Niger : comment le coup d'Etat perturbe l'aide humanitaire, cruciale pour la population

Alors que 4,4 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire au Niger, plusieurs ONG alertent sur les conséquences pour la population d'une "instabilité accrue".
Article rédigé par Capucine Licoys
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une femme s'occupe de ses marchandises sur un étal à Niamey (Niger), le 7 août 2023. (AFP)

"Nous évaluons constamment l'évolution de la situation et faisons le maximum pour maintenir les opérations humanitaires", affirme le directeur de l'ONG Solidarités international au Niger, Francis Tehoua, depuis Niamey. Depuis que plusieurs pays ont suspendu leur aide au développement au Niger, en réaction au coup d'Etat militaire du 26 juillet, les ONG craignent que le quotidien des habitants ne se dégrade. En mai déjà, 4,4 millions de personnes (18% de la population) avaient besoin d'une aide humanitaire, selon le Comité international de la Croix-Rouge

Une quinzaine d'organisations ont signé un communiqué, samedi 5 août, rappelant "qu’une instabilité accrue et des sanctions [contre le pouvoir] pourraient exacerber les besoins humanitaires des plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants". Elles ont appelé au maintien de l'aide humanitaire "sans entrave" et à "l'inclusion d'exemptions humanitaires dans toutes les décisions". Retards de livraison, flambée des prix de produits de base et suspensions d'interventions d'urgence... La prise du pouvoir par le général Tiani a pourtant déjà eu des effets en cascade sur les opérations humanitaires. 

Des projets d'accès à l'eau potable interrompus

Depuis la fin juillet, de nombreux projets humanitaires menés par Solidarités International ont été arrêtés pour protéger les équipes, rapporte Francis Tehoua. Un projet de forage devant permettre à des populations déplacées de "bénéficier d'eau potable toute l'année" dans la région de Tillabéri, dans le sud-ouest du Niger, a ainsi été interrompu. En attendant, ces personnes "utilisent l'eau de puits ouverts, exposée à la contamination", regrette le directeur de l'ONG.

A Torodi, dans la même région, une centaine de familles chassées par des groupes d'opposition attendent depuis dix jours les nouveaux abris promis par Solidarités internationales. L'opération a été stoppée net face à l'incertitude politique. Fin mai, quelque 670 000 personnes étaient en situation de déplacement forcé au Niger, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha). Dans l'attente d'une solution d'hébergement pérenne, ces familles sont toujours réfugiées dans des écoles ou des familles d'accueil.

Les livraisons internationales à l'arrêt

La branche espagnole d'Action contre la Faim fonctionne également au ralenti depuis le putsch. Son directeur au Niger, Gregor Robak-Werth, attend toujours "une livraison du Sénégal d'environ 4000 cartons de Plumpy'Nut", un aliment thérapeutique à base d'arachide utilisé contre la malnutrition. En cause, la fermeture de l'espace aérien, décidée par la junte jusqu'à nouvel ordre. L'interruption des liaisons internationales menace directement la survie des Nigériens, puisque près de 3 millions d'entre eux souffrent d'insécurité alimentaire aiguë actuellement, estime l'Ocha.

Les prochaines semaines seront décisives pour les ONG, qui doivent renflouer les stocks de produits de première nécessité et trouver de nouveaux fournisseurs. Pour le moment, "rien n'est clair", déplore Gregor Robak-Werth, qui s'inquiète notamment d'une flambée des prix des denrées de base.

Le blocus décidé par la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédeao) sur les exportations et les importations est entré en vigueur le 30 juillet, entraînant une première hausse des prix. Dans la capitale, le prix d'un sac de 25 kilos de riz aurait augmenté d'environ 2 000 francs CFA en quelques jours, selon des témoignages recueillis par RFI. Un bond d'environ trois euros intenable pour les habitants, dont la moitié vivent avec un peu moins d'un euro par jour d'après l'OCDE.

Des craintes pour l'avenir

Dans ce contexte, les ONG s'attendent à ce que la fin des aides internationales pèse sur l'économie nigérienne. Le 29 juillet, la France a suspendu une "aide au développement et d'appui budgétaire" d'environ 120 millions, suivie par l'Allemagne deux jours plus tard. Ces aides sont pourtant cruciales : un quart des dépenses publiques nigériennes sont financées par des dons extérieurs et l'aide internationale représente 9% du PIB, explique à l'AFP Dominique Fruchter, économiste en charge de l'Afrique de l'Ouest au cabinet Coface.

Pour sa part, Gregor Robak-Werth craint que le sentiment anti-français, observé lors de manifestations consécutives au putsch, ne gagne en ampleur. "Tout le monde pense qu'on est français, souligne le directeur au Niger de la branche espagnole d'Action contre la Faim. Nous devons rappeler clairement que nous sommes une ONG espagnole pour rester en sécurité." 

Autre source d'inquiétude, la possible hostilité du régime militaire à l'aide humanitaire étrangère. Le cas échéant, "des populations entières seraient laissées pour compte", appuie Francis Tehoua, de Solidarités international. Au Mali, pays frontalier du Niger, la junte au pouvoir avait suspendu les activités françaises sur son territoire en 2021, rappelle Le Monde. Une annonce survenue un mois après la suspension par Paris de ses aides au développement. Selon Francis Tehoua, un tel scénario serait "catastrophique" au Niger. 

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