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Un djihadiste jugé à La Haye pour des destructions de mausolées à Tombouctou
La Cour pénale internationale (CPI) doit juger, à partir du 22 août 2016, le djihadiste malien Ahmad al-Faqi al-Mahdi pour la destruction, en 2012, de mausolées à Tombouctou, au Mali, inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité. Des faits qualifiés de crimes de guerre dans le cadre d'un procès qui est une première.
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Pour la CPI, le jugement de cette affaire est un évènement. «C’est la première affaire concernant le Mali devant la CPI ; la première affaire où l’accusé a fait part de son intention de plaider coupable ; et la première affaire centrée sur la destruction de monuments historiques et bâtiments dédiés à la religion, qualifiée de ‘‘crimes de guerre’’ devant la Cour pénale internationale», explique-t-on au service de presse de la Cour.
Celle-ci espère faire un exemple après la destruction, notamment, de sites comme Palmyre et Alep en Syrie. Pour autant, dans le passé, la justice internationale s’est déjà penchée sur des affaires similaires. En 1991, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie avait ainsi condamné à huit ans de prison un officier serbe. Le commandant Pavle Strugar avait été reconnu coupable, entre autres crimes, de la destruction ou de l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, de monuments historiques, d’œuvres d’art et d’œuvres de caractère scientifique lors du pilonnage de la vieille ville de Dubrovnik en Croatie.
Transféré à la CPI par le Niger, Ahmad al-Faqi al-Mahdi (surnommé Abou Tourab), un Touareg d’«environ 40 ans», selon ses propres termes, est donc le premier suspect djihadiste arrêté dans le cadre de l’enquête de la CPI sur les violences de 2012-2013 au Mali. Et ce, après la prise de contrôle du nord du pays par des groupes liés à al-Qaïda.
Mausolées et manuscrits
Il est notamment poursuivi pour avoir personnellement participé ou dirigé la destruction, partielle ou totale, de neuf mausolées et de la porte de Sidi Yahia, l’une des plus importantes mosquées de Tombouctou, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
En tout, le groupe Ansar Dine, associé à Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), avait abattu, à coups de pioche, de houe et de burin, 14 des 16 mausolées de saints musulmans de la ville. Une opération menée au nom de la lutte contre «l’idolâtrie». Les djihadistes avaient aussi ravagé plus de 4000 manuscrits anciens. Dans le même temps, plusieurs centaines de milliers d’autres documents anciens avaient pu être sauvés et transportés à Bamako.
Selon l’acte d’accusation (dont les preuves n’ont pas été contestées par la défense), Ahmad al-Faqi al-Mahdi «était une des recrues locales qui ont rejoint les groupes armés» lorsque la ville est tombée aux mains des djihadistes. Longtemps fonctionnaire au ministère malien de l’Education, il aurait fondé puis dirigé la hisbah, brigade islamique des mœurs. La décision de la destruction aurait été prise en concertation avec Aqmi par Iyad Ag Ghaly, chef d’Ansar Dine. Pourtant, ce dernier n'a pas toujours été réfractaire à la culture: dans une autre vie, il était… bassiste de blues.
Réparation à l’identique
Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de «cité des 333 saints», fondée entre les XIe et XIIe siècles par des tribus touaregs. Tirant sa prospérité du commerce caravanier, celle-ci est ensuite devenue un grand centre intellectuel de l’islam qui a connu son apogée au XVe siècle.
En l’occurrence, les saints sont des «personnages religieux qui ont vécu entre le XIIIe et le XVe siècle, réputés pour leurs connaissances et leur aura morale. Leur culte a une fonction protectrice, comme celle des saints patrons dans la religion chrétienne», expliquait en 2012 à Géopolis André Bourgeot, directeur de recherches au CNRS. Ce sont ces rites, contraires à leur vision rigoriste de l'islam, que les djihadistes ont tenté d'éradiquer, avant d'en venir à la destruction des mausolées, selon la CPI. Quant à la porte de la mosquée Sidi Yahia, les djihadistes «ont voulu faire la démonstration que son ouverture n’allait pas provoquer la fin du monde, qu’une telle croyance était impie», précise le scientifique.
Dans le même temps, ils n’avaient «pas apprécié la démarche de l’Unesco» qui avait «inscrit Tombouctou sur la liste du patrimoine mondial en péril. Eux pensent que cette organisation est entre les mains des idolâtres et des mécréants, donc des chrétiens. Ils ont voulu dire: ‘‘Nous, on fait ce qu’on veut!’’ Pour eux, la destruction des monuments est donc un moyen de montrer leur force», poursuit André Bourgeot.
L’Unesco a achevé à l’été 2015 la restauration à l’identique des 14 mausolées détruits en récupérant les restes des murs. Les spécialistes de l’organisation internationale se sont basés sur d’anciennes photos et les témoignages de personnes âgées. Les monuments ont ensuite été «sacralisés», notamment par le sacrifice rituel de cinq bœufs. Puis leurs clefs ont été remises aux familles chargées de leurs gestions.
«Un intellectuel soucieux du bien collectif»
Ahmad al-Faqi al-Mahdi a annoncé son intention de plaider coupable, une première pour la CPI. Il entend demander pardon à ses compatriotes. Il «veut être honnête avec lui-même et veut admettre les actes qu’il a commis», selon son avocat, Mohamed Aouini. Il dit se considérer comme «un musulman qui croit en la justice». Pour la défense, l’ancien chef islamiste est un homme «intelligent et raisonnable, un intellectuel soucieux du bien collectif».
«Nous devons agir face à la destruction et la mutilation de notre héritage commun», explique la procureure de la Cour, Fatou Bensouda. «Ces destructions ont représenté un préjudice énorme, et pas seulement pour le patrimoine. C’est l’identité culturelle et spirituelle de tout un peuple qui a été atteinte», juge de son côté Mechtild Rossler, directrice de la division patrimoine et du centre du Patrimoine mondial à l’Unesco, citée par La Croix. «En cela, ces destructions constituent bien un crime», ajoute-t-elle. Comme le prévoit d’ailleurs la Convention de la Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
Reste à savoir comment se déroulera le procès. Des ONG craignent que la justice internationale n’oublie les nombreuses victimes de crimes commis en 2012 et 2013 au Mali. Le bureau de la procureure doit «également examiner les allégations crédibles impliquant al-Faqi dans la perpétration de crimes (…) commis à l’encontre de la population civile, y compris les crimes de viol, d'esclavage sexuel et de mariage forcé», a ainsi expliqué la Fédération internationale des droits de l 'Homme. Tout en qualifiant de «victoire» le transfert de Ahmad al-Faqi al-Mahdi à la CPI.
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