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Attentat à Tunis : pourquoi la Tunisie est la cible privilégiée des jihadistes au Maghreb

Le pays a été visé par une troisième attaque de l'Etat islamique mardi, après celles du musée du Bardo, en mars, et de Sousse, en juin.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les enquêteurs inspectent le bus de la garde présidentielle visé par une attaque kamikaze à Tunis, le 25 novembre 2015. (ZOUBEIR SOUISSI / REUTERS)

Trois attentats en moins d'un an. La Tunisie fait une nouvelle fois face au terrorisme après qu'un kamikaze a fait 12 morts dans un bus de la garde présidentielle, à Tunis, mardi 24 novembre. Cinq mois plus tôt, le 26 juin, un tireur avait abattu 38 personnes sur une plage et dans un hôtel de Sousse. En mars, 21 touristes avaient perdu la vie dans une attaque au musée du Bardo, à Tunis. Des attentats tous revendiqués par le groupe Etat islamique. Pourquoi la Tunisie est-elle une cible privilégiée pour les jihadistes ? Eléments de réponse.

Parce que la Tunisie a réussi sa transition démocratique

Plusieurs pays du Maghreb et du Proche-Orient ont connu un "printemps arabe" au début des années 2010. Mais contrairement à la Libye ou à l'Egypte, la Tunisie a réussi sa transition démocratique après la révolution de 2011. Pour les jihadistes, ce processus revient à "pactiser avec le diable, l'Occident", indique le journaliste David Thomson, interrogé par Le Figaro.

"Ce modèle d'organisation politique est rejeté par les jihadistes car ils le considèrent comme impur, hors du cadre islamique", confirme Béligh Nabli, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), contacté par francetv info. "Les groupes comme l'Etat islamique cherchent à faire échouer cette expérience démocratique en déstabilisant l'Etat."

Pour ce spécialiste de la Tunisie, l'attentat contre la garde présidentielle est "dans la continuité des attaques jihadistes de 2013 et 2014 contre les forces de l'ordre". "La différence, c'est que l'Etat islamique a frappé une police d'élite en plein cœur de Tunis, près du ministère de l'Intérieur, poursuit Béligh Nabli. Cette proximité humaine et géographique avec le gouvernement et la présidence illustre la stratégie de l'organisation pour saper le pouvoir."

Parce que son tourisme attire les Occidentaux

Les deux premières attaques qui ont touché le pays en 2015 ne visaient pas le système politique, mais le tourisme. "Les soldats du califat en Tunisie", le groupe affilié à l'Etat islamique qui a revendiqué l'attentat à Sousse, "a clairement décidé de détruire le tourisme tunisien", estime ainsi Mathieu Guidère, interrogé par francetv info.

"Il l'a lui-même affirmé en déclarant : vous accueillez trop d’étrangers, la Tunisie n’est pas une terre pour héberger des étrangers, qui de surcroît bombardent nos frères en Syrie et en Irak, précise le spécialiste du monde arabe. D’où la décision qui a été prise de s’attaquer systématiquement aux infrastructures du tourisme tunisien et donc, dans un premier temps, au musée du Bardo."

"Ces attaques servent un double but : frapper les Occidentaux à travers leurs touristes, mais surtout fragiliser le pays en sapant une de ses principales ressources économiques", complète Béligh Nabli. Le tourisme, qui représentait 15,2% du PIB du pays en 2014, selon le Parisien, a fortement chuté depuis ces attaques. Au total, la Tunisie devrait connaître une baisse de 30 à 40% des visites en 2015, par rapport à l'année précédente.

Parce que de nombreux jihadistes viennent de Tunisie

La Tunisie est aussi le principal pourvoyeur de combattants étrangers en Irak et en Syrie. Environ 3 000 de ses ressortissants ont rejoint les rangs du groupe Etat islamique, rappelait Mathieu Guidère, après l'attaque du musée du Bardo à Tunis.

"Les groupes salafistes jihadistes ont fait le choix stratégique d'envoyer des jeunes en Syrie pour les préparer et former ainsi des cadres qui seront prêts pour un éventuel combat en Tunisie", estime l'analyste tunisien Slaheddine Jourchi, cité par Ouest-France.

"Une fois formés en Syrie, ces hommes reviennent en Tunisie et continuent à faire le jihad mais contre leur propre pays, explique Béligh Nabli. Ils constituent une véritable source d'instabilité pour la Tunisie." Environ 500 jihadistes sont ainsi revenus en Tunisie après avoir combattu pour l'Etat islamique, selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur tunisien.

Parce que sa frontière avec la Libye est poreuse

La Tunisie est aussi la cible des groupes terroristes qui profitent du chaos régnant en Libye pour étendre leur influence. La frontière entre les deux pays est mal contrôlée par l'armée tunisienne, ce qui facilite l'infiltration de jihadistes et d'armes dans le pays. L'Etat islamique a ainsi affirmé avoir "envoyé deux Tunisiens entraînés par [sa] branche libyenne" pour perpétrer l'attaque du musée du Bardo, rappelle le journaliste David Thomson, dans son entretien avec Le Figaro.

Le Franco-Tunisien Boubakeur El-Hakim, qui affirme avoir participé en 2013 aux assassinats des opposants politiques de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, a lui aussi été formé en Libye. Le jihadiste a depuis rejoint la Syrie et "joue un rôle clé au sein de l'Etat islamique", selon David Thomson.

"La vraie couveuse à jihadistes est en Libye, où les jihadistes tunisiens acquièrent une formation au combat ainsi qu'au maniement des armes et des explosifs, confirme Béligh Nabli. Ils représentent un véritable danger lorsqu'ils rentrent en Tunisie et tant qu'ils continueront à pouvoir passer cette frontière, tant qu'on ne cassera pas ce circuit, la menace terroriste planera sur le pays."

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