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Tunisie: à Monastir, Simon Slama, candidat juif en campagne pour les islamistes
Pour les municipales à Monastir (160 km au sud-est de Tunis, 94.000 habitants), ville natale du président Bourguiba, fondateur de la Tunisie moderne, Ennahda présente une majorité de candidats indépendants. Parmi eux, un commerçant juif, Simon Slama, 54 ans. Une candidature très caractéristique de la stratégie du parti islamiste. Géopolis l’a rencontré sur place en fin de campagne, le 4 mai 2018.
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Dans la région de Monastir, ceux qui s’intéressent aux élections ont entendu parler de la candidature de «Simon». Ils croient même souvent qu’il figure en tête de la liste d’Ennahda dans une ville hautement symbolique, patrie de Bourguiba, fondateur de la Tunisie moderne. Lequel est présent partout sous forme de statue et de portraits géants. Mais le candidat n’est «que» 7e de liste, avec, apparemment de bonnes chances d’être élu lors du scrutin proportionnel. Propriétaire d’une boutique de machines à coudre, il travaille avec son frère, grossiste dans le même domaine. «Ma mère était couturière, mon grand-père était réparateur de machines à coudre», précise-t-il.
Il constate lui-même qu’il appartient «à l’unique famille juive de Monastir», ville qui ne possède plus de synagogue. Alors que selon ses propres termes, la communauté, forte actuellement de «700 personnes», comptait «520 familles dans les années 40». Il dit ne pas avoir «de problème» dans sa vie quotidienne en raison de ses origines religieuses. «Les gens ne me ferment pas leurs portes», note-t-il.
«J’ai une bonne réputation dans la ville», affirme-t-il. «C’est effectivement une personnalité connue ici», commente un habitant de la région. Résultat : quand il apparaît devant ses colistiers, il n’y en a plus que pour «Simon». Virevoltant de manière exubérante pour distribuer ses tracts avec un grand sourire, il s’arrête tous les 10 mètres pour de grandes accolades avec de nombreux passants. «La présence de Simon sur notre liste, c’est un symbole de tolérance», commente un membre des jeunes d’Ennahda.
S’il est élu, Simon Slama souhaite notamment s’occuper du dossier des bâtiments de la ville, en particulier commerciaux. «J’entends aussi contribuer à faire de Monastir une ville propre. Aujourd’hui, elle n’est pas suffisamment élégante pour les touristes étrangers», déclare-t-il.
Dans le même temps, il accuse Bourguiba d’avoir «détruit la vieille ville», précise son accompagnateur, Ichem Belhaj Youssef, membre local d’Ennahda qui n’est pas candidat. «Simon» a-t-il donc besoin d’être «coaché»? «Je ne suis pas son gardien. Je suis le coordinateur de la campagne, chargé des relations avec les médias étrangers. S’il a du mal à s’expliquer, je précise ses propos», explique spontanément l’accompagnateur sans que nous lui posions la question. De fait, le candidat s’explique parfois de manière un peu confuse en français. «Je peux vous laisser seul si vous le souhaitez !», dit le militant en riant au journaliste de Géopolis…
«Je sais ce que je fais»
Vu ses activités professionnelles, le candidat se place beaucoup sur le terrain socio-économique pour justifier son choix de liste. Selon lui, quand les islamistes ont gouverné (sans le parti présidentiel Nidaa Tounès) entre 2012 et 2014, ils ont apporté à la Tunisie «un avantage commercial énorme», sans plus de précision. «On vivait plus facilement», affirme-t-il. Aujourd’hui, il souhaite s’attaquer au «seuil de pauvreté» en s’occupant des «15% de population pauvre» de Monastir, alors que «la vie est devenue très chère». A ses yeux, il est important de figurer la liste d’une grande formation, car «seuls les partis ont suffisamment de pouvoir pour agir concrètement».
Dans le même temps, reprenant les arguments de campagne d’Ennahda, Simon Slama explique qu’il entend «lutter pour une Tunisie moderne, pour que tous les partis collaborent ensemble». Il dit vouloir «montrer au monde entier l’importance de la tolérance». Donc celle du parti islamiste. «Je ne suis pas là pour la religion», insiste-t-il.
