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Sénégal : des graffitis contre le coronavirus

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour

Au Sénégal, les artistes graffeurs des collectifs Doxandem Squad, RBS Crew et Undu Graffiti utilisent leur savoir-faire pour informer la population sur les gestes barrières universels à adopter, sur les risques encourus par les plus démunis et rendre hommage au personnel médical.

La Fondation Dapper édite depuis 2018 des livres d’art numériques et les propose en téléchargement gratuit sur son site internet. "Le Graffiti pour sauver des vies", son dernier ouvrage richement illustré et écrit par Aude Leveau Mac Elhone, montre comment l'art urbain au Sénégal s'engage dans la lutte contre le coronavirus.

Au Sénégal, le graffiti est né à la fin de années 1980 avec le mouvement politique et social Set Setal, expression qui, en wolof, signifie "propre" (set) et "rendre propre" (setal). Des jeunes veulent alors lancer un programme de nettoyage et d’embellissement de Dakar et vont pour cela investir les murs de la capitale. Plus tard, l’Etat sénégalais soutiendra cette initiative. Mais l’historien Mamadou Diouf ajoute aussi que "ce double terme renvoie aux notions de propreté́ morale face à la corruption de la classe dirigeante". Set Setal marque l’irruption de la jeunesse urbaine dans l’espace public sénégalais et l’émergence d’une conscience citoyenne.   (RBS CREW)
Considéré́ comme l’un des pères du graffiti africain, Docta, créé en 1994 Doxandem Squad, la première structure sénégalaise consacré à cet art et aux cultures urbaines. Sous l’impulsion d’ONG, la quinzaine de membres de ce collectif aborde, à travers leurs créations, des problématiques sociales et sanitaires. Devenus l’iconographie majoritaire du collectif, ces thèmes donnent aux graffitis une fonction éducative. Pour appuyer leurs messages, ils accompagnent leurs images de textes. (DOXANDEM SQUAD)
Docta explique : "Même si j’aime graffer librement, c’est bien aussi de demander l’autorisation, afin que les Sénégalais comprennent l’acte citoyen qu’il y a derrière le message. Aujourd’hui, même après le Set Setal, on continue de nettoyer le sol et les alentours avant de peindre. Il faut donner un sentiment de propreté, pas de vandalisme. Nous, les graffeurs sénégalais, on ne parle pas de nous avec notre blaze (pseudonyme traditionnellement choisi par chaque graffeur pour exercer son art). Ce qu’on fait doit avoir un impact positif sur la société. Cette démarche est aujourd’hui répandue partout en Afrique." (DOXANDEM SQUAD)
Docta et son collectif créent en 2008 la caravane Graff & Santé pour "soigner le corps et les murs". Ils favorisent ainsi la prévention sanitaire et médicale (hygiène, paludisme, maladies sexuellement transmissibles…) auprès des populations qui ont difficilement accès aux soins. Ils réalisent aussi des images sur des sujets de santé publique comme le blanchiment de la peau. Et en 2010, ils mettent sur pied le plus grand festival de graffiti du Sénégal, le Festigraff. (RBS CREW / SEYLLOU / AFP)
"Graff & Santé est un programme qui permet d’aller dans les zones les plus reculées du Sénégal pour sensibiliser la population à des sujets de santé comme le paludisme, le sida, la tuberculose… (…) Ce qu’on fait en ce moment pour le coronavirus, c’est un dérivé de Graff & Santé. Nous, les graffeurs, nous ne sommes pas des médecins mais nous nous battons avec eux, nous sommes le trait d’union entre le personnel médical et la population. On essaie de faire en sorte que les gens respectent les gestes barrières : éviter de partager des tasses de thé comme on a l’habitude de le faire, ne plus se rassembler… Il faut être sur le qui-vive jusqu’à ce que la pandémie disparaisse", explique Docta.   (RBS CREW / SEYLLOU / AFP)
En 2011, Ati Diallo est un jeune homme fan de hip fop et de street art. Alors qu’il suit une formation en management culturel, il rencontre Docta. Ensemble, ils vont continuer à développer le Doxandem Squad, Graff & Santé et le Festigraff. Devenu aujourd’hui un spécialiste dans le domaine de l’art urbain, Ati Diallo gère de très nombreux artistes. A l’initiative des premiers graffitis sur le coronavirus à Dakar et dans la lignée de la caravane Graff & Santé, il entend inciter les artistes Undu Graffiti, le dernier-né des collectifs, à  participer à son projet de peindre sur les murs pour faire prendre conscience aux Sénégalais des dangers du coronavirus.   (RBS CREW)
Undu Graffiti a été créé en 2018 par l’artiste Mbautta, accompagné de Charle Styles, Ounda et O’markrak. Tous les quatre ont fait leurs armes grâce au Doxandem Squad. Ils se sont spécialisés dans le freestyle, création de fresques en direct, sous les yeux des spectateurs. A travers ces réalisations, il s’agit d’apprendre au plus grand nombre l’importance des gestes barrières : se protéger, de protéger les autres, alerter sur les risques encourus par les plus fragiles et rendre hommage aux soignants. (UNDU GRAFFITI)
Ati Diallo souligne que "le graffiti est très engagé socialement et spirituellement. Beaucoup d’artistes européens mettent l’accent sur leur blaze. En Afrique, le graffeur doit plutôt avoir un message fort qui doit parler à la jeunesse ou à l’Etat". L’auteure du livre, Aude Leveau Mac Elhone, ajoute : "Les lieux investis sont remis en état et nettoyés. Colorés, ils deviennent souvent un petit marché ou un lieu d’échanges pour la population, qui se réapproprie des zones longtemps abandonnées. Les artistes abordent des thèmes comme l’immigration clandestine, la santé, l’environnement ou le respect des ainés". (RBS CREW)
D’autres collectifs, comme RBS Crew (Radikl Bomb Shot), créé en 2012 par MadZoo et deux autres artistes graffeurs King Mow et Krafts, luttent à leur façon contre le coronavirus en s’inspirant des milliers d’images liées à la pandémie et vues sur internet. "Nous sommes trois anciens du Doxandem Squad, avec lequel on a participé́ aux débuts du Festigraff et de Graff & Santé", précise MadZoo. (RBS CREW / SEYLLOU / AFP)
MadZoo explique qu’"au Sénégal, le graffiti a une grande dimension sociale et inclut totalement les populations. L’art s’adapte aux réalités locales. Ce n’est pas une bataille entre l’ordre établi et nous, c’est un travail de conscientisation. Ce n’est pas une lutte acharnée, c’est un moyen de conversation. Le graffiti est la voix du peuple". Ce collectif a également créé́ le festival Last Wall Tour, pour délocaliser le graffiti sénégalais dans les régions reculées du pays.   (RBS CREW)

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