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Kenya: 7 jours de sursis pour le film «Rafiki»

Les Français découvrent ce 26 septembre dans les salles obscures «Rafiki», le film de la cinéaste kényane Wanuri Kahiu. Pour que ses compatriotes puissent avoir la même opportunité, la réalisatrice a dû se battre contre les autorités de son pays pour lever la censure dont faisait l’objet son long métrage. Retour sur une bataille juridique et culturelle.
Article rédigé par Shanhui Zhang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Le film kényan «Rafiki» est diffusé en France depuis le 26 septembre 2018.  (Makna-presse)

Rafiki, chronique d’une histoire d’amour impossible dans la société kényane, raconte les tribulations de deux adolescentes issues de milieux différents et dont les pères s’affrontent sur le terrain politique. Il reste polémique tant sur le plan culturel que juridique au Kenya, où l’homosexualité reste taboue et illégale. Le film a tout simplement été censuré.

Le 26 avril 2018, le Comité national kényan de classification des films (KFCB) avait émis un avis défavorable à la diffusion du long métragze à cause de son histoire faisant «la promotion de l’homosexualité». Pour justifier sa décision, le KFCB s’était appuyé sur la loi sur les films et les pièces de théâtre (Cap 222), adoptée par le gouvernement colonial britannique en 1968 pour limiter les œuvres artistiques et culturelles dans le Kenya postcolonial.

Mais selon la réalisatrice, Wanuri Kahiu, la censure vise aussi le message véhiculé par la fin du film qu'elle n’a pas voulu modifier malgré la pression des autorités: elle suggère que la communauté LGBT pourrait être acceptée par la société kényane

Elle a ensuite saisi la justice de son pays pour se défendre: «La censure est plus une déception qu'une surprise», indiquait l'auteure interviewée en mai

Le 11 septembre 2018, Wanuri Kahiu et l’ONG The Creative Working Group ont demandé la levée de la censure dont est frappé le long-métrage.


La réalisatrice s’arc-boute sur sa confiance en la Constitution du Kenya. Reconnaissant le rôle crucial des arts dans la transformation sociale, le texte garantit la liberté de création artistique, parallèlement à la liberté académique et à la liberté de recherche scientifique (article 33).
 
Le 21 septembre, après plus de cinq mois de lutte, la juge Wilfrida Okwany de la Haute Cour de Nairobi a autorisé la diffusion temporaire du film. Rafiki sera ainsi diffusé du 23 au 29 septembre 2018 au Kenya. Cette mesure permet au long métrage de concourir aux Oscars 2019. «Je ne suis pas convaincue que le Kenya soit une société si faible dont le fondement moral sera ébranlé en regardant simplement un film abordant des thèmes homosexuels... Les artistes kényans sont obligés de s’enfuir du pays et de chercher asile à cause de leurs créations contre les attentes de la société», a indiqué la juge. 
 
Les critères de sélection pour les Oscars dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère imposent une «sortie du film dans le pays qui le soumet entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2018» et ce, «pour une période de sept jours consécutifs dans une salle de cinéma à but commercial». Ces sept jours ont été accordés à point nommé.  
 
Malgré cette levée temporaire de la censure, la plupart des Kényans restent très hostiles au film. A l’instar du patron de la KFCB, Ezekiel Mutua. «Le débat sur Rafiki ne porte pas sur la liberté. Il s'agit de nos valeurs essentielles. Le raffut sur la liberté artistique est un leurre. Le (véritable objectif) est de corrompre notre culture et nos valeurs morales et de l'institution qu’est la famille», a-t-il indiqué dans un tweet. 


Avec Rafiki, a expliqué Wanuri Kahiu lors d’un entretien accordé à la BBC en juillet 2018, «mon intention était de raconter une histoire qu’un public kényan mature peut regarder, dont il peut débattre, se faire une opinion et décider de le voir ou non». Si le combat pour libérer la parole sur l'homosexualité est loin d'être achevé au Kenya, «la liberté d’expression est un droit constitutionnel», a rappelé la cinéaste.

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