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Algérie: migrants, quand des dirigeants relaient «l’hystérie xénophobe»

Le discours de certains dirigeants algériens à propos de l’immigration clandestine a franchi une étape. Les migrants subsahariens sont désormais considérés comme «une menace à la sécurité nationale». Ils sont associés «à la drogue et à la criminalité». Pour l'activiste des droits de l'Homme Alioune Tine, «c’est le comble du mépris et de la haine de soi». Il s'est confié à Géopolis.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un migrant africain fait sa prière dans un camp dressé à la sortie d'Alger, le 3 juillet 2017. (Photo Reuters/Zohra Bensemra)

Il y a d’abord eu une virulente campagne qui a visé les migrants africains sur les réseaux sociaux, suscitant indignation et désapprobation dans le pays et en dehors de ses frontières.

Des messages d’une extrême violence ont choqué les internautes. Des messages postés par des Algériens tels que: «Il faut les exterminer comme des rats, car ils vivent comme des rats» ou encore: «Ils violent et répandent le sida dans nos villes»… «Chassons-les pour préserver nos enfants et nos sœurs», suggérait un autre message.
 
La crainte d’une xénophobie à grande échelle
Alors que les ONG des droits de l’Homme criaient au scandale et appelaient à la retenue, le directeur de cabinet du président Bouteflika en personne, Ahmed Ouyahia, a fait une mise au point inattendue. Il a associé les migrants subsahariens au crime, à la drogue et à d’autres fléaux qui menacent le pays.
 
Depuis le bureau régional d’Amnesty International qu'il dirige à Dakar, Alioune Tine observe la descente aux enfers des migrants sahéliens en Afrique du Nord. Il redoute que ce nouveau discours de responsables algériens plonge ce pays dans une vague de xénophobie à grande échelle.
 
«Au lieu de les protéger, ils les exposent à la vindicte publique. Ils ont donné le la aux xénophobes. Quand les autorités publiques, elles mêmes, relaient les angoisses et l’hystérie xénophobe, ça devient très préoccupant», regrette-t-il.

Alioune Tine, directeur du bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre basé à Dakar au Sénégal (Photo AFP/Cemil Oksuz/Anadolu Agency)

«Nous sommes maîtres chez-nous»
Ce genre d’indignation laisse de marbre Ahmed Ouyahia qui rappelle, à qui veut l’entendre, que les Algériens sont maîtres chez eux. Qu’ils n’ont pas de leçons à recevoir de qui que ce soit.
 
«Regardez! Un grand pays dans le monde parle de construire un mur pour empêcher l’entrée des étrangers. L’Europe veut faire des pays de l’Afrique du Nord des camps, afin que les Africains n’arrivent pas en Europe… On ne peut pas laisser le peuple algérien souffrir de l’anarchie», déclare-t-il à une chaîne de télévision algérienne.
 
Une déclaration qualifiée de scandaleuse et d'irresponsable par Alioune Tine.
 
«Nous nous sommes dressés contre les murs, contre les barbelés qui sont érigés en Europe contre les Africains. Si en Afrique il y a des gens qui veulent suivre l’exemple de l’Europe, c’est le comble du mépris et même de la haine de soi parce qu’ils font partie, eux aussi, de l’Afrique. Les chefs d’Etat du Sahel devraient exiger qu’il retire ce qu’il a dit. Je trouve que là, il a franchi le Rubicon», s’insurge Alioune Tine.
 

«Une menace à la sécurité nationale»
Le chef de cabinet du président Bouteflika n’est pas le seul dirigeant algérien à stigmatiser publiquement l’immigration clandestine. Le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, est allé plus loin. Il considère que les migrants clandestins qui arrivent des pays sahéliens constituent «une menace à la sécurité nationale». Et il parle de mesures urgentes à prendre par le gouvernement pour y faire face.
 
Alioune Tine se dit choqué par de tels propos qui ne peuvent qu’alimenter le racisme et favoriser la discrimination.
 
«Pendant longtemps, l’Algérie a été très solidaire de l’Afrique et des révolutions sur le continent. On disait même que c’était la Mecque. La plupart des révolutionnaires s’y réfugiaient. Elle a été elle-même soutenue par le Mali où s’étaient installés la plupart de ses Etats Majors. Que l’Algérie tienne aujourd’hui des propos aussi xénophobes est une véritable ironie du sort.»
 
«Une réalité liée à l’esclavage transsaharien»
Alioune Tine s’étonne du silence observé par le leadership du Sahel. Aucune réaction, aucune indignation de la part des chefs d’Etats. En Afrique, on a pris l’habitude de pratiquer une indignation sélective, regrette-t-il
 
«C’est vrai que nous avons les nerfs à fleur de peau chaque fois que les Occidentaux critiquent les Africains. Mais nous devrions nous regarder nous-mêmes. La question du racisme contre les Noirs dans les pays arabes, c’est une réalité qui est liée à l’esclavage transsaharien qui a duré très longtemps et qui a touché de nombreux Africains. Allez voir par exemple la situation des Noirs dans le sud de l’Algérie, où ils sont presqu’un million. Personne ne les connaît en Algérie. Il faut condamner toutes les discriminations de la manière la plus ferme.»
 
Alioune Tine observe qu'à l’exception du Maroc, où des règles claires pour l’accueil des migrants ont été établies, toute l’Afrique du Nord est devenue une zone d’insécurité pour les subsahariens. Et il serait grand temps, estime-t-il, que les chefs d’Etat du Sahel se mobilisent pour défendre leurs citoyens complètement perdus dans cette région qui les rejette.

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