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Sans identité légale: l’apatridie, un mal qui ronge l’Afrique de l’Ouest

Le terme apatride désigne une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant. Ils sont plus d’un million à être dans ce cas en Afrique de l’Ouest et à vivre sans identité légale. Comment y mettre fin? La question a été débattue le 23 janvier à Dakar au Sénégal.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Migration de nomades Fulani avec leur zébus dans la savane de Loumia au Tchad, dans la région sahélienne. De nombreuses familles nomades figurent parmi les apatrides répértoriés en Afrique de l'Ouest. (Photo AFP/Charton Franck)

Rien qu’en Côte d’Ivoire, le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) a dénombré quelque 700.000 personnes sans documents d’identité.
La plupart de ces apatrides sont des migrants d’ascendance burkinabè venus travailler dans les plantations de cacao et qui n’ont pas été éligibles à la nationalité ivoirienne après l’indépendance du pays.
 
«En effet, la Côte d’Ivoire bat les records avec des statistiques plus ou moins fiables. Les autres pays de l’Afrique de l’Ouest ont des statistiques qui ne sont pas pointues», confirme le représentant du HCR en Côte d’Ivoire, Mohamed Touré, au micro de RFI.
 
«Un véritable cauchemar»
L’apatridie, explique le HCR, signifie «une vie sans éducation, ni soins de santé ou emploi formel, une vie sans liberté de mouvement, sans espoir ni perspective». De nombreux apatrides tentent d’y échapper en ayant recours à la fraude pour s’assurer une certaine existence juridique avec une fausse identité.
 
«C’est effrayant et inimaginable pour ceux dont l’appartenance à une nation est une évidence et essentiel pour pouvoir participer dans la société», raconte dans les colonnes de Libération la cantatrice Barbara Hendricks, ambassadrice de bonne volonté du HCR.
 
Lors d’un séjour en Côte d’Ivoire en 2014, elle a rencontré des apatrides qui lui ont exposé leur chemin de croix.
 
«Je ne peux pas ouvrir un compte en banque, je ne peux pas voter, je ne peux pas acheter de terres, je ne peux pas aider mes enfants autant que je voudrais. C’est un véritable cauchemar», témoigne Antoinette, une apatride de 35 ans.
 
Des milliers d’enfants en déshérence
En Côte d’Ivoire, un enfant sur trois n’est pas déclaré à l’état civil. Au Sénégal, c’est un enfant sur quatre qui n’y figure pas. Devenus adultes, ils sont des milliers condamnés à mener une existence hors la loi. 
 
«Un enfant sans-papiers est comme un enfant qui n’est pas né, il n’existe pas», explique Elise, mère de trois enfants qui ont eu la chance de recevoir leurs actes de naissance dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Mais des milliers d’autres restent invisibles.
 
Des migrants venus du Burkina Faso travaillent dans une plantation de cacao dans le centre de la Côte d'Ivoire. Le pays compte 700.000 apatrides sur le million réparti dans la sous-région ouest-africaine. (Photo AFP/Georges Gobet)

«On perpétue le problème»
Selon une étude réalisée pour le compte du HCR, de nombreux enfants font partie des populations à risque d’apatridie dans la sous-région ouest-africaine. Il s’agit notamment des enfants nés hors mariage, des nouveaux-nés abandonnés et des enfants orphelins.
 
«La plupart des pays d’Afrique n’ont prévu aucune disposition pour protéger ces enfants en leur donnant une nationalité. Ces enfants sont apatrides. S’ils ne sont pas adoptés, ils resteront apatrides et lorsqu’ils auront à leur tour des enfants, ils ne pourront pas leur donner une nationalité. Donc, on perpétue le problème», Explique Emmanuelle Mitte, responsable de l’Unité apatridie au bureau régional du HCR pour l’Afrique de l’Ouest.
 
Au Sénégal, des milliers d’enfants de la rue communément appelés Talibés ne sont pas inscrits sur les registres d’état civil. Ils ne possèdent aucun papier d’identité pouvant les lier à leur naissance.
 
«Venus des campagnes sénégalaises, bissau-guinéenne, guinéenne ou gambienne, la plupart de ces enfants n’ont pas été enregistrés à la naissance et les maîtres coraniques ne se soucient guerre des conséquences futures pour leurs jeunes élèves», écrit l’hebdomadaire Jeune Afrique.
 
Devenus adultes, ces talibés ne pourront pas accéder aux soins de santé ni à la scolarisation. Abandonnés à eux-mêmes, certains sont soumis à des mariages forcés, au travail précoce ou à l’enrôlement dans les forces armées avant l’âge légal, explique Emmanuelle Mitte, responsable de l’Unité apatridie au Bureau régional du HCR pour l’Afrique de l’Ouest.
 
L’apatridie pas forcément liée aux guerres
Contrairement aux idées reçues, l’apatridie n’est pas seulement liée aux guerres qui déchirent l’Afrique depuis plusieurs décennies.
 
«La plupart des personnes ne sont pas des réfugiés ou des migrants. Le plus souvent, ce sont des personnes qui sont chez elles. Qui n’ont jamais bougé», explique Emmanuelle Mitte. Elles ne figurent donc dans aucun registre d’Etat civil.
 
 En Afrique de l’Ouest, cinq des quinze pays ont un taux d’enregistrement des naissances inférieur à 50%. Sur l’ensemble du continent africain, on compte 20 millions de naissances qui ne sont enregistrées nulle part, selon l’Unicef.
«Dans certains pays, les parents ne mesurent pas l’importance que constitue la déclaration pour leurs enfants. Croyant qu’il ne s’agit que d’une formalité juridique, beaucoup d’entre eux ne prennent pas la peine d’accomplir cette procédure», observe le site Humanium qui explique que la pauvreté peut pousser les parents à abandonner leurs enfants ou à les vendre.
 
L’Afrique de l’Ouest veut tourner la page
Depuis 2014, une campagne mondiale a été lancée sous l’égide du HCR dans le but d’éradiquer l’apatridie en 2024. L’Afrique de l’Ouest y participe activement et a pris une longueur d’avance.
 
«C’est l’une des rares entités sous-régionales qui a mis en place une déclaration et des documents rigides pour éradiquer l’apatridie dans les dix prochaines années», fait remarquer Emmanuelle Mitte.
 
Les pays d’Afrique de l’Ouest ont adopté en février 2015 la Déclaration d’Abidjan sur l’éradication de l’apatridie. Ce document, qui contient 25 engagements, souligne l’importance pour les Etats de faire leur possible pour que chacun dans la région ait une nationalité reconnue par tous.
 
Le HCR note que des avancées ont été constatées dans certains pays et que des milliers de personnes, jusque-là considérées comme apatrides, sont en train de sortir de l’ombre pour retrouver leur droit fondamental à la nationalité.

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