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L'Algérie et le Gabon sont "dirigés par des leaders qui brillent par leur absence"

C'est "comme si leur présence physique suffisait à assurer le fonctionnement politique du pays", analyse Karine Ramondy dans The Conversation. Selon la chercheuse, cela permet d'assurer "la continuité d’un système solidement ancré de prévarication et de corruption".

Article rédigé par The Conversation
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Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 23 novembre 2017, lors des élections locales.  (RYAD KRAMDI / AFP)

Je ne prétends point être là, ni survenir à l’improviste, ni paraître en habits et chair, ni gouverner par le poids visible de ma personne. Ni répondre aux censeurs, de ma voix ; aux rebelles, d’un œil implacable ; aux ministres fautifs, d’un geste qui suspendrait les têtes à mes ongles. Je règne par l’étonnant pouvoir de l’absence. Mes deux cent soixante-dix palais tramés entre eux de galeries opaques s’emplissent seulement de mes traces alternées. Et des musiques jouent en l’honneur de mon ombre ; des officiers saluent mon siège vide…

Victor Segalen

"Stèles"

Certains pays africains sont aujourd’hui dirigés par des leaders qui brillent par leur absence, et nombreux sont les citoyens africains qui doivent se contenter d’un pouvoir présidentiel incarné par des hommes quasi-fantomatiques, dont les incursions médiatiques s’apparentent à une collection de "rares apparitions".

Le Gabon sous l’emprise de la rumeur

Au Gabon, depuis le 24 octobre dernier, le président a quasi disparu de la vie politique depuis son accident vasculaire cérébral qui peine à être reconnu officiellement. Une vidéo diffusée le 4 décembre a levé partiellement le doute présent dans la tête de nombreux Gabonais que leur président était mort. Dans ce petit film, tourné face caméra, nous pouvons observer le roi du Maroc, Mohammed VI, et de profil Ali Bongo Ondimba, président du Gabon, assis à la gauche de son ami durant « trente seconde d’images coupées et montées » selon TV5 monde. Cette « preuve de vie » sans gros plan sur le président, non sonorisé, montre un homme capable de décoller son dos du fauteuil dans lequel il est assis, de porter un verre de lait à sa bouche avec sa main gauche.

Très dernièrement une nouvelle vidéo, cette fois sonorisée, "preuve de voix", met en scène le président Ali Bongo prononçant ses vœux pour l’année 2019 dans un discours dont les réseaux sociaux ont dénoncé la brièveté et de nombreuses anomalies comme une élocution peu claire, une main droite inerte, des yeux fixes et divergents…

De nombreux Gabonais continuent néanmoins de penser que leur président est mort, qu’il s’agit de sosies, de montages et/ou que, s’il s’agit de lui, son état de santé ne lui permet plus de diriger le pays. Pourtant, la Cour constitutionnelle gabonaise a prononcé l’indisponibilité temporaire de son président et non la vacance du pouvoir, décision qui déclencherait un processus irréversible de transition.

Bouteflika invisible depuis mars 2018

De leur côté, les Algériens sont dans l’attente d’une déclaration qui annoncerait la candidature de leur président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat consécutif aux élections d’avril prochain. Dans les cérémonies officielles, comme dans les discours des membres du gouvernement, les représentations du chef de l’État Bouteflika se sont imposées peu à peu dans le paysage médiatique, comme pour faire oublier son absence physique.

Il faut dire que depuis 2013, date à laquelle il a été affaibli par un AVC, la résidence présidentielle de Zéralda est devenue une véritable forteresse. Selon le sociologue Mohammed Hachemaoui, plus que le « clan Bouteflika », c’est la police politique qui contrôle désormais la situation et commande le pays. En effet, le président n’assure plus aucune activité protocolaire et aucune image officielle n’a été diffusée depuis le 9 avril 2018, date à laquelle il a été vu à Alger à l’inauguration de la mosquée Ketchaoua et de l’extension du métro.

Il y apparaît dans un fauteuil roulant très affaibli et apathique. La photographie tweetée par Manu Valls en avril 2016, suite à sa rencontre avec le président Bouteflika, avait choqué de nombreux Algériens et ce, à raison, car elle présentait un vieil homme affaibli, le regard vitreux, la bouche ouverte face à un premier ministre fringant et dynamique.

A Alger, les services au pouvoir

L’article 88 de la Constitution prévoit la destitution éventuelle du président s’il n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions « pour cause de maladie grave et durable ». Le Conseil constitutionnel doit proposer à l’unanimité au Parlement de « déclarer l’état d’empêchement ». Mais, concrètement, la mise en place de cette disposition est peu probable car une partie des membres du Conseil constitutionnel sont des proches du pouvoir et ils empêchent toute décision à l’unanimité.

