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Mali : que s'est-il passé à Moura, où des centaines de personnes ont été tuées par l'armée malienne et des mercenaires russes ?

Pour l'ONG Human Rights Watch, qui évoque un "massacre", une opération militaire dans ce village du centre du Mali a causé la mort d'environ 300 civils, "certains d'entre eux étant suspectés d'être des combattants islamistes".

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un membre des forces armées maliennes à Kati (Mali), le 20 janvier 2022.  (FLORENT VERGNES / AFP)

Les condamnations internationales se multiplient. Après la découverte d'un "massacre" à Moura, selon l'organisation Human Rights Watch (en anglais), la France s'est dite "gravement préoccupée", lundi 4 avril, par de possibles "exactions massives" commises dans ce village du centre du Mali par des soldats maliens, "accompagnés de mercenaires" du groupe privé russe Wagner. D'après le Quai d'Orsay, des "centaines de civils" auraient été tués.

"La France appelle à l'ouverture rapide d'enquêtes nationales et internationales pour établir les responsabilités de ces actes et traduire en justice leurs auteurs."

Le ministère des Affaires étrangères

dans un communiqué

La Minusma, mission de l'ONU pour la stabilisation au Mali, avait déclaré samedi être "informée des confrontations" entre l'armée malienne et des groupes extrémistes et ajouté être "très préoccupée par les allégations de violences" contre des civils. Des allégations "extrêmement dérangeantes", avait appuyé dimanche le département d'Etat américain, mentionnant à son tour la présence de Wagner. Franceinfo revient sur ce que l'on sait de ces exactions.

L'armée affirme avoir tué des "terroristes"

Vendredi soir, l'armée malienne a assuré avoir tué "203 combattants" de "groupes armés terroristes" au cours d'une opération "de grande envergure" dans "la zone de Moura", entre le 23 et le 31 mars. Elle a ajouté avoir interpellé 51 jihadistes. Cette opération faisait suite, selon l'armée malienne, "à des renseignements bien précis" sur "une rencontre entre différentes katibas" – un terme pour désigner des groupes jihadistes locaux, dont certains sont liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique ou à l'Etat islamique dans le Grand Sahara.

Depuis le début de l'année, des combattants de ces katibas ont tué "des dizaines de membres des forces de sécurité" au Mali, rappelle Human Rights Watch. L'ONG pointe aussi "une flambée spectaculaire de meurtres de civils et de suspects depuis fin 2021" par ces jihadistes, mais également par les forces maliennes. D'après Human Rights Watch, l'opération militaire à Moura a causé la mort d'environ "300 civils, certains d'entre eux [étant] suspectés d'être des combattants islamistes". Un récit qui diffère sensiblement de la version de l'armée malienne.

Des témoins font état d'exécutions de civils

Les faits ont débuté le 27 mars autour de 10 heures, d'après des témoins interrogés par Human Rights Watch. Comme le souligne Libérationles combattants de la Katiba Macina, affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), ont pour habitude de se rendre chaque dimanche au marché à bestiaux de Moura, afin de s'y approvisionner et d'y mener des prêches. Dix-neuf témoins ont fait état de premiers tirs échangés entre des soldats et des combattants islamistes armés, entraînant la mort de plusieurs civils. Selon un témoin, un hélicoptère survolant le marché a tiré sur des habitants tentant de fuir. 

Des soldats ont ensuite "patrouillé à travers la ville, exécutant certains hommes alors qu'ils tentaient de fuir et arrêtant plusieurs centaines d'hommes non armés depuis le marché ou dans leurs maisons", rapporte Human Rights Watch. D'après les témoins interrogés par l'ONG, certaines des personnes interpellées étaient des combattants islamistes connus, mais les autres étaient des habitants de Moura et de ses environs. 

Les hommes arrêtés ont été conduits vers une zone à l'est du village, et y sont restés détenus jusqu'au 31 mars. Pendant quatre jours, "les militaires ont ordonné aux détenus, par groupes de 4, 6 ou jusqu'à 10, de se lever et de marcher sur plusieurs dizaines, voire centaines de mètres. Là, les militaires maliens et étrangers les ont sommairement exécutés", raconte Human Rights Watch. 

