Afrique : le vrai-faux désengagement américain
Les Etats-Unis disent vouloir réduire de manière importante leur présence militaire en Afrique, notamment au Sahel. Mais pour l’instant, ils restent flous sur ce retrait…
En décembre 2019, John Bolton, alors conseiller américain à la Sécurité nationale, évoquait "la nouvelle stratégie en Afrique" de son pays, affirmant qu’il n’y aura plus "d’aide sans résultats, d’assistance sans responsabilité et de soutien sans réforme". Dans le même temps, on apprenait, notamment par la voix du chef d’état-major, le général Mark Milley, que cette "nouvelle stratégie" implique une réduction de la présence militaire des Etats-Unis sur place. Précision : l’Africom, commandement américain pour l’Afrique, compterait environ quelque 7 000 hommes, à l’ouest et l’est du continent. Mais pour l’instant, on constate que les détails pour un éventuel retrait restent vagues...
L’affaire inquiète au plus haut point la France, très engagée au Sahel, où la situation sécuritaire devient très préoccupante. "A l’état-major des armées (à Paris), on admet que la menace terroriste perdure et s’étend vers le Sud, en direction de la Côte d’Ivoire et du Ghana", rapporte Le Canard du 11 mars.
Le 27 janvier 2020, la ministre française de la Défense, Florent Parly, qui a rencontré à Washington son homologue américain Mark Esper, explique : "Le soutien américain à nos opérations est d'une importance cruciale et sa réduction limiterait gravement l'efficacité de nos opérations contre les terroristes". De fait, les Etats-Unis apportent aux Français dans la zone un appui logistique et de surveillance électronique, notamment grâce à ses drones. Or, rapporte l’AFP, Mark Esper envisagerait de fermer une toute nouvelle base de drones à Agadez, dans le nord du Niger. Une base dont le coût a été estimé à une centaine de millions de dollars et qui donne aux Etats-Unis une plateforme de surveillance de premier plan au Sahel.
Devant sa collègue, Mark Esper ne dément pas, réaffirmant qu’aucune décision n’a été prise. "Mon objectif est d'ajuster notre présence militaire dans de nombreux endroits", se contente-t-il de dire.
Brouillage et échange
Le 12 février, un communiqué du Pentagone brouille un peu plus les pistes. Il indique un "déploiement d’éléments de la 1ère brigade d’assistance des forces de sécurité de l’armée de terre", chargé d’"assurer des missions d’entraînement, de conseil et d’assistance" dans plusieurs pays africains. Un déploiement qui est en fait un échange. Il permet un retour dans la base de Fort-Campbell (Kentucky, USA) d’"éléments d’une brigade d’infanterie appartenant à la 101e division aéroportée". Selon Le Point, ces derniers, environ "800" hommes, seraient ainsi, en quelque sorte, remplacés par les premiers…
Le communiqué précise par ailleurs qu’il s’agit de "la première de nombreuses décisions concernant la mission de l’Africom". En clair, les autres vont suivre. Mais pour l’instant, aucune indication précise sur ces "nombreuses décisions" n’est venue compléter cette première annonce…
Le 10 mars, le patron de l’Africom, le général Stephen Townsend, explique devant la Chambre des représentants que les Européens sont "mal coordonnés" dans le Sahel. "Je pense que l'Europe peut et doit en faire davantage avant que les Etats-Unis en fassent davantage dans cette partie du monde", ajoute-t-il. "Coordonner ces efforts pourrait en fait être suffisant". Problème : les Européens sont plus que réticents à venir prêter un coup de main aux Français dans le Sahel…
"Valse-hésitation"
Même floue, la nouvelle politique américaine en Afrique fait écho au slogan martelé depuis des années par le président Donald Trump : "America first", "l’Amérique d’abord". Comme le général Townsend l’a crûment indiqué devant les représentants : "Les problèmes issus de l'Afrique de l'Ouest se manifesteront en Europe avant de se manifester en Amérique", a-t-il affirmé. En clair, les jihadistes opérant sur le continent sont plus dangereux pour l'Europe que pour les Etats-Unis…
Il faut dire que l’Afrique ne semble pas une priorité de l'administration Trump. Lui qui, en janvier 2018, avait traité plusieurs Etats du continent de "pays de merde"…
Montrer les muscles face à la Chine dans le Pacifique, parler de guerre commerciale contre le géant chinois est plus porteur électoralement chez les ouvriers américains. Le citoyen moyen américain ne sait pas où se trouve le Sahel
L’ancien ambassadeur des Etats-Unis en Centrafrique (devenu consultant) Jeffrey HawkinsInterview à TV5 Monde
Comme le résume Le Point, les Américains sont dans une situation de "valse-hésitation" vis-à-vis de l’Afrique. Car ils ne veulent visiblement pas l’abandonner totalement. "Le message que je transmets à mes partenaires (africains), c'est que nous ne partons pas", a indiqué (le 12 février) le chef d’état-major de l’Africom, le général Roger Cloutier, comme l’a rappelé franceinfo. "Nous sommes encore impliqués", assure-t-il. Et, rappelle Le Point, le sous-secrétaire d'Etat américain aux affaires politiques, David Hale, en visite dans le Sahel à la même période, a exprimé en Mauritanie les "inquiétudes" de son pays quant à la situation sécuritaire et à l'instabilité dans la région.
Bilan : la position des Etats-Unis est "très équivoque", selon l’expression du consultant Jeffrey Hawkins. Et de préciser : "L’inspecteur général du département de l’Etat vient de publier un rapport où il parle d’une présence militaire sur le continent africain qui ne vise plus à 'affaiblir' les groupes terroristes, mais (à les) 'contenir'". En clair, "la mission antiterroriste en Afrique sera beaucoup moins prioritaire." Elle n’est pour autant pas supprimée.
Le 12 février, le Pentagone rappelait, dans le communiqué mentionné ci-dessus, que l’un des objectifs des Etats-Unis sur le continent était désormais de "mieux concurrencer la Chine et la Russie". Quelques jours plus tard, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo entamait une tournée sur le continent. "Une visite de rattrapage", commente Jeffrey Hawkins. Ne serait-ce que pour des raisons économiques : selon l’ancien diplomate, le commerce chinois avec l’Afrique s’élève à 200 milliards de dollars. Contre 40 milliards pour les Etats-Unis.
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