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Les racines africaines de Francia Marquez, première vice-présidente afrodescendante de Colombie, ont nourri son action politique

Défenseure de l'environnement et militante féministe, dont les ancêtres africains ont été déportés en Colombie au XVIIe siècle, elle porte les espoirs d'une communauté socialement et économiquement marginalisée.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le président colombien élu Gustavo Petro et sa colistière Francia Marquez (à droite) célèbrent leur victoire à l'élection présidentielle à la Movistar Arena, dans la capitale colombienne Bogota, le 19 juin 2022.  (DANIEL MUNOZ / AFP)

L'accession de l'Afro-Colombienne Francia Marquez à la vice-présidence de Colombie, suite à l'élection de Gustavo Petro, premier président de gauche de l'histoire du pays, est à l'origine d'une série de réactions enthousiastes chez de nombreux Africains. De quoi réjouir celle dont l'activisme et la carrière politique sont mues par son appartenance à la communauté afrodescendante de Colombie (10% de la population). Une communauté victime d'"un racisme structurel" qu'elle souhaite "éradiquer", a-t-elle indiqué dans son discours de victoire* le 19 juin 2022 à Bogota, la capitale colombienne. 

Le look des origines 

La nouvelle vice-présidente colombienne, qui coiffe ses cheveux crépus en chignon et s'habille avec des d'imprimés semblables à ceux qu'arborent souvent les femmes en Afrique subsaharienne, ne cache pas son attachement à ses racines africaines. Francia Marquez porte littéralement l'Afrique sur elle. Le jour de la victoire de son ticket avec Gustavo Pedro, elle arborait des boucles d'oreilles ayant la forme de la Colombie, comme souvent ces derniers temps, et surtout une broche représentant le continent africain.  

Si la ferveur suscitée chez les Africains est sans commune mesure avec celle déclenchée par l'arrivée à la Maison blanche en 2008 de l'ancien président américain Barack Obama, métis kényan devenu le premier Afro-Américain à accéder à cette fonction, elle la rappelle toutefois. Dans un tweet, l'ancienne présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf a félicité Francia Marquez en soulignant qu'elle serait une source d'inspiration pour "les femmes et les filles noires du monde entier qui visent les fonctions les plus hautes dans leur pays".

Réagissant par ailleurs au tweet d'une universitaire américaine qui soulignait l'intérêt que lui portaient les Afrodescendants à travers le monde − au Kenya, au Nigeria ou encore aux Etats-Unis −, Francia Marquez a répondu : "Je sais que lorsque l'un de nous avance quelque part dans le monde, nous éprouvons tous le sentiment d'un peu de justice. Nous sommes les filles d'un même grand-père." 

Comme elle le rappelait en 2018 en recevant le prix Goldman (équivalent du Nobel pour les militants écologistes) pour son engagement à préserver les terres de La Toma et à les protéger de l'exploitation minière illégale, les ancêtres de Francia Marquez ont été déportés d'Afrique en 1636. Originaires du Congo, du Nigeria ou encore du Mali et réduits en esclavage, ils sont à l'origine d'une communauté afro-colombienne baptisée La Toma. Yolombo, la localité où est née Francia Marquez, se situe au nord de la municipalité de Suarez, dans le département du Cauca (région de la côte Pacifique, à l'ouest du pays, théâtre de la guerre civile et en proie aux violences liées au trafic de drogue et aux ressources inexploitées). 

Francia Marquez se bat depuis qu'elle a 13 ans pour sa communauté et participe à la mobilisation des femmes afrodescendantes à travers plusieurs organisations de la société civile. Entre 2010 et 2013, elle a ainsi présidé l'association des femmes de Yolombo (Asociación de Mujeres Afrodescendientes de Yolombó). C'est avec cette organisation qu'elle a porté les revendications les plus récentes de la communauté de La Toma. 

Victoire politique pour "ceux qui ne sont rien"

A 40 ans, Francia Marquez incarne aujourd'hui un double symbole en Colombie et en Amérique latine. Anielle Franco, la sœur de Marielle Franco, l'activiste brésilienne assassinée en 2018 qui luttait contre les violences policières visant les Noirs, s'est réjouie de sa victoire. La vice-présidente colombienne est désormais un étendard pour la cause afro-féministe et surtout celle des Afro-Colombiens, marginalisés dans leur pays et dans la région. Durant la campagne présidentielle, à laquelle plusieurs candidats afrodescendants ont participé, les attaques et insultes racistes se sont multipliées, notamment envers la colistière de Gustavo Petro qui a pris sa défense à plusieurs reprises. Rien de surprenant dans un pays qui a longtemps occulté l'existence de son premier président noir, Juan José Nieto Gil.

Mère célibataire à 16 ans, elle a été femme de ménage pour financer ses études de droit, après avoir fui avec ses deux garçons sa région d'origine où elle était menacée pour son activisme. En 2019, Francia Marquez a échappé à un assassinat. A l'instar de nombreuses Afro-Colombiennes qui s'engagent pour défendre leur communauté. La Colombie, selon Amnesty International, est le pays "le plus dangereux" pour les défenseurs des droits humains. La militante est devenue, au fil des ans, une femme politique qui n'a pas renoncé à poursuivre son éducation. Elle a finalement obtenu son diplôme d'avocate en 2020

En 2021, l'activiste avait adressé un courrier à Kamala Harris, la vice-présidente des Etats-Unis, une autre pionnière sur le continent américain. Elle y dénonçait les atteintes multiples aux droits de l'Homme dont sont victimes les Afro-Colombiens et les peuples autochtones en Colombie.

Francia Marquez, qui a associé son mouvement Soy Porque Somos ("Je suis parce que nous sommes") à la campagne présidentielle, expliquait en mars 2022 à l'AFP, après son investiture, qu'elle s'engageait pour "ceux dont l'humanité n'est pas reconnue, ceux dont les droits ne sont pas reconnus dans ce pays". Le 19 juin, elle a rappelé que la Colombie se dotait après 214 ans et pour la première fois d'un "gouvernement de gens qui ne sont rien". Francia Marquez compte "créer un ministère de l'Egalité""Je viens d'une ville et d'une région historiquement oubliées. Ma tâche est de garantir les droits de ces territoires exclus et marginalisés, de garantir les droits des populations d'ascendance africaine et indigène", a-t-elle précisé dans un tweet. Sans oublier les femmes. Le président Petro prendra ses fonctions le 7 août prochain. 

*La plupart des liens de cet article sont en espagnol ou en anglais

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