Dans la réalité, le pouvoir politique est occupé par le DRS et notamment le général de corps d’armée Mohamed Liamine Mediene alias « Toufik ». Sous son impulsion, Ahmed Ouyahia a été nommé directeur de cabinet de la présidence en 2014, puis premier ministre, alors que ses relations avec Abdelaziz Bouteflika étaient tendues de longue date.

A Port-Gentil, au Gabon, en janvier 2017.  (JUSTIN TALLIS / AFP)

De même, Abdelmoumen Ould Kadour, le PDG (depuis avril 2018) de la Sonatrach (la société nationale des hydrocarbures) et le ministre des Mines Youcef Yousfi, sont très liés au DRS.

Au Gabon, le secteur pétrolier a été pendant des décennies un enjeu soigneusement partagé avec les firmes françaises comme Total. Ali Bongo a quelque peu diversifié ses partenaires étrangers en travaillant avec Olam, firme singapourienne dans l’agroalimentaire, Honest Timber partenaire chinois dans l’exploitation forestière et avec l’Inde par le biais de Manganese Ore India Limited (MOIL) dans l’extraction minière, tout en maintenant une place de choix aux firmes françaises dans de nombreux secteurs.

La continuité de systèmes de prévarication

Ainsi, au Gabon comme en Algérie, le pouvoir présidentiel est incarné par des corps dont les facultés intellectuelles ne sont plus évaluables par les citoyens, comme si leur présence physique suffisait à assurer le fonctionnement politique du pays.

En réalité, cette présence/absence, [ces « immobilités problématiques », assurent seulement la continuité d’un système solidement ancré de prévarication et de corruption, la pérennité de réseaux qui gèrent les affaires politiques et économiques des pays en question qui ont en commun de détenir des gisements d’hydrocarbures très prisés à l’international.

Les enjeux sont de taille pour que ces hommes, avec ou sans leur accord formel, soient montrés dans un état physique que tout individu souhaiterait voir réservé au domaine du privé et de l’intime. Ainsi pour pallier la défaillance annoncée comme temporaire de leurs présidents, certaines personnalités assurent l’intérim et la continuité en attendant un successeur conforme aux intérêts des cercles concernés comme évoqué dans le cas algérien.

Au Gabon, un dispositif analogue est à l’œuvre : le colonel Frédéric Bongo, demi-frère d’Ali Bongo, Directeur général des services spéciaux de la Garde républicaine, unité de l’armée nationale, est en charge de la sécurité du pays et des intérêts du « clan familial » au pouvoir depuis 1968 – si tant est que les deux soient compatibles.

Ce dernier entretient des rapports très tendus avec le directeur de cabinet présidentiel, Brice Laccruche Alihanga, chargé avec le premier ministre, Emmanuel Issoze Ngondet, qui gèrent les affaires politiques et financières courantes. Alihanga peut compter sur le soutien de Sylvia Bongo, la femme du président. Une troisième personnalité, Marie Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle, tient dans sa manche la possibilité d’invoquer l’article 13 qui confierait à certains responsables des prérogatives exceptionnelles.

Ali n’est pas Abdelaziz

Cependant, le coup d’État avorté du 7 janvier dernier, analysé par certains Gabonais sur les réseaux sociaux comme une mise en scène destinée à renforcer la main mise sur le pays des dirigeants actuels, laisse présager que cet état de fait sera compliqué à pérenniser au Gabon, a contrario de l’Algérie.

Abdelaziz Bouteflika n’est pas Ali Bongo : il est un leader historique, membre du FLN, arrivé au pouvoir en 1999 à la fin de la décennie marquée par la guerre civile qui a opposé l’armée aux islamistes. Il incarne le retour à la stabilité, l’artisan de la réconciliation, là où Ali Bongo reste le « mal-aimé » sur lequel repose de nombreuses rumeurs. Il reste dans une large partie de l’opinion publique gabonaise celui qui a volé par deux fois la victoire électorale à l’opposition en 2009 et en 2016.

Son retour à Libreville de Rabat a été annoncé dans la nuit de lundi à mardi dernier, à bord d’un avion marocain, pour assister à la cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres. Pour l’instant, aucune image n’a filtré de sa descente d’avion ni de la cérémonie au palais présidentiel, où seule la presse officielle était tolérée.

Pourtant, les journalistes relaient cette information sans véritablement questionner cet état de fait, alors que nombreux Gabonais y voit une « mascarade » de plus. Ce nouvel épisode marque la nécessité impérieuse pour les autorités gabonaises de faire revenir médiatiquement le Président absent, même si sa présence reste totalement comme virtuelle. Quitte à alimenter le sentiment de nombreux gabonais d’être otage d’une situation.

Gouverner par l’absence dans la durée n’est pas donné à tous les leaders.

The Conversation

Karine Ramondy, Docteure en Histoire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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