Egypte : Alaa Abdel Fattah, blogueur libre le jour, prisonnier la nuit
Cet activiste égyptien libéré en mars après cinq ans de prison, passe toutes ses nuits en cellule au commissariat de police, un "calvaire" qu'il devra endurer pendant cinq ans encore.
En 2013, il avait été arrêté après avoir manifesté contre une loi rendant quasi-impossibles les manifestations en Egypte. Durant la dernière décennie, Alaa Abdel Fattah a été emprisonné sous la présidence Moubarak, sous le régime de son successeur islamiste Mohamed Morsi et sous celui d'Abdel Fattah al-Sissi.
Aujourd'hui âgé de 37 ans, Alaa Abdel Fattah doit s'astreindre à un sévère contrôle judiciaire : chaque soir, il doit se rendre à 18h au commissariat proche de son domicile du Caire pour ne le quitter que le lendemain à 6h. "Il n'y a pas un moment dans la journée où cette liberté surveillée ne me travaille pas", dit-il à l'AFP dans son premier entretien pour un média international.
Chaque matin, l'homme dont le visage a fait le tour des réseaux sociaux, devenant un symbole de la répression contre toute critique du régime, passe du temps avec son fils Khaled qu'il emmène à la crèche ou à des leçons de natation. Ce blogueur et programmeur informatique essaie ensuite de se remettre à ses projets de codage.
"Pression psychologique"
Le reste du temps, il rencontre ses amis et ses avocats pour discuter de son sort judiciaire. Puis vers 16h, alors que les embouteillages envahissent la ville, il s'arrange pour regagner son quartier et être à l'heure au commissariat. "J'essaie de rester occupé chaque jour pour avoir la sensation d'accomplir quelque chose, dit-il avant d'ajouter : Je dois aussi penser aux fonctions biologiques de base, car là où je dors il n'y a pas de toilettes propres."
Ce rythme d'homme libre le jour et de prisonnier la nuit a déjà commencé à l'affecter.
Je coopère avec l'Etat chaque jour à la destruction de ma vie... ce qui génère une immense pression psychologique
Alaa Abdel Fattah, blogueurà l'AFP
La vie chamboulée d'Alaa Abdel Fattah a également des conséquences sur sa famille qui s'inquiète pour sa sécurité dans le commissariat où tout moyen de communication est interdit.
Rupture du jeûne en famille
Mona Seif, sa sœur, également engagée en faveur des droits humains, assure qu'elle n'arrive toujours pas à comprendre le sort réservé à son frère. Elle se dit déterminée à militer pour lui et pour d'autres contre cet éprouvant système de liberté surveillée. "C'est tellement déconcertant de voir son frère enfermé chaque jour... à 10 minutes de la maison", dit-elle à l'AFP.
Sa mère, Laila Soueif, elle aussi activiste des droits humains connue, dénonce l'application d'une loi de 1945 fixant les termes de la liberté surveillée. Lors du mois de ramadan, qui se termine cette semaine, elle a lutté pour pouvoir partager avec son fils, après le coucher du soleil, l'iftar ou repas de rupture du jeûne. En effet, son rendez-vous quotidien au commissariat tombe avant les derniers rayons du soleil. Mme Soueif a alors organisé l'iftar devant le commissariat.
Un soir, un officier de police a tenté de prendre un dessert qu'elle avait apporté pour son fils. "Le policier pensait qu'il allait ainsi nous faire partir, c'est grotesque", dit-elle.
علاء عبد الفتاح يطالب بأجازة للجميع من المراقبة في عيد الفطر. #عيد_بلا_مراقبة#سجن_نص_اليوم pic.twitter.com/mQEFZG0704
— صوت الزنزانة (@ZenzanaVoice) June 2, 2019
(Alaa Abdel Fattah demande la levée de la surveillance pour tous pendant l'Aïd)
Les autorités ont fini par laisser le blogueur passer l'iftar avec sa famille après de vives protestations sur les réseaux sociaux dénonçant un traitement injuste vis-à-vis d'autres ex-détenus en liberté surveillée.
"Cette heure et demie supplémentaire a fait la différence car il passe du temps avec nous et son fils", explique Mme Soueif. Surnommé "l'icône de la révolution" de 2011, qui a provoqué la chute du régime d'Hosni Moubarak, Alaa Abdel Fattah continue de s'exprimer sur les réseaux sociaux, sous le gouvernement autoritaire du président Abdel Fattah al-Sissi.
Semblant de vie
Il défend les droits d'autres personnes, comme le photojournaliste Mahmoud Abu-Zeid, alias Shawkan, également contraints de passer leurs nuits derrière les barreaux après leur sortie de prison.
Ce défenseur des droits de l'Homme n'a pas perdu de sa verve, mais il dit avoir été menacé à deux reprises par des officiers de la sécurité nationale lui demandant de cesser de s'exprimer publiquement sur sa liberté surveillée. Contacté par l'AFP à plusieurs reprises, le porte-parole du ministère de l'Intérieur n'a pas donné suite. Les organisations de défense des droits humains critiquent régulièrement l'application de la loi sur la liberté conditionnelle, estimant qu'elle servait à punir et réduire au silence les dissidents.
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