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RDC : "On tue tous les jours dans l'Est, les civils ne sont pas protégés", affirme Martin Fayulu

L'opposant congolais met en garde contre la prolifération des groupes armés qui agissent en toute impunité. 

Article rédigé par Eléonore Abou Ez
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Martin Fayulu, opposant congolais et candidat malheureux à la présidentielle de 2018. (Martin Fayulu)

L’opposant Martin Fayulu, qui revendique toujours la victoire à la présidentielle de décembre 2018, fait le point sur la situation "alarmante" à l'est de la République démocratique du Congo (RDC), une région déchirée par la violence depuis près de 30 ans. Pourquoi les conflits armés sont sans fin ? A qui profite cette instabilité ? Pourquoi l’ONU n’arrive pas à protéger les civils ? En septembre 2020, il répondait à franceinfo Afrique.

Franceinfo Afrique : le Dr Mukwege, prix Nobel de la Paix, a été récemment menacé de mort pour avoir dénoncé la poursuite des massacres de civils au Sud-Kivu dans l'est du pays. La situation est-elle particulièrement inquiétante ?

Martin Fayulu : la situation est très alarmante. Elle ne fait qu'empirer. Toutes les provinces de l'Est – Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, Tanganyka – sont envahies par des milices dont le nombre ne cesse d’augmenter. Il y a aujourd'hui plus de 140 groupes armés qui font des trafics, attaquent et tuent en toute impunité. Les habitants vivent dans la peur. A Goma, par exemple, il y a eu 17 assassinats la semaine dernière sans compter les enlèvements qui n’arrêtent pas depuis deux ans. Un pays indépendant et souverain qui prétend avoir des institutions ne peut pas vivre ce que la RDC vit aujourd’hui.

Les violences perdurent depuis plus de 25 ans dans l’Est. Pourquoi ? C'est sans fin ?

Depuis plus d’un quart de siècle, il y a eu une tentative d'extermination d'une partie du peuple congolais dans l'est du pays. Il y a une implication d’armées étrangères – Ouganda, Rwanda, Burundi –, celles de pays limitrophes. On a dénoncé leur rôle néfaste dans la déstabilisation de l'Est. Les organisations des droits de l'Homme ont multiplié les appels pour mettre en garde contre la poursuite des violences et des exactions. Tout se voit, tout est connu, mais rien n'est fait pour arrêter ce cycle. Que fait la police ? Que fait l'armée ? Pourquoi tue-t'on malgré la présence des forces de l’ONU ? On est en droit de se poser toutes ces questions.

Pensez-vous que la Monusco (Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC) ne remplit pas son rôle ?

On constate que le civils ne sont pas protégés. On tue tous les jours dans l'Est. La Monusco (plus de 17 000 hommes) doit nous dire pourquoi les civils ne sont pas protégés, comment on continue à tuer en présence des forces onusiennes. Leur mission leur permet d’intervenir pour protéger les civils et stabiliser la situation, mais les résultats sont bien en dessous de ce qu’on attend. En même temps, leur présence évite qu'il y ait plus d’exactions et s’il y a des exactions, ils en sont témoins et pourraient nous dire la vérité.

En 2010, les Nations unies ont publié un rapport exhaustif sur les crimes commis dans l'Est entre 1993 et 2003. Que s'est-il passé depuis ?

Le rapport Mapping de l'ONU est une très bonne chose. Il a permis d’identifier des atrocités, des massacres, des viols, des crimes dont certains peuvent être qualifiés de crimes de guerre. Mais comme l’a dit le Dr Mukwege, ce rapport moisit dans le tiroir d’un bureau à New York. Il faut le sortir, le ressusciter et continuer à faire des investigations. Nous demandons, comme le Dr Mukwege, la création d’un Tribunal international spécial pour la RDC afin d'examiner toutes ces actions, savoir qui sont les auteurs et les instigateurs. Il ne peut pas y avoir de réparation sans vérité et sans justice. La vie des Congolais compte et il y a énormément de souffrances. Des familles ont été décimées, il faut que justice soit rendue. Tant que nous resterons dans le déni de justice et l'impunité, nous ne pourrons pas avoir de paix ni de bonnes relations avec les pays voisins.

L'est de la RDC est particulièrement riche en mines (coltan, cobalt, diamants, or, cuivre...). L'instabilité serait-elle liée au contrôle des ressources minières ?

La situation ne fait qu’empirer. Il y a une prolifération des groupes armés. Qui les finance ? Est-ce que les miliciens sont aidés car il y a des mines ? Est-ce que des gens s’organisent pour protéger ces miliciens, pour maintenir cette instabilité afin qu'eux-mêmes s’enrichissent ? Quels sont les éléments qui font que toute cette région reste instable aujourd’hui ? Il faut qu’on se pose toutes ces questions. Des groupes armés naissent chaque jour, ils ne sont pas inquiétés, ils ont des armes, ils s’enrichissent et se font des millions de dollars. Ca crée des émules donc les autres viennent aussi se servir.

Les richesses du Congo ne profitent pas aux Congolais. Pourquoi ?

La RDC a été priviatisée et ce sont des clans qui en profitent. Le pays ne bénéfécie pas de toutes ces richesses. Il y a un manque de transparence flagrant et une corruption qui gangrène le pays dans tous les domaines. Pourquoi la RDC doit-elle frapper à la porte du FMI ou de la Banque mondiale pour demander de l'aide alors qu'on peut produire des richesses et générer des milliards de dollars. Le problème est qu'il n' y a pas d'institutions réelles, pas de leadership ni de programme. Si nous avions de vraies institutions et une vision claire pour le pays, la vie des Congolais changerait, les grandes industries pourraient en profiter et beaucoup d'Africains pourraient également venir travailler ici. 

Avec ce sombre état des lieux, un jeune Congolais de 20 ans peut-il encore avoir confiance dans l'avenir de son pays ?

Les Congolais ont réclamé le changement et il n'y a pas eu d'alternace lors des élections fin 2018, contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire. M. Tshisekedi a usurpé le pouvoir du peuple et aujourd'hui, c'est M. Kabila qui dirige le pays. Dans ce contexte, les jeunes n'ont aucune perspective et c'est très grave. C'est pourquoi j'appelle à des Assises nationales regroupant toutes les parties prenantes pour mettre en place des réformes, pour faire la Paix des braves. Sinon, le Congo et les Congolais vont encore souffrir. Il faut aller très vite. On ne peut pas attendre 2023 pour de nouvelles élections. La corruption, il faut la fuir comme la Covid-19, sinon le pays n'existera plus.

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