Reportage "En tant que citoyen français, c'est important de regarder ça en face" : des lycéens se rendent au Rwanda pour visiter des mémoriaux du génocide

Dimanche le Rwanda a commémoré les 30 ans du génocide contre les Tutsis. Un devoir de mémoire qui invite aussi la France à se confronter à sa propre histoire pendant cette période. Des lycéens français en ont fait l'expérience directe en se rendant sur place.
Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
L'entrée du mémorial de Murambi, au sud du Rwanda. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

En ce jour des commémorations des 30 ans du génocide au Rwanda dimanche 7 avril, les mots forts d'Emmanuel Macron dans une vidéo publiée à cette occasion. Il y répète plus ou moins ce qu'il avait déjà déclaré le 27 mai 2021, que la France et ses alliés occidentaux et africains "auraient pu arrêter le génocide mais n'en avaient pas eu la volonté". Près d'un million de personnes ont été massacrées entre avril et juillet 1994 dans tout le pays. Le rapport Duclert avait déjà établi la responsabilité de la France dirigée à l'époque par François Mitterrand.

C'est à cette implication française dans l'une des pires tueries de masse du XXe siècle qu'ont été confrontés un groupe d'élèves français en terminale spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques au lycée Thierry-Maulnier à Nice. Emmenés par deux professeurs, la rescapée du génocide Félicité Lyamukuru et l'historien Marcel Kabanda, ils sont allés dans plusieurs mémoriaux dont celui de Murambi, dans le sud du pays, où 50 000 personnes ont été massacrées dans une école où les restes des corps sont exposés au public aujourd'hui.

La rescapée du génocide Félicité Lyamukuru, près du mémorial de Murambi. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

"Est-ce que tout le monde a un Kleenex ou deux ? Parce que vous risquez d'en avoir besoin", conseille Muriel Blanc, professeure d'histoire-géographie au lycée Thierry-Maulnier dans le car qui emmène la classe au mémorial de Murambi, à 3h30 de routes de Kigali, la capitale rwandaise. 

"Ce n'est pas parce qu'on leur demande de prendre un mouchoir que l'on est dans l'émotionnel. C'est vraiment un devoir d'histoire plus que de mémoire."

Muriel Blanc, professeure d'histoire-géographie

à franceinfo

Sa collègue Bénédicte Gilardi, professeure documentaliste, complète : "On veut absolument les former dès le mois de septembre à ce qu'ils vont recevoir comme images ou comme témoignages". Une première image émouvante néanmoins, en arrivant devant le mémorial entouré par des collines verdoyantes et paisibles, les immenses stèles noires sur lesquelles sont gravés les noms des 50 000 victimes.

Sur les murs, des affiches, des photos

Juste avant d'arriver au mémorial, Marcel Kabanda, historien franco-rwandais et président d'Ibuka France, association pour la mémoire des victimes du génocide, avait donné aux élèves quelques repères historiques. "Ce mémorial est emblématique du rôle de l'administration territoriale dans l'organisation du génocide, explique-t-il. Le préfet de cette région, donc le responsable de ça, qui s'appelait Laurent, s'est réfugié en France, il est resté 27 ans sans être poursuivi, puis il y a eu un procès, un jugement en première instance, il a été condamné à 25 ans de prison, il a fait appel et entre la première instance et l'appel il est décédé, en novembre dernier. Il est mort innocent, on ne peut pas dire qu'il est génocidaire car il n'a pas été reconnu coupable. C'étaient des bâtiments censés abriter une école et c'est là que ces personnes ont été tuées." 

"Je vous rappelle qu'il y a eu 50 000 morts. Certains espaces peuvent être dérangeants. Si vous vous sentez mal à l'aise, n'insistez pas."

Marcel Kabanda, historien franco-rwandais

devant les lycéens


Sur les murs de l'ancienne école technique de Murambi, des affiches, des photos, des textes officiels rappellent les pogroms anti-Tutsi dès les années 50, l'impact de la propagande d'État et comment les massacres de 1994 ont été planifiés par les autorités. "Les Tutsis étaient tués avec des machettes, avec des grenades, avec des fusils", énumère Stanley devant le groupe d'élèves silencieux. Lui, dont toute la famille a été décimée en 1994, précise que pour "être tué avec un fusil, il fallait payer".

Des élèves de terminale du lycée Thierry-Maulnier de Nice, sur le site des mémoriaux. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

Devant les photos intimes et banales de victimes, les élèves cherchent leurs mots. "C'étaient des enfants, ils ne méritaient pas ça", déplore Hamza à leurs côtés. Félicité Lyamukuru, une survivante qui travaille à la transmission de la mémoire et accompagne la classe, répond que "les adultes non plus, personne ne le méritait, mais c'est vrai que voir des enfants qui ne savaient pas ce qu'il leur arrivait être assassinés..."

Corps momifiés dans les dortoirs

Après un dernier avertissement du guide, les élèves entrent par petits groupes dans les dortoirs situés dans la pénombre. Bénédicte Gilardi leur précise que "ces vêtements, on a fait le choix de les laisser sur place, là où les personnes ont été tuées". Un caleçon délavé est encore visible sur un petit corps d'enfant, une touffe de cheveux et une bouche ouverte comme un cri de torture sur un autre squelette.
Sidérés, effrayés, en pleurs parfois, les lycéens se soutiennent les uns les autres devant ces enchevêtrements abominables des corps momifiés, décharnées et blanchis à la chaux.

"Ils les ont d'abord laissés mourir de faim et de soif pendant deux semaines et sont venus achever ceux qui avaient survécu à la grenade, au fusil, à la machette", souffle Félicité Lyamukuru. Une lycéenne sort précipitamment de la pièce les larmes aux yeux. Une autre précise que même en ayant été préparée par l'équipe enseignante, "voir est un énorme choc. Ça fait mal". Félix secoue la tête, "l'odeur impacte énormément, ça rend la chose réelle, c'est bouleversant. En tant qu'étudiant en histoire, regarder la mort en face a un impact bien plus significatif, pas pour comprendre un génocide, c'est impossible mais pour s'en rendre compte. On est jamais assez préparé à ça". 

"C'est un décor super joli, tout est beau, on dirait presque un paradis, quand on voit l'histoire de ce lieu c’est tout le contraire, mais ce décor si beau habite tant de choses sombres."

Danakou, élève de terminale

à franceinfo

Le groupe arrive dans la troisième partie, Stanley le guide attire l'attention des élèves sur deux stèles qui rappellent que dans le cadre de l'opération Turquoise déployée par la France officiellement pour "arrêter les massacres", mais selon Stanley, "au lieu de ça ils ont aidé les génocidaires à fuir en République démocratique du Congo". L'opération Turquoise a permis de sauver 10 000 Tutsis, mais certains militaires sont aussi accusés d'avoir violé des femmes tutsi. L'instruction est au point mort. Le guide montre aussi ce qu'il reste d'un terrain de volley installé par l'armée française quand elle s'est établie à Murambi transformé en camp. "Pour aller récupérer le ballon, les militaires devaient enjamber les fosses" (où les corps des victimes s'entassaient).

Une des stèles du mémorial de Murambi, qui évoque les militaires français. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

"Les noms des militaires ont disparu"

"Pardon, mais avant n'y avait-il pas le nom des militaires ?", s'enquiert Muriel Blanc. "Les textes ont été révisés", répond Stanley, "Ah", réagit l'enseignante qui était déjà venue sur les lieux en 2019, "et à l'époque, il y avait les noms des militaires français impliqués sur les stèles, là ça n'apparaît plus alors je me pose des questions, est-ce que la géopolitique est intervenue dans tout ça et le fait que les relations franco-rwandaises s'améliorent, les noms des militaires ont disparu ou si c'est parler plus largement de l'implication de la France et des lourdes responsabilités de la France dans le génocide contre les Tutsis."

"La honte que c'est qu'il ait commis ces actes et qu'ils ne soient pas jugés, c'est cette impunité qui choque le plus."

Félix, élève de terminale

à franceinfo

"C'est pas normal", lâche une élève. "C'est dur de se dire que nos propres soldats ont pu agir ainsi" déplore Hamza. "En tant que citoyen français, c'est important de regarder ça en face, juge Félix. Anaïs et Céline mesurent la portée de ce voyage au Rwanda sur le plan pédagogique et humain, "c'est bien qu'on ait fait ce voyage parce que même si on a des cours, on ne peut pas vraiment réaliser des atrocités. Malgré les longs mois de préparation, ça reste difficile même pour les professeurs."

Félicité Lyamukuru, "survivante du génocide de 1994", a perdu toute sa famille sauf son frère et en a écrit un livre, L'ouragan a frappé Nyondo. Elle tient à rendre un dernier hommage aux enseignantes. "J'accompagne des professeurs au Rwanda régulièrement comme cette classe, ils sont rares les professeurs qui font un tel travail, elles ont commencé à cinq, elles se sont renseignées, nous ont rencontrées, ont une base de données exceptionnelle. C'est inouï de tisser une relation comme ça."
Un lien indéfectible avec le Rwanda, petit pays d'Afrique de l'Est à plus de 6 000 kilomètres de la France.

REPORTAGE. Des lycéens se rendent au Rwanda pour visiter des mémoriaux du génocide

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