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Mogadiscio, Las Vegas, mais pas Nassiriya : comment Paris choisit-il les attentats pour lesquels la tour Eiffel s'éteint ?

La mairie de Paris, critiquée sur les réseaux sociaux pour son absence de réaction à l'attentat qui a fait au moins 276 morts dans la capitale somalienne, a décidé d'éteindre la tour Eiffel en leur hommage, lundi, deux jours après les faits.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La tour Eiffel éteinte, le 2 octobre 2017, en hommage aux victimes de l'attaque de la gare Saint-Charles de Marseille et de la fusillade de Las Vegas. (LUDOVIC MARIN / AFP)

L'image est devenue tristement familière. Lundi 16 octobre, la tour Eiffel est restée éteinte pour commémorer l'attentat de Mogadiscio. Samedi 14 octobre, l'explosion d'un camion piégé dans la capitale de la Somalie a tué au moins 276 personnes, le pire attentat de l'histoire du pays. L'ampleur du bilan, passé d'une vingtaine de morts confirmés samedi soir à plus d'une centaine dimanche après-midi, a vite suscité l'émotion sur les réseaux sociaux, d'autant que cet attentat s'accompagnait de photographies et de témoignages glaçants. Parmi les messages, un certain nombre appelaient la mairie de Paris à éteindre sa tour Eiffel dès le dimanche soir.

Accorder plus d'attention à certains attentats qu'à d'autres, notamment selon qu'ils frappent des pays occidentaux ou non : l'accusation est récurrente et cible autant les médias que la mairie de Paris. Celle-ci est d'autant plus dans la lumière sur cette question qu'elle rend de plus en plus souvent hommage aux victimes. L'extinction du lundi 16 octobre est la treizième liée à un ou plusieurs attentats cette année, et la 19e au total. Initiée en mémoire des victimes des attaques de janvier 2015, cette extinction symbolique a notamment servi, dernièrement, à commémorer l'attentat au couteau de la gare de Marseille et la fusillade de Las Vegas. Dans une année marquée par des dizaines d'attaques terroristes meurtrières partout dans le monde, peut-on reprocher à Paris de choisir les attentats dignes d'être commémorés ? Franceinfo s'est penché sur la question.

Qui décide d'éteindre la tour Eiffel ?

L'extinction de la tour Eiffel est souvent annoncée sur Twitter par la maire de Paris Anne Hidalgo, conjointement avec la société d'exploitation de la tour Eiffel. Et si les équipes qui gèrent ce bâtiment ont leur mot à dire, notamment sur les questions techniques, c'est l'exécutif parisien, c'est-à-dire Anne Hidalgo et ses adjoints, qui décident d'éteindre ou non le monument, explique l'Hôtel de ville à franceinfo.

La mairie de Paris ne rend-elle hommage qu'à des victimes occidentales ?

En 2017, la tour Eiffel a été éteinte treize fois, en hommage aux victimes du terrorisme. Et parmi les critiques reprochant à la ville d'ignorer l'attaque de Mogadiscio, ou d'autres attentats, beaucoup regrettent qu'elle ne rende hommage qu'aux victimes occidentales, ou aux pays pas trop éloignés de la France, préjugeant peut-être des connaissances géographiques des Parisiens.

En 2017, on constate en effet que la plupart des villes concernées sont européennes ou américaines. La tour Eiffel a été éteinte après les attentats de Barcelone et Cambrils des 17 et 18 août, mais aussi les deux attaques à Londres, en mars et en juin, et l'explosion qui a tué 22 personnes à la sortie d'un concert à Manchester, en mai. Paris a rendu hommage à Saint-Pétersbourg, après un attentat à la bombe dans le métro en avril ; à Stockholm, où un camion a foncé dans la foule quelques jours plus tard ; et à la ville de Québec, où six personnes ont été tuées dans l'attaque d'une mosquée en janvier. Plus récemment, le monument est resté dans le noir pour commémorer à la fois la fusillade de Las Vegas, la plus meurtière de l'histoire des Etats-Unis, et la mort de deux jeunes femmes poignardées à Marseille.

"Si vous regardez les différentes fois où Paris a fait un geste de solidarité, tous les continents sont concernés", réplique l'Hôtel de ville. Et force est de constater que la tour Eiffel a également été éteinte en hommage à des victimes au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Ce fut le cas en mai, pour 29 passagers d'un bus de pèlerins coptes tués par un commando en Egypte. Un hommage présenté par Anne Hidalgo comme adressé à cette minorité chrétienne dans son ensemble, déjà visée par une double attaque meurtrière un mois plus tôt. Puis le monument est resté dans le noir les 30 et 31 mai, en mémoire des 40 tués dans plusieurs attentats à la bombe à Bagdad et Hit (Irak), puis aux 150 victimes d'une attaque du même type à Kaboul le lendemain. Le mois suivant, Paris rendait hommage aux 17 victimes d'une double attaque à Téhéran. Et la ville en a finalement fait de même pour Mogadiscio.

La mairie a-t-elle particulièrement tardé à rendre hommage à Mogadiscio ?

C'est la première fois cette année que Paris éteint la tour Eiffel deux jours après la survenue d'un attentat. Seul un hommage consécutif à l'attaque de l'aéroport d'Istanbul, l'an dernier, avait connu le même délai. Cette extinction symbolique a généralement lieu le soir même de l'attentat ou le lendemain, notamment quand les faits se produisent dans la nuit à l'heure française.

Si l'évolution lente du bilan établi par les autorités somaliennes, qui n'a pris une ampleur histoirique que dimanche après-midi, 24 heures après l'attentat, pourrait justifier ce délai, ce n'est pas ce qu'explique la mairie de Paris. Qui assure ne pas avoir non plus cédé face à la pression des commentaires sur les réseaux sociaux. Si la tour Eiffel a été éteinte lundi et non dimanche, c'est pour "des questions de contingences uniquement techniques", assure l'Hôtel de ville.

Pourquoi certains attentats sont-ils commémorés et pas d'autres ?

Les quatorze attentats commémorés cette année ne sont pas les seuls à avoir fait un grand nombre de victimes, ni les quatorze plus meurtriers. En 2017, on pourrait par exemple citer l'attentat de la nuit du Nouvel an dans une discothèque d'Istanbul, ou les nombreuses attaques qui ont endeuillé l'Irak, l'Afghanistan ou le Pakistan. Ainsi, le 14 septembre, un double attentat revendiqué par le groupe Etat islamique tuait au moins 74 personnes à Nassiriya, dans le sud de l'Irak. 

Contactée par franceinfo, la ville de Paris n'explicite pas les raisons pour lesquelles certains attentats sont commémorés et d'autres non. Pour Mogadiscio, "la ville de Paris a souhaité faire acte de solidarité, et faire part de son émotion et son soutien". "On le fait évidemment systématiquement pour les villes françaises", précise-t-on à l'Hôtel de ville, "mais aussi pour les villes avec lesquelles on entretient des liens forts" et "pour les attentats qui entraînent une forte émotion des Parisiens".

Pour la mairie, "ce qui serait problématique serait de ne pas faire ce geste de solidarité", comme ceux que la ville a elle-même reçus quand elle a été frappée et qui lui valent à chaque fois des messages de remerciement. "La solidarité peut prendre des formes différentes selon les moments, mais l'important est de manifester qu'il n'y a pas d'indifférence face aux actes terroristes". Le geste est en tout cas entré dans les habitudes des Parisiens... au point qu'ils en viennent parfois à le réclamer.

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