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Somalie : des tirs de drones américains continuent à tuer des civils, selon Amnesty

Depuis le début de 2020, les Etats-Unis auraient mené une trentaine de raids aériens dans le pays. Raids apparemment en augmentation constante.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des civils pleurent, dans un hôpital de Mogadiscio, capitale de la Somalie, la mort d'un de leurs proches lors d'une attaque menée par des forces somaliennes soutenues par des militaires américains le 25 août 2017. (REUTERS - FEISAL OMAR / X02643)

Le nombre des victimes civiles attribuables aux frappes aériennes secrètes de l’armée américaine menées contre les milices islamistes shebabs continue d’augmenter en Somalie. C'est ce qu'affirme Amnesty International (AI) dans un communiqué publié le 1er avril 2020. L’ONG des droits de l’Homme fait ainsi état de "deux frappes aériennes meurtrières menées cette année". Le commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom) a expliqué que l’évaluation des affirmations de l’ONG était en cours et qu’il déployait des efforts importants pour éviter des pertes civiles, rapporte Reuters. Entre le 1er et le 19 mars, les Américains ont mené "31 raids aériens en Somalie", selon l’ONG AirWars, basée à Londres. 

Le nombre de frappes serait en augmentation constante : il serait ainsi passé de 14 en 2016 (sous présidence Obama) à 47 en 2018 et 63 l’an dernier (sous présidence Trump).

AI avait déjà rapporté que ces raids avaient fait des victimes civiles, comme le rapportait franceinfo Afrique en octobre 2019. A l’époque, l’organisation disait avoir "recueilli des informations sur six affaires dans lesquelles des frappes aériennes américaines auraient fait des victimes civiles – 17 morts et 8 blessés au total".

"La Somalie est apparemment la tête de pont de la présence américaine sur le continent", écrivait franceinfo Afrique dix mois plus tôt. Etait notamment évoquée la construction d’un site "pouvant accueillir 800 militaires". Les Américains interviennent dans le pays contre les milices intégristes shebabs. Chassées de Mogadiscio en 2011, ces dernières ont perdu l'essentiel de leurs bastions mais contrôlent toujours de vastes zones rurales, d'où elles mènent leurs opérations.

"Les éléments de preuve sont accablants"

L’Africom "a mené des centaines de frappes aériennes au cours du combat contre le groupe armé Al Shabaab (...), mais n’a admis avoir tué des civils que lors d’une seule frappe" en 2018, écrit Amnesty dans son communiqué du 1er avril. "Les éléments de preuve se multiplient et sont accablants. Non seulement l’Africom ne déclare pas les victimes parmi les civils en Somalie, mais il ne semble par ailleurs pas se préoccuper du sort des nombreuses familles qu’il a déchirées", selon l’ONG.

En 2018, les Etats-Unis avaient reconnu la mort de "deux civils" au cours d’un raid. "C’est la seule occasion lors de laquelle l’Africom a admis que des civils avaient été tués, alors que les frappes aériennes sont menées depuis dix ans en Somalie. Bien que la famille des victimes de cette frappe ait contacté la mission américaine en Somalie en avril 2019, ni le personnel diplomatique américain, ni l’Africom n’a, à ce jour, pris contact avec elle pour lui accorder des réparations", note AI.

Changement d’attitude de la part des Etats-Unis ?

Pour 2020, l’ONG internationale dit avoir "recueilli des éléments prouvant que l’Africom a tué deux civils et en a blessé trois lors de deux frappes aériennes menées au mois de février", très exactement les 2 et 24 février. Pour celle du 2 février, le commandement américain pour l’Afrique a publié un communiqué faisant état d’une "frappe aérienne menée en coopération avec le gouvernement fédéral de la Somalie contre un terroriste d’Al Shabaab près de Jilib" (sud-est du pays). Ajoutant "vérifier qu’aucun civil n’ait été tué ou blessé" au cours du raid.

Un communiqué quasiment identique a été publié le 24 février pour un raid effectué le même jour, toujours dans la région de Jilib. Avec le même bilan, et dixit le commandement américain, sans victime civile.

L’Africom n’a fourni aucun "élément de preuve des liens présumés des victimes avec le groupe armé", observe AI. De son côté, Amnesty déclare n’avoir, lors de son enquête, "trouvé aucune preuve que les personnes tuées ou blessées étaient membres d’Al Shabaab ou avaient été directement impliquées dans les hostilités"

L’organisation s’est entretenue avec les proches des victimes, des membres de leur entourage et certains de leurs collègues, a analysé des images satellites, des photos et des images vidéos des lieux des frappes et a identifié les munitions américaines utilisées.

Communiqué d'Amnesty International, 1er avril 2020

Hasard du calendrier ? Le 31 mars, l’Africom a publié sur son site un communiqué affirmant que "d’ici fin avril, le commandement des Etats-Unis pour l’Afrique a l’intention de publier un nouveau rapport trimestriel sur les affirmations et les évaluations concernant des victimes civiles". Une initiative conçue "pour accroître la transparence concernant les allégations sur des victimes civiles signalées au commandement et (qui) démontrera l'engagement constant de l'armée américaine à réduire les dommages collatéraux dans la poursuite des opérations militaires" en Somalie.

Le document affirme par ailleurs que si des pertes civiles sont constatées, "nous nous efforcerons d’être les premiers à découvrir la vérité". Et précise : "Personne n’est plus enclin à préserver des vies innocentes que l’armée américaine. Nos actions et nos procédures en sont le reflet." Le signe que face aux critiques, le Pentagone commence peut-être à changer d’attitude ?

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