Séisme au Maroc : le phénomène controversé des "lumières sismiques" intrigue internautes et scientifiques

Depuis le séisme du 8 septembre au Maroc, des vidéos amateurs montrant des phénomènes lumineux présentés comme liés au tremblement de terre circulent sur les réseaux sociaux. Ils sont parfois décrits comme des "lumières sismiques", un phénomène que la science peine à expliquer.
Article rédigé par Timour Öztürk
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Cette photo prise le 10 septembre 2023 montre des bâtiments endommagés à la suite du tremblement de terre meurtrier de magnitude 6,8 survenu le 8 septembre dans le village de montagne de Moulay Brahim, dans la province d'al-Haouz, au centre du Maroc. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

“Je ne travaille pas sur les boules de cristal ou le chant des oiseaux”, ironise le sismologue Lionel Siame à l’évocation du phénomène des lumières sismiques. Son collègue Jean Virieux, avertit dans un soupir : "C'est un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d'encre". Et encore un peu plus depuis le séisme meurtrier du 8 septembre au Maroc.

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Plusieurs vidéos publiées sur les réseaux sociaux ont relancé l'intérêt pour ce phénomène que la science peine à expliquer. Partagée samedi 9 septembre sur X (ex-Twitter), une vidéo initialement diffusée via TikTok cumule plus d'un million de vues. Elle montre, selon son auteur, des "boules blanches" dans le ciel de Marrakech, "dans la nuit 8 au samedi 9". "Expliquez-moi en commentaires", demande le vidéaste.

Ces flashs et halos lumineux survenant avant, pendant ou peu après un séisme intriguent chercheurs et simples témoins de tremblement de terre depuis des décennies. "Il y a énormément d'interrogations sur les phénomènes physiques pouvant exister avant la survenue d'un séisme", prévient d'emblée Jean Virieux, professeur émérite à l'institut des sciences de la Terre de Grenoble, et les lumières sismiques sont sûrement l'un des plus importants sujets de controverse au sein de la sismologie.

En réponse à cette vidéo, certains messages évoquent pêle-mêle des "ballons espions chinois", les satellites Starlink, et le projet américain d'étude de l'ionosphère HAARP. Réceptacle régulier de fantasmes complotistes, il avait déjà été accusé d'avoir provoqué le séisme du 6 février 2023 en Turquie et en Syrie. Une autre vidéo, où l'on aperçoit de courts flashs de lumière bleutée, provoque le même type de réactions.

Face à ces théories farfelues, de nombreux de bonne foi rétorquent qu'il s'agit probablement de "lumières sismiques". Une explication d'apparence scientifique mobilisée pour contrer des discours parfois ouvertement complotistes.

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“Pour moi, ces vidéos n'ont aucun intérêt", juge Michel Parrot, ancien directeur de recherche au CNRS et spécialiste français des lumières sismiques. Le scientifique s'est beaucoup intéressé à ces phénomènes, mais réfute la validité de documents amateurs sur la base desquels il ne sert à rien de travailler."Ça n'a aucun intérêt, parce qu'on ne sait pas exactement où ça a été pris, on ne connaît pas précisément le début du phénomène, et on ne sait pas comment ça finit...”, justifie Michel Parrot. Pour passer de captations amateur du phénomène à une observation scientifique, "il faudrait équiper une zone sismique avec des appareils qui vont fonctionner 24 heures sur 24, mais qui doivent attendre l'événement. Et on peut attendre des dizaines d'années avant d'avoir un événement sur une zone."

"Il n'y a jamais eu d'enregistrement scientifique de ce genre de phénomène"

Michel Parrot, ancien directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

Pour autant, des hypothèses scientifiques tentent d'expliquer ces phénomènes de lumières sismiques. Les chercheurs ont notamment exploré la piste de réactions électromagnétiques. “Ce qui se passe sous terre" lors d'un séisme, pourrait modifier "l'environnement électromagnétique de l'atmosphère", avance prudemment Jean Virieux. “Lors d'un tremblement de terre, vous avez une énergie formidable qui est mise en jeu. Ça compresse les roches. Tout ça modifie le courant qui circule entre la surface de la Terre et l’ionosphère", explique Michel Parrot.

