Nigeria : les chantiers de Muhammadu Buhari
L’ancien putschiste Muhammadu Buhari est devenu, à un peu plus de 72 ans, le président élu «d'un pays qui a maintenant rejoint la communauté des nations qui ont utilisé les urnes pour changer pacifiquement de nation», a-t-il déclaré le 1er avril 2015. Goodluck Jonathan a reconnu sa défaite et adressé à son successeur Muhammadu Buhari, le leader de l'opposition, ses félicitations dès «17h15», la veille. Heureux épilogue d’un scrutin historique, depuis l'avènement de la démocratie en 1999 au Nigeria, pour une nation qui doit faire face à d’immenses défis. Ils seront désormais ceux de Muhammadu Buhari.
Lutte contre la corruption, éradication du groupe terroriste Boko Haram et accès pour le plus grand nombre aux services de base (santé, éducation, eau, énergie, sécurité...). Ce sont également les trois premiers chantiers auxquels Muhammadu Buhari a promis de s’attaquer pendant sa campagne. Sur la corruption et le terrorisme, les Nigérians n'ont aucun doute sur ses qualifications. Ces maux, il les a déjà affrontés par le passé.
Lorsqu’il accède pour la première fois au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire en décembre 1983, Muhammadu Buhari fait de la corruption sa bête noire. Il reprochait déjà au gouvernement Shagari, qu’il renverse, d’être corrompu. C’est son acharnement contre la corruption qui lui vaudra, à son tour, d’être victime d’un coup d’Etat mené par le général Ibrahim Babangida. Ce dernier aurait bénéficié de l’aide de proches de Buhari dans l’œil du cyclone.
Sous son régime, les politiciens et les hommes d’affaires soupçonnés d’être corrompus sont emprisonnés sans autre forme de procès. L'administration Buhari se distingue pour ses nombreuses atteintes aux droits de l’Homme. C’est le même général Buhari qui fera emprisonner le musicien et activiste Fela Kuti. «La démocratie et l'Etat de droit seront établis sur nos terres», a assuré Muhammadu Buhari après son élection. Tout en rendant hommage à l'homme politique, il a tenu à préciser que Goodluck Jonathan n'avait «rien à craindre de lui». Il avait été impitoyable avec les dignitaires du régime Shagari.
Sa réputation d'homme de poigne, qu'il a tentée d'adoucir pendant la campagne, selon les observateurs, le précède. Le général Buhari avait instauré la fameuse WAI «War against indiscipline (Guerre contre l'indiscipline)». Il exige alors des fonctionnaires qu'ils arrivent à l'heure au travail et demandent aux Nigérians de faire la queue aux arrêts de bus.
Celui qui se décrit comme «un ancien dirigeant militaire et un démocrate converti» a sans doute évolué. Mais pas sur la question de la corruption qui mine son pays, si riche en pétrole. Le Nigeria est le premier producteur de pétrole sur le continent africain. L'or noir constitue sa principale ressource mais ses populations, souvent plongées dans l'obscurité, n'en voient pas la couleur.
Outre le fait de renforcer les pouvoirs de la EFCC (Economic and Financial Crimes Commission), en charge d’enquêter sur les crimes financiers, il a promis que les citoyens sauraient «combien gagne la NNPC (la Nigerian National Petroleum Corporation, la compagnie pétrolière nationale du Nigeria) et où va l’argent». «Des flux massifs d’argent ne devraient plus quitter notre pays pour financer d’autres économies, a-t-il fait valoir, alors que notre peuple subit les affres de la pauvreté (…). J’en suis malade. Cela doit cesser. L’argent économisé servira à créer des emplois, à investir dans la santé et offrir une sécurité sociale aux plus (défavorisés)». L’argent, qui n’est plus détourné, devrait par conséquent servir à financer la politique sociale de Muhammadu Buhari qui veut, entre autres, offrir la couverture maladie universelle à ses concitoyens. Pour réaliser ses ambitions sociales, il a assuré qu'il n'augmenterait pas les impôts des particuliers et des entreprises.
La lutte contre la corruption constitue également un prérequis à celle contre Boko Haram. Car le fléau touche aussi l’armée. La stratégie de Buhari : donner enfin les moyens à une armée qui n’a jamais bénéficié des ressources nécessaires pour lutter efficacement contre les terroristes islamistes. «Je peux vous assurer que Boko Haram va vite mesurer la force de notre volonté collective et de notre engagement à débarrasser la nation de la terreur et pour ramener la paix», a fait savoir Muhammadu Buhari le 1er avril dans la capitale fédérale Abuja après avoir reçu le certificat attestant de sa victoire. Ce ne sont pas des menaces en l'air pour celui qui a bouté hors du Nigeria la secte Maitatsine, similaire à Boko Haram, qui sévissait dans le Nord dans les années 80.
Muhammadu Buhari, qui a lui-même échappé à un attentat en 2014 que le groupe terroriste est soupçonné d'avoir organisé, n'a eu de cesse de montrer sa détermination face aux islamistes. Dans les années 80 et en 2001, ce nordiste musulman déclarait qu'il était pour l'application de la charia, la loi islamique, dans tout le pays. Pendant sa campagne, il a eu tout le temps de clarifier ses positions et de rassurer ainsi les chrétiens du Sud : «La charia ne peut être la loi du Nigeria», martelait-il dans un grand discours sur la religion.
«Jamais le Nigeria n’a connu une telle insécurité», expliquait-il lors d’une intervention à la Royal Institute of International Affairs à Londres, en Grande-Bretagne. «Malheureusement, Boko Haram fait figurer le Nigeria sur la carte du terrorisme. (Il) a tué plus de 13.000 de nos concitoyens et (déplacé) des millions d’autres à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.» Et de préciser que Boko Haram faisait sa loi sur un territoire «comparable à la Belgique».
Au lendemain de son élection, le nouveau président nigérian a assuré qu'il répondrait non seulement «aux aspirations» des Nigérians, mais aussi qu'il irait même au-delà. En attendant, ses compatriotes l'attendent sur des dossiers très concrets.
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