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Mali. "Nous regardons cette guerre avec des lunettes françaises"

Les images du conflit au Mali sont rares. Comment travaillent les journalistes sur le terrain ? Francetv info a interrogé deux des envoyés spéciaux de France Télévisions.

Article rédigé par Martin Gouesse, Didier Balez - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les journalistes de France 3 Hugues Huet (à gauche) et Salah Agrabi (à ses côtés) font partie des envoyés spéciaux de France Télévisions au Mali.  ( FRANCE 3)

France Télévisions a envoyé cinq équipes pour couvrir le conflit au Mali auquel la France prend part. Elles sont dispersées sur l’immense territoire malien. Francetv info a joint mercredi 16 janvier Gérard Grizbec, correspondant de France 2 à Dakar (Sénégal), en route vers Diabali, à 400 km au nord de Bamako (Mali), et Hugues Huet, grand reporter à France 3, actuellement à 20 kilomètres de Konna, pour en savoir plus sur leurs conditions de travail alors que les images de cette guerre sont très rares. 

Francetv info : Comment se passe votre travail sur le terrain ?

Gérard Grizbec : C’est un énorme bazar. Sur les barrages, les militaires maliens sont très nerveux. A chaque point de contrôle, ils nous demandent en général trois choses : notre passeport, l'endroit où on va et une accréditation du ministère de la Communication. Parfois, on est autorisé à passer sans ce dernier document.

Il y a énormément de journalistes sur place. Pour le moment, je suis avec un cameraman et un monteur. Nous avons également un chauffeur malien qui nous sert de traducteur mais nous n'avons pas de fixeur [un collaborateur local qui sert d'interprète, aide le journaliste à s'orienter, dans ses contacts avec la population...].  

Hugues Huet : Il règne une grande désorganisation au niveau de l'administration et, sur le terrain, au niveau de l'appareil militaire. Nous profitons de celle-ci pour avancer. Nous avons pu aller jusqu’à 5 kilomètres de Mopti mais, arrivés là, il nous a été formellement interdit d’aller plus loin. Pour faire 300 km, nous avons franchi plusieurs barrages, six checkpoints en tout. Dans notre progression vers le Nord, un militaire nous a contrôlés et nous a laissé passer mais lorsqu'on a voulu filmer, un soldat a préféré demander au gradé, qui a refusé. Même pour quatre images générales sans sonores ni gros plans.

Nos contacts avec la population sont plus faciles. Les Maliens se sentent rassurés et nous reçoivent parfois aux cris de "vive la France", comme si nous les sauvions d'un grand danger. Ils ont eu très peur de la prise par les jihadistes de la ville de Diabali.  Konna se sent aussi menacé. On peut voir de temps à autre des gens qui fuient vers le Sud. Je travaille avec un journaliste reporter d'images, Salah Agrabi, qui parle couramment arabe. Les habitants lui ont directement dit qu’ils s’attendent un long conflit. Salah Agrabi fait la comparaison avec la révolution islamique dans le sud de l’Algérie, qu’il avait couverte il y a 15 ans. D'après les Maliens, les islamistes n’ont pas besoin d’un gros armement, ils peuvent se battre à l’arme blanche, exactement comme en Algérie.

Comment assurez-vous votre sécurité ?

Hugues Huet : Nous n'avons pas de voiture blindée. En revanche, nous portons des équipements de protection comme des casques ou des gilets pare-balles. Nous essayons de ne pas circuler la nuit car les dangers peuvent venir de partout.

Nous sommes certes à plus de 50 km du front supposé ou des lieux d'affrontements possibles mais notre expérience à tous nous conduit à la prudence car il ne s'agit pas d'un conflit traditionnel. Les combattants rebelles ne sont, pour la grande majorité, pas des Maliens mais plutôt des hommes du nord de l'Afrique, des Algériens ou des Libyens. Cette guerre est atypique par rapport à ce que nous avons vécu en Irak où deux armées s'affrontaient. On pourrait plutôt, dans le cas présent, faire un parallèle avec l'Afghanistan où les talibans défendaient une cause et un territoire.

Dans notre vie quotidienne, la région étant touristique, on ne rencontre pas de problèmes pour se loger ou s'alimenter pour le moment. Quoi qu'il en soit, on fait attention car nous sommes en zone de conflit. Il m'arrive régulièrement de penser à être prudent pour éviter ce qui s’est passé avec Hervé et Stéphane. [Les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier étaient en reportage en Afghanistan pour France 3 lorsqu'ils ont été enlevés en décembre 2009. Ils ont été libérés après 547 jours de captivité.]

Le journaliste Franck Genauzeau en duplex pour Télématin (France 2) à Bamako (Mali), mardi 15 janvier 2013. ( PATRICK DESMULIE / FRANCE 2)

Pourquoi y a-t-il si peu d’images de cette guerre ?

Gérard Grizbec : L'armée malienne a reçu des consignes fortes de la part des forces françaises : "Il ne faut pas se laisser dépasser par les journalistes." L’armée n’a peut-être pas intérêt à montrer ce qui se passe. Je ne comprends pas pourquoi nous n’avons pas d’image. Tant qu’il n’y a pas de journalistes dans les zones de combat, on ne peut pas savoir comment ça se passe. Il y a aussi la crainte que des reporters soient pris en otage, qu’ils deviennent des prises de guerre pour les islamistes.

Mais nous manquons d’image. Il n'en existe pas une seule des bombardements français. Je ne comprends pas. Dans toutes les guerres, il y a toujours eu des images. Je me demande pourquoi l’armée, qui filme pour son compte les bombardements, ne montre rien, même avec 24 heures de décalage. Cela alimente toutes les rumeurs. Si on ne nous montre pas, c’est qu’il pourrait y avoir quelque chose à cacher. Ou l'armée est-elle mal préparée sur le terrain de la communication ?

Etes-vous en lien avec vos rédactions respectives et les autres journalistes sur place ?

Gérard Grizbec : Il y a un changement de génération. On voit beaucoup de jeunes confrères qui couvrent là leur premier conflit. Entre nous, dans l’équipe, il est très important de se parler et d’être d’accord sur tout. Dans une situation de ce type, la couverture d’une guerre, il ne faut pas s’enfermer dans une bulle. Nous regardons cette guerre avec des lunettes françaises, nous sommes donc en contact permanent avec la rédaction à Paris.

Hugues Huet : Notre travail avec les confrères est très important même si chacun travaille avec ses propres moyens, de façon autonome et indépendante. Entre les presses écrite et audiovisuelle, nous échangeons les quelques informations que nous possédons sur la situation militaire et les mouvements des uns et des autres.

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