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Villes et pays continuent d'être rebaptisés en Afrique afin d'effacer le lien colonial

En Afrique du Sud, Port Elizabeth s'appellera désormais Gqeberha. Les changements de nom de lieux sont étroitement liés à la décolonisation ou aux fluctuations de régime politique.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
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Vue de Kings Beach à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. La ville s'appellera désormais Gqeberha. (ALAIN EVRARD / ROBERT HARDING HERITAGE)

L'Afrique n'est pas une exception. De tout temps, les changements de toponymie ont été des marqueurs de l'histoire, souvent pour la gloire des vainqueurs, avec la volonté de tourner la page d'un passé fréquemment honni. L'exemple de l'Afrique du Sud, qui vient d'entériner le remplacement du nom de la ville de Port Elizabeth, illustre la volonté d'effacer le passé colonial du pays. Celle-ci portait en effet le nom de l'épouse du gouverneur du Cap, Sir Rufane Donkin, "fondateur" de la ville en 1820, à l'arrivée de quelques 4 000 migrants britanniques.

Les initiateurs de ce changement de toponymie le revendiquent. Rebaptiser la ville est une manière d'inscrire le peuple noir dans l'histoire du pays et de rendre leur dignité aux communautés noires. Port Elizabeth s'appelle désormais Gqeberha qui est le nom, en langue Xhosa, de la rivière qui traverse la ville, la Baakens River. Mais c'est aussi et surtout le nom d'un de ses plus vieux Townships.

Uitenhage devient Kariega

La ville voisine d'Uitenhage est elle aussi rebaptisée Kariega. Les tenants de ce changement ne voulaient plus de référence au fondateur de la ville, Jacob Glen Cuyler. "Nous ne pouvons pas honorer cet homme qui a soumis notre peuple aux violations des droits de la personne les plus atroces", explique Christian Martin, l'un des porteurs du projet.

(Gqeberha : comment prononcer le nouveau nom de Port Elizabeth)

Jusqu'à présent, rebaptiser les villes en Afrique du Sud s'était fait de façon indirecte, notamment en donnant un nom à des métropoles urbaines qui en étaient jusqu'ici dépourvues. Ainsi, Port Elizabeth est-elle la ville centre de la Métropole de Nelson Mandela Bay, qui rassemble plus d'un million d'habitants.

Si Pretoria, la capitale de l'Afrique du Sud, a conservé son nom, la conurbation de près de trois millions d'habitants et treize municipalités créée en 2000 s'appelle Tshwane. Quant à Durban, elle appartient à la métropole d'eThekwini.

Un changement tardif

Ces changements de nom se font tardivement en Afrique du Sud, contrairement au reste du continent, parce que quoiqu'indépendante depuis 1910, elle est restée contrôlée par les Blancs descendants des colonisateurs. Il faudra attendre la fin de l'apartheid en 1991 et l'élection de Nelson Mandela à la tête du pays en 1994 pour que la population indigène se réapproprie son territoire.

L'ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, photographié à Marrakech le 15 novembre 2016, lors de la COP 22 sur le climat. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Pour les mêmes raisons, la Rhodésie du Sud ne deviendra le Zimbabwe qu'en 1980, quinze ans après l'indépendance, lorsque le pouvoir blanc des anciens colons cédera la place à Robert Mugabe.
Quant au Swaziland, il ne deviendra eSwatini qu'en 2018, lorsque son fantasque monarque, Mswati III, décidera d'effacer la relation coloniale renommant "le pays des Swatis" dans sa propre langue.

Quand la politique rebat les cartes

Une période postcoloniale très agitée explique aussi les changements de nom à répétition de certains Etats.

Ainsi, à l'indépendance en 1960, Léopoldville capitale du Congo est devenue Kinshasa, faisant disparaître ainsi le nom du roi belge à la politique coloniale particulièrement décriée. En 1965, le maréchal Mobutu lance la politique de "zaïrisation" du pays. En clair, il s'agit d'effacer toutes traces de la colonisation et de revenir à une authenticité africaine des patronymes et toponymes.

Un Zaïre éphémère

Le mouvement est surtout une vaste opération de nationalisation des richesses, détenues alors par des individus ou des compagnies étrangères. Le pays est alors renommé République du Zaïre, ce qui a au moins le mérite de le distinguer de la République du Congo (Brazzaville), même si le nom est portugais !

Le maréchal Mobutu Sese Seko, chef d'Etat du Zaïre, quitte le pouvoir en avril 1997. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Mais l'appellation Zaïre était elle-même trop attachée à la personnalité de Mobutu. Et quand le dictateur tombe en 1997, le nouveau maître Laurent-Désiré Kabila s'empresse de rebaptiser le pays en République démocratique du Congo. Là encore, il s'agit de signifier que les temps ont changé.

Effacer de mauvais souvenirs

Parfois le sort s'acharne, témoin la ville de Chlef en Algérie. Par deux fois, en 1954 puis en 1980, elle connaît un séisme destructeur. En 1954, elle s'appelle encore Orléansville. Ce nom lui a été donné par le colonisateur français en 1845 à la gloire de son roi Louis-Philippe, chef de la maison d'Orléans.

En 1980, l'indépendance de l'Algérie est passée par là, la ville a repris son nom historique d'El Asnam. Le 10 octobre 1980, elle est une nouvelle fois rayée de la carte ou presque par un terrible tremblement de terre (70% de destruction). Suite à la catastrophe, la ville est reconstruite et rebaptisée une nouvelle fois. Elle devient Chlef, gommant ainsi les références à un passé dramatique...

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