"Le bruit des coups de feu a retenti dans notre village du lundi au jeudi."

Un habitant de Moura

cité par Human Rights Watch

Plusieurs témoins ont rapporté que des personnes étaient exécutées sur la base de leur apparence. "De nombreux hommes ont été tués car ils avaient été forcés par des jihadistes de laisser pousser leurs barbes", relate ainsi un témoin. D'autres ont évoqué des exécutions liées à l'origine ethnique des personnes. Selon un habitant du village, "les soldats semblaient cibler les Peuls". 

"On parle d'un siège, de triages d'individus non armés, de séries d'exécutions extrajudiciaires pendant une période de quatre jours", souligne Ousmane Diallo, chercheur chez Amnesty International, basé à DakarEt ce spécialiste du Sahel d'évoquer des actes "très méthodiques, qui semblaient planifiés". 

Des centaines de personnes sont mortes

"Comment peuvent-ils dire qu'aucun civil n'a été tué alors que devant ma porte, sept ont été exécutés, dont trois de mes cousins qui sont des éleveurs !" a réagi un habitant auprès de Libération. Les estimations reçues par Ousmane Diallo font état de 150 à 500 morts. "Au moins 200 à 300 personnes ont été tuées", estime le chercheur, s'appuyant sur la parole d'une douzaine de "rescapés et sources locales"

"Nous estimons qu'une grande majorité des personnes exécutées, environ 80%, étaient des civils."

Ousmane Diallo, chercheur chez Amnesty International

à franceinfo

"Ce qui est clair, c'est que les hommes étaient non-armés quand ils ont été exécutés", poursuit Bénédicte Jeannerod, directrice de Human Rights Watch en France.

D'après deux témoins cités par l'ONG, plusieurs dizaines de détenus ont été forcés de creuser trois fosses communes à Moura lors de l'opération de l'armée. "Des habitants ont expliqué avoir dû enterrer eux-mêmes leurs morts à la chaîne, ils parlent de fosses communes et de corps calcinés", rapporte aussi RFI. Les témoignages recueillis par Human Rights Watch relatent aussi des cas de vols de "bijoux, d'argent et d'autres biens dans des habitations" ainsi que des "dizaines de morts brûlées". "Les maisons vides étaient pillées", appuie Libération. 

Selon des ressortissants du village interrogés par le quotidien, "plusieurs jeunes femmes ont été conduites le soir au campement des soldats, où elles auraient été violées". Human Rights Watch attend encore des informations suffisamment fiables à ce propos. Ousmane Diallo, d'Amnesty International, évoque "plusieurs sources secondaires" ayant parlé de "cas de viols à Moura". "Mais il nous faut faire un travail de corroboration" à ce sujet, tempère-t-il.

Des miliciens russes auraient participé

L'armée malienne est loin d'avoir agi seule. D'après "plusieurs sources sécuritaires" à Human Rights Watch, l'opération menée à Moura "impliquait plus de 100 militaires russes", en parallèle de soldats maliens. Un commerçant interrogé par l'ONG a assuré avoir vu "des soldats blancs", Russes selon lui, exécuter 19 hommes en quatre jours. "Les témoins nous décrivent de manière consistante des soldats blancs prenant part aux opérations et dont ils pensent qu'il s'agit de Russes, également du fait des déclarations des autorités selon lesquelles des 'formateurs' russes ont été déployés au Mali", souligne Bénédicte Jeannerod. 

"L'Union européenne, les Etats-Unis, la France entre autres pensent que ces soldats font partie de Wagner."

Bénédicte Jeannerod, directrice de Human Rights Watch en France

à franceinfo

Ousmane Diallo balaye également tout doute sur leur présence : "Ce sont clairement des membres du groupe Wagner. C'est dit par toutes les sources consultées." Mi-février, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, estimait à environ 1 000 le nombre de mercenaires du groupe Wagner présents au Mali. 

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