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Le nord du Mozambique, entre islamistes et manne gazière

Sept civils ont été tués et une centaine de maisons brûlées le 5 juin 2018 dans la province de Cabo Delgado (extrême nord du Mozambique) lors d’une attaque attribuée à Al-Shabab («les jeunes» en arabe), groupe qui a émergé dans cette région en 2014 et prône un islam radical. Ces derniers mois, il a multiplié les actions meurtrières. Dans une zone riche en gaz.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Militaires mozambicains patrouillant le 7 mars 2018 à Mocímboa da Praia (nord du pays), après une attaque attribuée à un groupe islamiste radical. (ADRIEN BARBIER / AFP)

L'opération sanglante du 5 juin a visé un village de la province du Cabo Delgado, près de la frontière avec la Tanzanie. «Nous pensons (que les assaillants) font partie du même groupe qui a décapité dix personnes», le 27 mai, dans deux autres villages plus au nord, a déclaré le porte-parole de la police.

Selon cette dernière, Al-Shabab est aussi impliqué dans une attaque le 5 octobre 2017 dans la ville portuaire de Mocímboa da Praia, dans la même province. Des dizaines d’hommes armés avaient alors pris d’assaut le commissariat de police et une caserne de l’armée. Les autorités n'avaient pu reprendre le contrôle de la ville qu'au bout de deux jours de combats.

Dans le même temps, de nombreux habitants accusent le groupe d'avoir procédé depuis octobre à plusieurs dizaines de rapts, en majorité de femmes. A l'image des enlèvements pratiqués à grande échelle par le groupe islamiste Boko Haram au Nigeria.

Une menace minimisée
La menace d’Al-Shebab est «minimisée par le pouvoir central», écrivait Géopolis Afrique le 30 mars. Les autorités évoquent un groupe dont l’objectif serait de «renverser l’ordre établi» et répugnent à le désigner comme «islamiste». Selon elles, celui-ci n’a rien à voir avec les shebabs, islamistes somaliens qui sèment la terreur dans leur pays. Ses membres «commettent des crimes de droit commun. Nous les considérons comme des criminels car ils n'émettent aucune revendication», insiste le porte-parole de la police.

Depuis des mois, les autorités affirment avoir rétabli l’ordre. Plusieurs centaines de musulmans ont été arrêtés, plusieurs mosquées fermées. Les chefs de l’armée et des services de renseignement ont été limogés. «La répression du gouvernement a été lourde» et a provoqué des plaintes dans la population, souligne l'analyste Alex Vines, du centre de réflexion britannique Chatham House.

Ruines d'une mosquée qui aurait été détruite par les forces de sécurité mozambicaines à la suite d'une attaque en octobre 2017 dans le nord du pays. Opération attribuée à un groupe islamiste.  (ADRIEN BARBIER / AFP)

Influences venues des Grands Lacs, de Somalie et du Kenya
Mais qui est exactement ce groupe, nouveau venu dans la sphère djihadiste? «Son véritable nom est Ansar al-Sunna» («Les partisans de la tradition du prophète»), précise dans La Croix Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales.

Le phénomène serait né dans un quartier de Mocímboa da Praia, où «un groupe de jeunes se serait radicalisé à la suite de contacts en Tanzanie, en Somalie, au Soudan et en Arabie Saoudite», rapporte La Croix. Selon l’universitaire mozambicain Joao Pereira, une quarantaine d’entre eux auraient été «entraînés par des mouvements qui opèrent dans la région des Grands Lacs d’abord, en suite en Somalie et au Kenya». «La Tanzanie est un foyer et une zone refuge pour les islamistes. La province de Cabo Delgado touche ce pays: les mêmes communautés habitent de part et d’autre de la frontière», précise Thierry Vircoulon.

A Mocímboa da Praia, l'éclosion d'une frange radicale dans la communauté musulmane était connue de tous. «Cela a commencé il y a trois ans. Une cinquantaine de jeunes se sont alors mis à dire que nous n'étions pas de vrais musulmans», a raconté à l’AFP Ussene Amisse, professeur dans une école coranique.

A leur retour de Somalie, certains auraient alors ordonné à leurs ouailles de ne plus envoyer les enfants à l'école, de ne plus voter, de désobéir aux autorités. «Ils ont suivi l'exemple des fondamentalistes d'autres pays. Nous le savions, nous avions informé nos autorités du danger. Mais nous n'avons pas pu empêcher beaucoup de nos enfants et petits-enfants de les rejoindre», regrette un des chefs religieux de la ville, Amadi Mboni.

La province de Cabo Delgado, «zone de relégation»
Officiellement, le Mozambique (28,7 millions d’habitants) compte 17% de musulmans. Ceux-ci sont près du double, affirment les responsables de leur communauté. Ils vivent en parfaite coexistence avec les autres religions, affirme le Frelimo, parti au pouvoir depuis l'indépendance (1975).

Devant les gratte-ciels de Maputo, capitale du Mozambique (26 octobre 2015) (REUTERS/Grant Lee Neuenburg)

De leur côté, les observateurs notent que ces violences interviennent dans une partie du pays largement oubliée par l’essor économique des années 2000. Lequel a suivi la guerre civile meurtrière de 1976 à 1992. La province de Cabo Delgado «est une zone de relégation. Les populations se sentent abandonnées par le pouvoir central», constate Thierry Vircoulon. C’est aussi «une zone de trafic: de drogue, en particulier, l’héroïne qui vient du Pakistan». Pour lui, Al-Shabab est un acteur comparable aux Allied Democratic Forces (ADF) du Nord-Kivu en RDC: un groupe terrorisant les habitants pour contrôler la région et ses trafics.

«La région est réputée pour les réseaux criminels qui y pullulent, souvent avec la complicité de responsables gouvernementaux haut placés, comme le révélait WikiLeaks en 2010, évoquant un "narco-Etat" en gestation. Drogue, ivoire, pierres précieuses, blanchiment d’argent… La zone est sur la route de tous types de trafics entre l’Asie et l’Afrique du Sud», confirme Le Monde.

Enormes gisements de gaz
Dans le même temps, d'énormes gisements de gaz offshore ont été découverts dans la région de Palma (extrême nord du Mozambique), très proche de la zone où intervient le groupe djihadiste. Surendetté et englué dans la crise, privé d'aide internationale depuis 2016 pour avoir caché une partie de sa lourde dette, le gouvernement de Maputo, qui «se rêve en ''Qatar africain''», en espère des retombées financières sonnantes et trébuchantes. Mais de leur côté, les habitants redoutent de ne percevoir que des miettes de la manne de pétrodollars attendus.

A Mocimboa da Praia, dans le nord du Mozambique, le 8 mars 2018 (ADRIEN BARBIER / AFP)

«L'attente de ces retombées a accru le sentiment d'inégalités parmi les populations marginalisées du Cabo Delgado (...), cela a contribué à la radicalisation des jeunes», analyse Alex Vines. Dans ce contexte, la menace que fait planer le groupe djihadiste hypothèque l’avenir gazier. Pour l’instant, les multinationales chargées d’exploiter le gaz, l’italien Eni et l’américain Anadarko, poursuivent leurs activités. Mais chez le second, cité par Le Monde, on dit être vigilant sur «l’environnement sécuritaire»

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