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L’Afrique veut juger elle-même ses génocidaires et ses criminels de guerre

Le dossier est désormais entre les mains de l’Union africaine. Sur proposition du président kenyan, Uhuru Kenyatta, l’UA a décidé de préparer une feuille de route censée aboutir au retrait commun des pays africains de la CPI. Réunis à Addis Abeba les 30 et 31 janvier 2016, les dirigeants africains ont accusé la cour pénale internationale de s’acharner sur l’Afrique.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Le président kenyan Uhuru Kenyatta au sommet de l'Union africaine à Addis Abeba, le 29 janvier 2016. C'est lui qui propose aux pays africains de se retirer de la CPI. (Photo AFP/ Tony Karumba)

Le nouveau président en exercice de l’Union africaine, le Tchadien Idriss Deby a publiquement apporté son soutien à la proposition kenyane qui a été adoptée par le sommet d’Addis Abeba.
 
«Le constat que nous avons fait», a-t-il déclaré, c’est que la CPI s’acharne beaucoup plus sur l’Afrique, y compris sur des chefs d’Etat en exercice, alors qu’ailleurs dans le monde où les droits de l’Homme sont bafoués, personne n’est inquiété. Il y a là deux poids et deux mesures», a estimé le nouveau président en exercice de l’UA.
 
Créée en 2002 pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n’ont jamais été poursuivis dans leur propre pays, la CPI a ouvert des enquêtes sur huit pays au total, tous africains: Kenya, Côte d’Ivoire, Libye, Soudan, République démocratique du Congo, