Sommet Afrique-France : "Le paternalisme ne tournera pas la page aussi facilement", affirme le président de l'association Stratégies Africaines
"Le paternalisme mettra quelques années avant de tomber dans les oubliettes", a estimé Patrick Ferras, géopolitologue et président de l’association Stratégies Africaines ce vendredi sur franceinfo.
"Je crois que le paternalisme ne tournera pas la page aussi facilement", explique vendredi 8 octobre sur franceinfo, Patrick Ferras, géopolitologue et président de l’association Stratégies Africaines. Emmanuel Macron participe au Nouveau Sommet Afrique-France qui se tient ce vendredi à Montpellier, en présence de 3 000 acteurs de la société civile africaine, franco-africaine et française. "C'est aussi dans la tête des chefs d'État africains qu'il faut faire sortir le paternalisme, pas simplement dans les têtes des États européens ou de la France", affirme-t-il. "C'est un long travail et ce paternalisme mettra quelques années avant de tomber dans les oubliettes."
franceinfo : Trouvez-vous normal que ce sommet n'ait pas lieu en Afrique ?
Patrick Ferras : Ça ne m'interpelle pas parce qu'il a lieu régulièrement en Afrique ou en France, donc c'est alternativement qu'il a lieu dans les deux continents. Il a simplement lieu encore à Montpellier cette année parce que c'est un report de celui qui devait avoir lieu à Bordeaux l'année dernière, qui a été annulé à cause du Covid-19. Il était consacré à la ville durable. Il est aujourd'hui consacré beaucoup plus à la jeunesse, donc ça montre qu'il y a du dynamisme dans les relations franco-africaines. Donc ce n'est pas simplement Macron qui convoque les élites ou la société civile. C'est une volonté de changer un peu le portage et de s'adresser à d'autres interlocuteurs. Et on avait cela dans le discours de Ouagadougou qu'il a fait en 2017. Mais on avait aussi cela dans "l'effet pangolin", la note qui avait été très décriée en avril 2020 qui, justement, disait qu'il fallait trouver d'autres acteurs. Donc on est vraiment là dans cette définition de nouveaux acteurs et de pouvoir discuter autrement qu'avec des chefs d'État.
La restitution d'œuvres d'art au Bénin annoncée par Emmanuel Macron peut-elle contribuer à faire tourner la page du "paternalisme français" ?
Ça va dans le bon sens. Et puis ça permettra une meilleure relation, si l'on peut dire, entre l'élite culturelle africaine et l'élite culturelle française. Mais je crois que le paternalisme ne tournera pas la page aussi facilement. C'est aussi dans la tête des chefs d'État africains qu'il faut peut-être faire sortir le paternalisme, pas simplement dans les têtes des États européens ou de la France. Par exemple, c'est aux chefs d'État africains d'avoir un changement de mentalité, comme le veut leur jeunesse, leur population. Mais ça, c'est un travail interne dans les États. Et là-dessus, on n'a pas des faits à attendre. On a simplement à constater et à regarder, et à les appuyer. Mais en aucun cas de figure on est là pour faire changer les chefs d'État, c'est à eux de changer leur pays. C'est aux citoyens de tel ou tel pays de faire changer les mentalités. Donc c'est un long travail et ce paternalisme-là mettra quelques années avant de tomber dans les oubliettes.
Est-ce que cela peut passer par l'abandon du franc CFA ?
Le président s'était engagé à changer un petit peu les méthodes de travail. Il a pratiquement donné depuis plus d'un an la main libre, si l'on peut dire, aux États africains, c'est aux États africains maintenant de se relancer. C'est bien de dire que le franc africain va exister. On voit bien que l'éco, pour l'instant, qui va remplacer le CFA, n'est que sur le papier, il n'y a toujours que de la théorie. Mais on est loin d'avoir ne serait-ce qu'un éco pour l'Afrique de l'Ouest. Le CFA avait l'avantage de montrer qu'il pouvait y avoir une organisation monétaire sur huit États en Afrique de l'Ouest. Et on n'est quand même pas passés aujourd'hui à un éco pour l'Afrique de l'Ouest. C'est en train d'être mis en place, mais ça va être aux Africains de prendre le mors aux dents, si l'on peut dire, et de se lancer dans une monnaie africaine. Mais faut-il encore qu'ils aient les moyens de la créer. On sait très bien que ça va partir de l'Afrique de l'Ouest et que ce sera compliqué. On en a encore pour plusieurs années. Rappelez-vous que l'Union européenne ne s'est créée en Union économique et monétaire qu'après de très longues années.
Y a-t-il aussi la volonté d'entraver l'avancée de la Chine sur le continent africain ?
Le problème de la France, c'est qu'elle s'est réveillée un petit peu tard. Quand on regarde, par exemple, que ce forum France-Afrique à Montpellier est surtout destiné à la jeunesse, le prochain sommet Chine-Afrique, qui a lieu tous les trois ans depuis les années 2000, va avoir lieu en fin d'année à Dakar. Mais là, les Chinois annoncent une politique africaine de la Chine sur le plan économique, sécuritaire et politique. Nous, on en est encore loin. Le président de la République a toujours annoncé qu'il n'y avait pas de politique africaine de la France, et c'est à mon avis une erreur parce que la Chine, qui est depuis 20 ans en Afrique, a déjà écrit deux documents de politique étrangère. L'Afrique a besoin de la France et la France a besoin de l'Afrique. Faut-il encore qu'on l'écrive et qu'on soit capable d'écrire une politique française de l'Afrique.
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