécialiste, «c’est que l’on assiste effectivement à des arrestations et à des procès. Pour autant, il y a peu de jugements. Certains magistrats ont peur car ils subissent des pressions de la part des salafistes. Mais d’autres, qui ont connu la prison sous la dictature, sont allergiques à prendre des mesures qu’ils craignent liberticides.»

Ces magistrats ne sont pas les seuls: le renforcement de la législation anti-djihadistes pose aussi des problèmes aux journalistes. Dans le discours public, «on parle de plus en plus de sécurité et d’unité nationales. Et de plus en plus de politiques insistent sur la nécessité de mettre sur pied une stratégie médiatique sur le terrorisme. Dans ce contexte, j’ai peur pour la liberté d’expression. On pourrait être tenté d’y mettre des limites», remarque un représentant de la profession.
 
Dans le même temps, on parle aussi de «ligne rouge» à respecter face à la police et à l’armée. «Comment interpréter cette expression de ‘‘ligne rouge’’? Si demain un journaliste veut enquêter sur une affaire de corruption au sein de l'armée ou de la police, que se passera-t-il?», s'interroge le président du Syndicat national des journalistes tunisiens, Néji Bghouri. Beaucoup de questions, comme le souligne une lettre de Reporters sans Frontières aux parlementaires tunisiens à propos du projet de loi. Et si peu de réponses dans un pays qui a du mal à trouver sa stabilité…

Ces djihadistes tunisiens qui partent en Syrie

France 24 (vidéo mise en ligne le 30-7-2012)

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