L'ionosphère est la partie supérieure de notre atmosphère terrestre située entre 60 et 1000 kilomètres d'altitude, caractérisée par l'ionisation des atomes qui s'y trouvent : ils perdent des électrons sous l'effet des rayons UV du Soleil. En modifiant le courant qui circule entre la surface terrestre et l'ionosphère, les tremblements de terre pourraient être "à l'origine de lueurs que l'on aperçoit avant les séismes, pendant les séismes ou même après. Ce sont des phénomènes transitoires, c'est-à-dire qu’ils durent que quelques millisecondes", affirme l'ancien directeur de recherche au CNRS.

Controverse entre sismologues

Selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) "les géophysiciens ne s'accordent pas" sur la réalité de ces lumières sismiques. Un scientifique affilié à cet institut américain, John Derr, qui écrit un article dès 1977 sur le phénomène. Déjà, y sont reproduites des photographies amateurs de ces lueurs.

Photo publiée en 1977 dans une publication scientifique signée John Derr, montrant un phénomène lumineux au Japon en 1966. (BULLETIN OF THE SISMOLOGICAL SOCIETY OF AMERICA)

En 1977, John Derr écrivait déjà : "De grandes difficultés et incertitudes accompagnent toute tentative d'explication du phénomène [...] L'existence du phénomène est considérée comme bien établie, bien qu'aucune explication entièrement satisfaisante n'ait été avancée à ce jour." Un bon mot dans la communauté scientifique américaine disait que l'étude des lumières sismiques était "la face la plus sombre de la sismologie" rapporte Michel Parrot.

"Les séismes sont des phénomènes imprévisibles"

Le sismologue Lionel Siame,

à franceinfo

Le scientifique du Centre européen de recherche et d'enseignement des géosciences Lionel Siame confirme cette tradition de méfiance à l'évocation des lumières sismiques. Pour ce chercheur : “On ne peut qu’estimer qu’une faille peut générer un tremblement de terre. Mais pas le prévoir. Il y a probablement des choses qui nous échappent, mais même si les lumières sismiques constituaient un signe avant-coureur, il surviendrait trop peu de temps avant le séisme pour servir à sa prédiction.”

Entre 2004 et 2010 : un satellite français "renifleur de séismes"

L'idée a pourtant été caressée, il y a une vingtaine d'années : détecter des lumières sismiques pour prévoir des tremblements de terre. Un satellite français, Demeter, a même été lancé pour explorer cette piste. Actif de 2004 à 2010, son responsable scientifique n'était autre que Michel Parrot. "Prédire la survenue d'un séisme depuis l'espace semblait relever, jusqu'à ces dernières années, de l'imposture scientifique", s'enthousiasmait alors Libération dans un article sur ce satellite "renifleur de séismes". "Pourtant, ce matin, le Cnes (l'agence spatiale française) va mettre sur orbite Demeter, un satellite dont la mission sera justement de tester cette idée."

“La mission Demeter n'observait pas les phénomènes lumineux parce qu'on n'avait pas d'instruments optiques à bord, précise Michel Parrot. Mais on avait des mesures de l'ionosphère in situ. Quand le satellite passait au-dessus d'un séisme, on regardait s'il y avait eu une variation de ce qu'on appelle la densité électronique de l'ionosphère". Quelles ont été les conclusions de ces recherches ? "On a fait des statistiques, et avant les séismes, il y avait bien des perturbations de la densité de l'ionosphère", assure Michel Parrot. Mais en l'état actuel des connaissances scientifiques "il est impossible de prévoir un tremblement de terre", conclut Michel Parrot. "On peut émettre une alerte en disant que dans telle zone donnée, on observe des paramètres anormaux liés à l'activité sismique. Mais on ne peut pas prédire exactement ce qui va se produire." 

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