Macron à Ouagadougou : un président "spontané et courageux, mais peut-être condescendant et un peu familier"
Pour le premier jour de sa tournée en Afrique, le chef de l’Etat s'est adressé "à la jeunesse africaine" dans un discours peu académique devant des étudiants du Burkina Faso. Décryptage avec Fred Eboko, politologue et spécialiste de l'Afrique.
"Il n'y a plus de politique africaine de la France." Emmanuel Macron est intervenu, mardi 28 novembre, pendant près de trois heures à l'université de Ouagadougou (Burkina Faso), lors du premier jour de sa tournée africaine. Devant 800 étudiants, le président français a proposé de réinventer le partenariat entre la France et l'Afrique, renvoyant plusieurs fois les Africains à leurs responsabilités.
Lors de ce débat, très animé, le président a fait plusieurs annonces demandées par les Burkinabés : la levée du secret-défense sur l'assassinat de l'ancien président Thomas Sankara en 1987, des bourses scolaires destinées en priorité aux filles ou encore des visas de longue durée. Parfois provocateur, le président a reconnu "les crimes de la colonisation" et revendiqué son appartenance à une "génération qui n'a jamais connu une Afrique colonisée".
Un discours empreint de ce qui pourrait constituer de "véritables avancées" pour Fred Eboko, politologue et sociologue spécialiste de l'Afrique, chercheur à l’Institut recherche et développement (IRD), mais qui s'inscrit néanmoins dans la même politique africaine française que ses prédécesseurs, à savoir la défense des intérêts de la France.
Franceinfo : pourquoi Emmanuel Macron a-t-il choisi le Burkina Faso pour son premier discours ?
Fred Eboko : Le Burkina Faso est un pays qui a connu une alternance démocratique avec une véritable mobilisation de la jeunesse en 2014 pour demander le départ de l'ancien président, Blaise Compaoré. C'est un pays très intéressant car la société civile participe beaucoup à la vie publique.
Il a été frappé ces derniers temps par des attentats et est au cœur des mesures internationales pour la lutte contre le terrorisme. Ces deux aspects ont dû compter dans le choix de cette étape.
Si Emmanuel Macron a choisi de se présenter devant des étudiants, c'est pour montrer qu'il n'a rien à se reprocher vis-à-vis de la Françafrique, que c'est un président jeune, sans passif particulier avec l’Afrique en dehors de sa sortie lors du G20 sur la démographie africaine [En juillet 2017, le président Macron a déclaré : "Quand des pays ont encore aujourd'hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien."]
Les Africains de manière générale n'attendent rien de particulier de la France. Ils sont convaincus que la France défend d’abord ses propres intérêts.
Fred Ebokoà franceinfo
Il a sans doute répondu aux attentes de la jeunesse étudiante burkinabée, a favorisé les échanges, a évité de donner des leçons de morale et a rappelé que de nombreuses décisions - comme le choix de rester ou non dans la zone du franc CFA - revenaient aux dirigeants africains. Mais on ne peut pas savoir pour autant ce qu’il va se passer demain, si on va retomber dans la Realpolitik.
De toute façon, les Africains de manière générale n'attendent rien de particulier de la France. Ils sont convaincus que la France défend d’abord ses propres intérêts et se désengage d'une partie de l'Afrique. On peut penser à la réduction des effectifs militaires français en Afrique. La crise sécuritaire liée au terrorisme recentre la réponse militaire française dans le Sahel, et moins en Afrique centrale. Pour l'heure, on ne va pas faire de mauvais procès à Emmanuel Macron, mais il faut attendre les changements réels.
Comment s'est-il distingué de ses prédécesseurs ?
Emmanuel Macron s'est montré très direct, spontané et très ouvert au dialogue. Il a accepté toutes les questions et cela a semblé plaire à l'audience. Il a parlé en tant que président français mais aussi en temps qu'acteur de la jeune génération dont les étudiants en face de lui font partie. C'est une évolution notable.
Nicolas Sarkozy aurait pu avoir une attitude similaire, mais il s’est laissé trompé par ses conseillers. Il a fait preuve d'un mépris profond et d'une méconnaissance abyssale du continent, notamment lors de son discours de Dakar en 2007. [Nicolas Sarkozy avait déclaré que "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire"]. Il aurait pu, puisqu’il était jeune lui aussi, faire ce qu’Emmanuel Macron a fait, mais il a voulu incarner une vision de l'Afrique propre à une vieille garde de sa famille politique. Cette erreur lui a été rappelée durant tout son quinquennat et même François Hollande, qui n'a pas connu de dérapage, a dû gérer ce lourd passif.
Ce discours marque-t-il un tournant dans la politique africaine française ?
Emmanuel Macron a annoncé deux mesures très importantes selon moi : la déclassification des dossiers secret-défense liés à l'assassinat de Thomas Sankara en 1987 et l'assurance que l'Afrique, anciennement sous tutelle française, pouvait décider ou non de rester dans la zone du franc CFA. L’Afrique francophone est extrêmement attentive là-dessus et le président français a été assez subtil. Il a rappelé que les dirigeants africains étaient souverains. C'est une avancée et une marque de respect vis-à-vis de l'Afrique.
Quant aux documents classés "défense" en France, comme il n'y a que le gouvernement français qui peut décider de les déclassifier, c'est une mesure très forte. Une fois annoncée, elle doit entrer en application et ne peut se limiter au discours.
Fred Ebokoà franceinfo
C'est d'ailleurs une attente très symbolique du gouvernement actuel du Burkina, de la famille de Thomas Sankara et de l'opinion africaine. Tous imputent au précédent président Blaise Compaoré, à la France de François Mitterrand et à la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, d'être liés à cet assassinat.
En revanche, s’il y a quelque chose de particulier dans la politique africaine de la France, c'est sa continuité tout au long de la Ve République, quelle que soit la famille politique. Comparés aux présidents du début de la Ve République, Sarkozy, Hollande et Macron n'ont pas connu la période de décolonisation et les guerres d'indépendance au Cameroun ou en Algérie. Mais ils partagent, comme Mitterrand ou Chirac, l'idée que la France doit garder une forme d'influence, de mainmise économique, politique et culturelle dans cet ancien pré-carré.
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