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Jennifer Lopez et Much Loved questionnent et enflamment le Maroc

Un acteur poignardé près de son domicile pour son rôle de «Saoudien lubrique», un ministre s’en prenant au déhanché lascif de la bomba latina Jennifer Lopez, le Maroc redécouvre les contradictions qui traversent une société plus que jamais divisée entre conservateurs et progressistes.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
Capture d'écran (DR)
«J’étais en interview dans une radio. En rentrant chez moi, j’ai remarqué un homme qui n’était pas de mon quartier. Il s’est approché de moi et a demandé si c’était bien moi qui étais interviewé à la radio, j’ai confirmé. Je croyais qu’il voulait me poser des questions sur le film. Il a sorti son couteau et a voulu me balafrer. J’ai réussi à éloigner mon visage (de la lame, ndlr). J’ai été touché au cou. Il m’a accusé de nuire à l’image du Maroc », témoigne l’acteur qui a interprété le rôle d’un Saoudien amateur de chaire fraîche dans le dernier film de Nabil Ayouch «Much Loved». L'actrice principale Loubna Abidar a été également menacée de mort.


 
Le même jour, vendredi 30 mai 2015, à 86 km de Casablanca où a eu lieu l’agression, Jennifer Lopez inaugure le festival Mawazine à Rabat, le plus important du Maroc. Des milliers de personnes se pressent à son concert. Et pour ceux qui ne pouvaient pas se déplacer, la chaîne privée 2M diffuse le spectacle en direct. Cela en est trop pour le ministre islamiste de la Communication, Mustapha El Khalfi, qui s’offusque des déhanchements langoureux de la bomba latina. 


Pour le ministre, la diffusion du concert de Jennifer Lopez est «inacceptable et contraire à la loi» et promet de contacter la Haute autorité de la communication audiovisuelle. La semaine précédente, il avait interdit la sortie du film «Much Loved» au Maroc pour «outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume».

 
 Au-delà du Maroc, c’est tout le monde arabe qui se trouve confronté aux miroirs que lui tendent ses intellectuels. Pas toujours reluisant. «On entend et lit souvent au Maroc qu’une création artistique, que ce soit un livre, un film ou une chanson, doit avoir une mission, un message, une fonction sociale. On demande aussi à l’artiste de proposer des solutions aux problèmes du pays, de se conformer aux normes de la société, et de donner une image positive du Maroc à l’étranger, comme s’il était fonctionnaire à l’Office du tourisme. Selon cette logique, l’artiste doit sacrifier sa subjectivité et son propre imaginaire sur l’autel des valeurs et de l’identité. Une vision moraliste nourrie par des décennies de propagande, distillée successivement par la gauche et le mouvement islamiste», analyse Tel Quel.
 
Cette situation se retrouve aussi en Algérie. Les films du talentueux Nadir Moknèche, surnommé l’Almodovar algérien, ou encore de Lyès Salem créent immanquablement  de vives polémiques. Pourquoi ? Parce que la nouvelle vague de cinéastes ne cherche plus à sublimer un passé fantasmé mais à raconter un quotidien occulté par les médias lourds et fustigé par les islamistes. 

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