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Kenya: la commission électorale liste les irrégularités du scrutin présidentiel
Avec 54,27% des voix, l’élection du président Kenyatta aurait pu passer comme une lettre à la poste mais la Cour suprême kényane a annulé, contre toute attente, le résultat de la présidentielle. La Cour a estimé que «des illégalités et irrégularités ont affecté l'intégrité du scrutin». L’entreprise française OT Morpho a été mise en cause par un membre de la commission électorale.
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Le scrutin de 2017 avait été considéré par la centaine d’observateurs européens présents comme l’un des mieux organisés de l’histoire du pays. La Cour suprême kenyane a pourtant invalidé le 1er septembre 2017 l’élection présidentielle, cruciale pour la stabilité du pays et de la région. Le président sortant Uhuru Kenyatta semblait l’avoir emporté largement avec 54,27% des voix, contre 44,74% à l’opposant Raila Odinga.
Une décision inédite sur le continent africain, où les juges suprêmes ont rarement remis en cause un scrutin surveillé et validé par les «observateurs internationaux».
Le président de la Commission électorale kényane (IEBC), responsable de la bonne tenue du scrutin, a admis l’existence de défaillances dans la conduite de l’élection présidentielle du 8 août. Wafula Chebukati liste dans une lettre (que s’est procurée l’AFP) toute une série d’erreurs commises par son équipe dans l’organisation des élections et demande à son directeur exécutif, Ezra Chiloba, de s’en expliquer.
Dans cette lettre «confidentielle» M.Chebukati s’étonne que certains procès-verbaux de bureaux de vote ne présentent pas les signes d’authentification prévus par l’IEBC.
Irrégularités et zones d'ombres
Il se demande pourquoi aucun appareil n’a fonctionné, alors que l’IEBC avait dépensé 848 millions de shillings (6,7 millions d’euros) pour équiper en téléphones satellitaires les bureaux non couverts par le réseau téléphonique.
Il s’interroge aussi sur le fait qu’un compte avec un identifiant et un mot de passe à son nom, créé sans qu’il en ait eu connaissance, ait été utilisé 9934 fois pour accéder au système informatique de l’IEBC.
M.Chebukati ajoute ne pas comprendre pourquoi les résultats de 10.366 des 40.883 bureaux de vote ont été envoyés par simple texto sans être accompagnés des formulaires censés faire foi. Il note que cela porte sur plus de 4,6 millions de votants (pour 19,6 millions d’inscrits).
Il observe également que 595 bureaux de vote n’ont envoyé aucun résultat. Dans d’autres bureaux, le système d’identification des électeurs n’a pas fonctionné et il demande à M.Chiloba de lui dire combien de personnes ont été autorisées à voter manuellement.
Au sujet du système de transmission électronique des procès-verbaux venus de circonscriptions, il dénonce l’utilisation d’un serveur «poreux», posant un «clair risque sécuritaire».
Enfin, il affirme ne pas comprendre pourquoi certains kits de transmission des résultats étaient configurés pour fonctionner avec Orange ou Airtel quand bien même ces opérateurs ne couvraient pas les zones concernées. M.Chebukati ajoute que les tablettes auraient pu être reliées au réseau Safaricom, un autre opérateur contracté par l’IEBC, et qui couvrait, lui, les zones en question.
L'entreprise française OT Morpho pointée du doigt
Le leader de l'opposition kényane Raila Odinga a pointé du doigt le 5 septembre 2017 l'entreprise française Safran, désignant en fait son ex-filiale Morpho rachetée en mai par le groupe Oberthur Technologies et rebaptisée depuis OT Morpho.
«La compagnie française Safran devrait expliquer ce qui s'est exactement produit. Le gouvernement français devrait mener une enquête sur cette compagnie», a déclaré l'opposant, qui multiplie depuis la tenue du scrutin les accusations de manipulation électronique des résultats.
L'opposition affirme que le système de transmission des résultats a été piraté et que ceux émanant des bureaux de vote ont été modifiés électroniquement en faveur du président sortant Uhuru Kenyatta.
OT Morpho, qui a fourni à la commission électorale kényane les kits de reconnaissance biométrique des électeurs et de transmission des résultats pour les élections du 8 août, a défendu la fiabilité de son système, remis en cause par l'opposition.
«Le système qui a été déployé dans le cadre de la transmission des résultats est un système qui fait appel à des technologies éprouvées que nous avons déjà utilisées dans des contextes électoraux dans d'autres pays», a déclaré Olivier Charlanes, directeur Afrique et Moyen-Orient d'une des branches d'OT Morpho. «Le système n'a pas été piraté. Il n'a pas fait l'objet de tentative d'intrusion», a affirmé M.Charlanes.
A la demande de la Commission électorale, OT Morpho a fourni les kits de reconnaissance biométrique des électeurs, qui ont également servi à la transmission électronique des résultats.
«La tablette (tactile) n'est pas un outil de vote, elle permet de transmettre ce qu'on rentre dedans. Ce sont les équipes présentes dans un bureau de vote qui utilisent ce moyen de communication pour envoyer les informations». à la Commission électorale. «Nous attentons les conclusions détaillées» affirme M.Charlanes.
Parmi ses griefs, l'opposition a accusé l'IEBC d'avoir déclaré le résultat final de la présidentielle sans avoir été destinataire de la totalité des formulaires des 40.883 bureaux de vote.
Il faudra attendre le 22 septembre pour avoir les détails du jugement. La Cour suprême doit alors rendre publics les faits qui l’ont motivée à invalider l’élection. Un rapport qui pourrait se révéler explosif.
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