Le sida en Afrique : «les marchands d’illusion» envahissent les réseaux sociaux
Une potion de plantes pour éradiquer totalement la maladie. Ce «traitement-miracle» est proposé sur Facebook par un guérisseur traditionnel nigérian moyennant la somme de 230 euros. Pour bénéficier de ses prestations, il faut au préalable verser la somme sur le compte bancaire du «bienfaiteur».
Si certains hésitent à jouer le jeu, d’autres se font piéger et s’en rendent compte souvent quan ’il est déjà trop tard. En Afrique, le désespoir et la stigmatisation qui accablent les séropositifs en font des cibles de choix des marchands d’illusion.
C’est le cas au Nigéria où les malades affluent de tout le continent dans des églises évangéliques aussi imposantes que des centres commerciaux, attirés par les promesses de prédicateurs sans scrupules, rapporte l'AFP.
Pas un mois ne passe au Nigéria sans qu’un pasteur annonce avoir «sauvé» un fidèle. Parmi les plus connus, l’AFP cite le pasteur TB Joshua. Il se targue d’avoir guéri des malades du sida et même «ressuscité» des morts. Sa fortune est estimée à plusieurs millions d’euros.
Sur son site internet, des témoignages abondent sur ses supposées prouesses et les guérisons de malades du sida : «Aucune maladie ne peut échapper au pouvoir de guérison de Jésus-Christ », peut-on lire.
«Il y a tellement d'argent à se faire»
Avec plus de trois millions de personnes vivant avec le VIH, le taux de prévalence au Nigéria reste l’un des plus élevés du continent. La tentation est grande pour les «faiseurs de miracle». «Il y a tellement d’argent à se faire, tout le monde veut en tirer profit », déplore un observateur nigérian.
«Quand tu as cette maladie, tout le monde te délaisse, même tes enfants. Tu fais peur», témoigne une africaine séropositive. La plupart des personnes atteintes n’hésitent pas à recourir discrètement aux pseudo-remèdes prescrits par d’obscurs spécialistes auto-proclamés.
Parmi les prescriptions les plus abjectes imaginées par les «faiseurs de miracles» sur le continent, on peut citer celles des guérisseurs sud-africains ou zambiens qui recommandent aux malades d’avoir des relations sexuelles avec des vierges, âgées de quatre mois à 16 ans, ce qui a donné lieu à de nombreux viols. En RD-Congo, «boire des urines ou du vin de palme» fait partie des traitements prodigués par les charlatans.
En Afrique du Sud, l’un des pays les plus touchés par la maladie, les autorités sanitaires ont pendant plusieurs années préconisé un régime à base d’huile d’olive, d’ail et de citron pour venir à bout de la maladie.
En Afrique de l'Ouest, la Gambie s’est particulièrement illustré dans ce domaine, et au plus haut niveau. Son ex-président, Yahya Jammeh, prétendait guérir les malades du sida grâce à des plantes et à des prières.
En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, il est important de rappeler quelques chiffres concernant l’épidémie en Afrique. pic.twitter.com/BAuIlbtAKE
«Le syndrome du guérisseur» et «le sida business»En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, il est important de rappeler quelques chiffres concernant l’épidémie en Afrique. pic.twitter.com/BAuIlbtAKE
— Africapostnews (@africapostnews) December 1, 2017
Il y a quelques années, des villages entiers se dépeuplaient en Afrique à cause des ravages du sida. Aujourd’hui, l’épidémie a été plus ou moins contenue dans plusieurs pays grâce aux traitements antirétroviraux. Mais ces traitements sont loin d’être à la portée de tous. La majorité des patients atteints consultent donc régulièrement les guérisseurs.
«La confusion règne entre les vrais tradi-praticiens qui luttent contre l’isolement et la détresse des malades confrontés au virus et les charlatans, qui alimentent un véritable sida-business mensonger et dangereux», explique le docteur Moussa Maman, ethnopsychiatre qui a enquêté dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest. Il a recueilli des témoignages hallucinants de guérisseurs tout puissants.
«Pour vous dire la vérité, il n’y a aucune maladie qu’on ne soigne pas avec nos plantes, y compris le sida», raconte un guérisseur béninois.
Mais tous les guérisseurs qu’il a rencontrés ne prétendent pas être des «faiseurs de miracles». Au Sénégal, ils se sont même regroupés dans la banlieue de Dakar dans un véritable hôpital de médecine traditionnelle pour accueillir les malades et échanger leur savoir. «Nous ne guérissons pas le sida, nous soignons», disent-ils. Une nuance très appréciée par le docteur Moussa.
«C’est la première fois que je vois des guérisseurs organisés. Qui font des recherches autour de leurs plantes pour soigner les malades qui souffrent de diarrhée, qui ont des ganglions, qui ont de la fièvre. Autant de signes de maladies opportunistes du sida. C’est un bon exemple pour l’Afrique qui veut valoriser sa médecine qu’elle a toujours utilisée depuis des millénaires. Il suffit de la rendre beaucoup plus rationnelle », plaide-t-il.
C’est aussi l’avis du professeur Luc Montagnier, prix-Nobel de médecine et codécouvreur du VIH. Ce qui est apportée par la pharmacopée traditionnelle et les plantes en Afrique, doit s’ajouter et non pas remplacer la trithérapie, explique-t-il.
«Il y a un certain nombre d’extraits de plantes qui ont montré des activités contre l’infection par le virus du sida, ou pour ralentir son évolution. La pharmacopée africaine doit donc puiser dans cette expérience de plusieurs siècles. Je ne dis pas que ça va remplacer les traitements que le Nord apporte. Je pense que c’est complémentaire.»
Le professeur français Luc Montagnier précise que la plupart de ces produits n’agissent pas directement sur le virus mais contribuent plutôt à stimuler les défenses immunitaires.
Pour le docteur Moussa, il faut mettre à la disposition des patients africains les traitements antirétroviraux. Mais il faut aussi organiser les guérisseurs traditionnels et les former autour de cette maladie que l’Afrique n’a pas eu le temps d’intégrer. C’est la meilleure stratégie de lutte contre les «faiseurs de miracles», qui se sont multipliés sur le continent, soutient-il..
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.