Pour lui, Ennahda a désormais «une politique modérée» qui prône la solidarité vis-à-vis de tous les Tunisiens, les juifs comme les autres. Il insiste sur le fait qu’il n’a eu aucune difficulté à s’intégrer dans la liste patronnée par les islamistes. «J’y ai rencontré une grande fraternité», raconte-t-il.
Le candidat ne se sent-il pas utilisé ? «Je n’ai absolument pas cette impression». N’est-il pas un peu naïf ? «Je ne suis pas naïf. Je sais ce que je fais», insiste-t-il.
«C’est ça, la politique !»
Sans surprise, les responsables d’Ennahda tiennent le même discours d’ouverture. «Nous sommes tous des Tunisiens. Moi-même, j’ai vécu à côté de juifs quand j’étais plus jeune. Aujourd’hui, nous voulons travailler avec tous, dans le respect des valeurs de chacun», déclare Khaled Founi, du bureau central d’Ennahda. Stratégie cynique sans lendemain ou réelle évolution? «Cette affaire a entraîné des désaccords entre les leaders et la base, celle attachée aux traditions», affirme un adversaire des islamistes.
Le parti tente de concrétiser cette volonté d’ouverture en prônant les candidatures indépendantes. A Monastir, il a ainsi fait preuve d’une grande habilité : sur sa liste de 30 noms, il présente 18 personnes qui occupent… les 18 premières places. Autrement dit : les représentants d’Ennahda sont confinés aux 12 dernières places !
Quand on fait remarquer à Ichem Belhaj Youssef que son parti est décidément très adroit, il répond en souriant : «C’est ça, la politique !». «Il faut laisser les plus compétents gérer le service public», poursuit-il, redevenu sérieux. Les membres d’Ennahda ne seraient donc pas compétents ? «C’est une question d’expérience», explique le militant, lui-même chef du personnel à la mairie de Monastir, fonction qui l’empêche de se présenter sur la liste.
Ichem Belhaj You évoque alors les années de plomb sous Ben Ali où les militants d’Ennahda étaient pourchassés, emprisonnés, obligés de s’exiler. Dans ce contexte, ceux-ci ont été empêchés se former aux réalités locales. «Face à la crise économique, la militance ne suffit pas», va jusqu’à dire le représentant du parti. Il reconnaît que cette position n’a pas plus à certains membres de son parti…
Ego
Et Simon Slama, dans tout ça ? Toute cette affaire lui a valu une grande notoriété, tant au niveau national qu’international. Il a été interviewé par des médias du monde entier, dont il fait le décompte avec délice. Ce qui semble avoir fait travailler quelque peu son ego...
«Dans ces interviews, j’explique au monde entier que je suis là avec ma tête pour travailler pour la ville. Je n’ai aucun autre intérêt», résume-t-il. Résultat : il s’attend, le plus sérieusement du monde, à être invité chez… le président Béji Caïd Essebsi. Il estime qu’il a «70%» de chances que ce soit le cas. Et d’affirmer : «J’ai beaucoup de qualités. Et ce que j’ai fait est valable pour toute la Tunisie». Simon Slama se considère donc comme un exemple. Pour autant, en aparté, un militant d’Ennahda n’est pas aussi optimiste que lui sur une éventuelle invitation au palais de Carthage, siège de la présidence…
Chez les adversaires des islamistes, on se montre assez critique sur la stratégie d'Ennahda. «Cela ne me pose aucun problème qu’un juif se présente aux élections. Mais pour ce parti, c’est le moyen de montrer qu’ils ont changé. Je n’y crois pas totalement !», explique l’un d’entre eux. «Ce parti agit par opportunisme. Ses responsables veulent prouver qu’ils représentent un islam moderne, ouverts à d’autres traditions et mentalités», ajoute un autre.
Cette polémique laisse apparemment Simon Slama de marbre. Quand on lui fait remarquer qu’il a été critiqué dans sa propre communauté, il rétorque : «Ils ont compris ce que je leur ai dit. Et aujourd’hui, ils sont presque tous avec moi». Bref, tout cela serait du passé. Lui se tourne vers l’avenir. Et d’affirmer : «On est en train d’apporter à la Tunisie la lumière de l’Afrique. Ce n’est pas difficile si on a la volonté de le faire.»
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