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Liberia : le caoutchouc ne fait plus recette

La firme américaine de pneus Firestone a annoncé le 16 avril 2019 le licenciement de 200 de ses 6200 employés, qui devrait être suivi de 400 départs supplémentaires. Motif : la chute des cours mondiaux du caoutchouc. Un drame pour ce pays de 4,7 millions d’habitants, dont la société est le plus gros employeur privé. 

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Récolte du latex dans une plantation de la firme américaine de pneus Firestone à Harbel (est du Liberia), le 17 octobre 2016. (ZOOM DOSSO / AFP)

L'administration du président George Weah dit avoir obtenu que le nombre de suppressions de postes soit limité à 600. La situation est d'autant plus compliquée pour elle que depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2018, elle est confrontée à une forte inflation et à la chute du dollar libérien.

En 2016, Firestone, qui employait alors 8000 personnes (sans parler des emplois induits, estimés à plusieurs milliers), avait procédé aux premières vagues de licenciements de son histoire. Elle invoquait déjà la baisse des cours. De fait, en trois ans, la production mondiale de caoutchouc est passée de 9 à 13 millions de tonnes (chiffre 2017). La demande n'a pas suivi pour autant et les cours mondiaux ont logiquement chuté de 5000 à seulement 1000 dollars la tonne. Et pour finir, l'inévitable corollaire : l'effondrement des revenus des cultivateurs d'hévéas, arbres dont on extrait un latex transformé ensuite en caoutchouc. Lequel représente environ un tiers des exportations du Liberia.

Outre la baisse des cours mondiaux, Firestone, société américaine, mais propriété depuis 1988 du japonais Bridgestone, fait également valoir une diminution de la production de caoutchouc libérienne, conséquence directe des guerres civiles (1989-2003). A cette époque, les champs d’hévéa n’avaient pas pu être entretenus, alors qu'on ne pouvait pas planter de nouveaux arbres. Dans le même temps, des "récoltants clandestins ont gravement endommagé"  les exploitations, obligeant l'entreprise a mener une vaste campagne de replantation à partir de 2004. Selon Le Monde, son usine "n’a jamais été touchée (durant le conflit), contrairement aux habitations".

Des histoires très liées

La firme de pneus est très liée à l’histoire du Liberia, pays très pauvre d’Afrique de l’Ouest où elle est présente depuis 1926. Elle avait alors signé un contrat de 99 ans avec les autorités locales, le latex libérien alimentant désormais les usines américaines du groupe. Avant la Seconde guerre mondiale, les géants de l'automobile avaient déjà fait "de la production de caoutchouc la première activité économique du pays", signale Le Monde.

Preuve de l’importance de l'entreprise : en 2006, des camions-citerne de Firestone et de l'aéroport international Roberts tout proche avaient permis d'éteindre un incendie au palais présidentiel lors du 159e anniversaire de l'indépendance du pays. Par ailleurs, l’annonce de la nouvelle vague de licenciements a été faite sur la radio… Voice of Firestone Liberia.

Un travailleur inspecte la récolte de latex dans une plantation d'hévéas à Monrovia, capitale du Liberia. (GEORGE OSODI/AP/SIPA / AP)

Services sociaux

Au fil des décennies, les plantations de Firestone à Harbel (environ 50 km à l'est de la capitale Monrovia), qui s’étendent sur près de 520 km² et figurent parmi les plus grandes du monde, sont devenues une véritable communauté. Elles fournissent ainsi des services sociaux et avantages que les autorités du pays ne peuvent pas offrir à leurs concitoyens : logements gratuits, santé, subventions pour les frais scolaires, repas… Plus de 16 000 élèves sont inscrits dans 17 établissements financés par la multinationale. Et son centre médical, un hôpital de 300 lits, traite en moyenne quelque 5700 patients par mois.

Le groupe a dû investir sur le plan social notamment en raison des mauvaises conditions de vie et de travail dans ses unités, dénoncées par la presse internationale. En 2006, Le Monde évoquait ainsi ces milliers de saigneurs d’hévéas qui, "pour trois dollars par jour, (…) travaillent dans des conditions pires qu’il y a un siècle". La même année, l’ONU avait publié un rapport sur les "droits humains dans les plantations d’hévéas".

Accusations et impôts

L’entreprise a été accusée d’avoir fait travailler illégalement des enfants, ce qu’elle dément. Une accusation dont elle a été lavée devant un tribunal américain en 2011. En 2014, des médias américains, le site ProPublica et la chaîne PBS, ont par ailleurs affirmé qu’elle avait soutenu le régime du sanguinaire Charles Taylor, condamné par la suite pour crimes contre l’humanité. Des allégations niées par Firestone. La société assure avoir seulement payé des impôts, comme l'exige n'importe quel gouvernement. Depuis 2004, indiquait-elle en 2016, elle a versé environ un milliard de dollars (près de 885 millions d'euros) de recettes fiscales au Liberia, où peu de multinationales sont installées.

Dans un communiqué publié en novembre 2018, les syndicats libériens ont dénoncé "des conditions de travail et de vie des travailleurs épouvantables" au sein de l'entreprise. De son côté, celle-ci promet que les personnes qui vont être licenciées seront indemnisés "conformément au droit du travail libérien". Selon l’AFP, se faire licencier dans le pays signifie "bien souvent seulement six semaines d’indemnités". Sans parler de la perte de tous les avantages matériels apportés par la multinationale. Précision : le PIB par habitant au Liberia était de 473 dollars en 2016, selon la Banque mondiale.

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