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Afrique: du nouveau dans le berceau de l'humanité

Cela devient presque un poncif de le dire: l’Afrique est le berceau de l’humanité, elle-même fruit d’une longue, très longue évolution. Des faits que les scientifiques sont unanimes à reconnaître, comme l’a rappelé le colloque «Etre humain? Archéologie des origines», organisé à Toulouse par l’Inrap et le Muséum de Toulouse, les 9 et 10 novembre 2018. Compte-rendu.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Little Foot, premier squelette presque complet d'australopithèque, vieux de 3,5 millions d'années (Ron Clarke)

«Le genre homo, c’est une famille d’espèces partageant un ancêtre commun et ayant un même niveau d’adaptation», a expliqué, lors de son intervention au colloque, José Braga, professeur à l’Université de Toulouse et chercheur associé à l’Université de Witwatersrand (Afrique du Sud). Certains scientifiques n’hésitent pas à parler de «super-famille Hominodea (hominoïdes)». Les hominoïdes étant, selon la définition du Petit Robert, une «superfamille de primates dépourvus de queues».

Tout cela est un peu compliqué pour les non-initiés. D'autant que dans cette «super-famille», on trouve pêle-mêle l’orang-outan, le gorille, l’australopithèque, le paranthrope, l’Homo («genre de la famille des hominidés auquel appartient l’espèce humaine», dixit le Petit Robert) et ses variantes (Homo habilis…). On pourrait continuer!

Mais une chose est acquise: il y a 2 millions d’années et plus vivaient en Afrique des êtres vivants qui commençaient à ressembler à ce qui deviendra, bien plus tard, l’Homo sapiens. C’est-à-dire nous. «Depuis 1924, on a ainsi découvert sur le continent des centaines de fossiles appartenant à 12 espèces de trois genres majeurs», a rapporté lors de son intervention Ron Clarke, paléoanthropologue à l’Université de Witwatersrand. 

«Des fossiles incroyablement humains d’adultes et d’enfants», a précisé José Braga. L’on a même retrouvé des traces… de leurs pas. Un site à Laetoli (Tanzanie) a ainsi livré des empreintes, exceptionnellement conservées dans de la cendre volcanique, de deux australopithèques afarensis marchant côte-à-côte. Ils avaient des orteils très gros, ce qui dénote une forme de pied assez primitive.

Cyril Ramaphosa (aujourd'hui président de l'Afrique du Sud), alors vice-président, embrasse le 10 septembre 2015 une réplique du crâne de Homo naledi, petit homme fossile vieux de «seulement» 300.000 ans (REUTERS/Siphiwe Sibeko)

C’est là encore un poncif : l’homo sapiens est le fruit d’une très, très longue évolution. Une évolution qui a vu certaines espèces remplacées par d’autres, les paranthropes par les australopithèques, par exemple, comme le montrent les découvertes faites en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. «Les variations climatiques peuvent expliquer certains changements, avec par exemple des alternances de phases humides et sèches», a expliqué José Braga. Aujourd’hui, les chercheurs disposent de moyens tellement sophistiqués qu’ils peuvent, dans certains cas, mesurer… la force des vents! Et ce grâce à «l’étude micromorphologique des particules fines produites par l’érosion» éolienne.

Litte Foot
Les mêmes scientifiques remontent toujours plus haut dans le temps. En 1974, le Français Yves Coppens et l’Américain Donald Johanson découvraient dans le désert de l’Afar, au nord-est de l’Ethiopie, les restes de la fameuse Lucy, vieille de 3,2 millions d’années. En 1994, Ron Clarke retrouve dans une boîte quatre petits os fossiles provenant d’une grotte de Sterkfontein, près de Johannesburg. Morceaux qui appartiennent à un même pied. Trois ans plus tard, le scientifique sud-africain aperçoit, toujours dans une boîte, d’autres éléments du même pied et un fragment de tibia droit.

Bien inspiré, il envoie dans la grotte deux membres de son équipe. Lesquels vont finir par mettre la main sur un morceau d’os fossile coïncidant exactement avec le tibia! Heureux hasard qui fait faire un bond de géant à la science…

Le professeur Ron Clarke avec le squelette de Little Foot lors d'une conférence de presse à l'Université du Witwatersrand à Johannesburg en décembre 2017 (Kathleen Kuman)

Ron Clarke et son équipe vont ainsi poursuivre les fouilles et pouvoir reconstituer «le squelette d’australopithèque le plus complet à ce jour», a-t-il raconté à Toulouse. L’évènement est aussi important que la découverte de Lucy, dont les restes sont moins complets. Ce squelette, appelé «Little Foot» («Petit Pied» en anglais), vieux de 3,5 millions d’années, a été «momifié grâce à la sécheresse environnante, ce qui a assuré sa conservation jusqu’à aujourd’hui», a observé le scientifique sud-africain.

Little Foot se tenait debout. Il «mesurait 1,30 mètre et était très ressemblant à l’homme. Les proportions de ses membres étaient similaires à celles d’un humain moderne. C’est le cas de sa main, par exemple, même si elle était beaucoup plus musclée», a observé Ron Clarke. «De fait, son squelette possède des caractéristiques anciennes et modernes. Les australopithèques sont des pré-humains», a précisé à Géopolis en marge du colloque Laurent Bruxelles, géomorphologue à l’Inrap, qui travaille sur ce dossier. Il a co-signé, notamment avec Ron Clarke, un article sur le sujet dans la très réputée revue Nature.

Outils en pierre vieux de 3,3 millions d’années
«Pré-humains» ou pas, les australopithèques savaient en tout cas déjà fabriquer des outils de pierre, tels des nucléus (bloc de pierre débité pour produire des éclats, des lames…) et des enclumes. C’est ce qu’a prouvé le site de Lomekwi, près du lac Turkana (Kenya), qui a livré en 2011 des objets datés de 3,3 millions d’années. Jusque-là, les plus anciens outils connus, découverts en Ethiopie, étaient vieux de «seulement» 2,6 millions d’années.

Le chercheur français Laurent Bruxelles au chevet de Little Foot dans la grotte de Sterkfontein =(Afrique du Sud) en 2010 (FRANCIS DURANTHON / TOULOUSE MUSEUM / AFP)

«Personne n’aurait imaginé qu’au-delà de 3 millions d’années existait une industrie lithique» (relatif à la pierre), a indiqué lors de son intervention Michel Brenet, responsable d’opération à l’Inrap. Ce dernier, qui a co-signé dans Nature un article sur Lomekwi, étudie, à partir des découvertes kenyanes, «les capacités cognitives et motrices des premiers homininés» («sous-famille de primates (…) comprenant l’homme et les australopithèques», selon la définition du Petit Robert) lors de la fabrication d’outils en pierre.   

Autant d’éléments scientifiques prouvant que «l’Afrique est le berceau de l’humanité», explique Laurent Bruxelles. «Toute l’Afrique», dit-il. Et pas uniquement la partie australe du continent et l’Afrique du Sud. «Sterkfontein est un piège géologique» qui a permis de découvrir les restes de Little Foot. «Nous devons donc en chercher d’autres» pour compléter l’histoire, poursuit le scientifique. A l’heure de l’intelligence artificielle et de «l’homme augmenté», on n’a sans doute pas fini de faire des découvertes sur l’origine de l’humain. «A suivre !», comme l’a dit José Bréga à Géopolis.

Crâne, face vers le bas, et humérus de l'australopithèque Little Foot en cours de dégagement dans la grotte de Silberberg à Sterkfontein (Afrique du Sud). (Laurent Bruxelles, Inrap)



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