République démocratique du Congo : ils ont 70, 80, 90 et même 100 ans... et ne sont toujours pas à la retraite
Le ministère de la Fonction publique estime à 350 000 le nombre d'agents éligibles à la retraite qui continuent de travailler faute de solde de tout compte et de pension régulière. Reportage AFP.
Certains attendent depuis plus de trente ans. Enseignants ou agents administratifs, ils sont fonctionnaires en République démocratique du Congo et travaillent encore, attendant désespérément un pécule, une pension et une reconnaissance qui ne viennent pas. "Je voudrais que l'Etat me fasse partir avec honneur !", déclare Bayard Kumwimba Dyuba, 84 ans, instituteur dans une école primaire de Lubumbashi, dans le sud-est du pays. L'esprit est vif, mais le dos voûté et "l'audition difficile", s'excuse le petit homme jovial, chemise jaune et casquette bleue, en demandant qu'on répète la question.
"J'ai commencé à enseigner en 1968, le 9 septembre. C'est le métier que j'ai choisi... je ne veux pas l'abandonner. Mais je suis au bout de mes forces."
Bayard Kumwimba Dyuba, 84 ans, instituteurà l'AFP
Pourquoi ne part-il pas à la retraite, alors ? "Je veux partir !, lance-t-il. Mais pas comme ça, sans rien ! Je voudrais qu'on me donne ce que je mérite." Une somme au titre de son "décompte final", quelque chose comme 30 000 dollars (27 316 euros), espère-t-il, suivie d'une pension versée régulièrement. Mais depuis des années, beaucoup d'agents de l'Etat sont oubliés, malgré une loi de 2016 stipulant que sont admis à la retraite ceux ayant atteint l'âge de 65 ans ou cumulé 35 ans de carrière.
"Abandonnés"
"Nous sommes délaissés, presque abandonnés", constate le vieux professeur qui dit gagner un salaire mensuel de 370 000 francs congolais (166 euros). Dans une école primaire voisine de la sienne, la directrice a 78 ans. Françoise Yumba Mitwele est entrée dans l'enseignement en 1962. "C'était ma vocation, j'adore enseigner", sourit-elle, droite et pimpante dans son ensemble en pagne coloré. Comme Bayard, elle est "fatiguée" mais continue à travailler, parce qu'elle attend "une somme pour partir", qu'elle évalue à 25 000 dollars (22 700 euros), de quoi par exemple acheter une maison pour ses enfants.
"Tête haute"
En septembre dernier, le ministre de la Fonction publique, Jean-Pierre Lihau, avait estimé à 350 000 le nombre d'agents éligibles à la retraite. "14 000 ont plus de 90 ans, 256 sont centenaires. Le plus vieux a 110 ans", détaillait-il, en affirmant vouloir œuvrer à un "départ progressif des concernés à une retraite qui soit digne par rapport au passé".
"C'est du déjà entendu, chaque ministre dit la même chose et ensuite rien ne se passe !", critique Hubert Tshiswaka, directeur de l'Institut de recherche en droits humains, qui défend à Lubumbashi les dossiers d'anciens salariés d'entreprises publiques admissibles à la retraite.
"Les pensions n'arrivent pas et les vieux papas et vieilles mamans meurent dans la misère."
Hubert Tshiswaka, directeur de l'Institut de recherche en droits humainsà l'AFP
Françoise Yumba Mitwele est sceptique elle aussi, parce que depuis les déclarations du ministre, rien n'a changé.
"Je voudrais partir la tête haute. Nous n'avons même pas une médaille, que nous pourrions laisser à nos petits-enfants..."
Françoise Yumba Mitwele, 78 ans, directrice d'école primaireà l'AFP
"On attend"
A l'autre bout du pays, dans la capitale Kinshasa, "Petit Pierre" escalade en s'accrochant à la rampe le mauvais escalier qui mène à son bureau, au 1er étage d'une maison bleue du quartier Singa Mopepe dont il est le chef, dans la commune de Lingwala. A 80 ans, Yantula Bobina Pierre Elengesa, de son vrai nom, se félicite lui aussi de travailler "pour un grand service de l'Etat". Comme chef de quartier, il reçoit les habitants, règle leurs problèmes de voisinage ou de logement, fait des recensements...
En 1960, il était percussionniste dans l'orchestre de Joseph Kabasele, alias Grand Kallé, auteur du titre culte Indépendance Cha Cha. Il a arrêté la musique après un grave accident de voiture, en 1963, quand il a été amputé d'une jambe. "J'ai une prothèse, je suis habitué..." Tous les jours, sauf le dimanche, il se réveille à 3h pour éviter les embouteillages et venir à son bureau.
"Vous voyez qu'à l'âge que j'ai, il est temps de me reposer... Mais la retraite ne vient pas. On est là, on attend."
Yantula Bobina Pierre Elengesa, 80 ans, chef de quartierà l'AFP
Le ministère de la Fonction publique n'a pas précisé quelles mesures étaient prises pour permettre le départ de ses vieux agents et n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
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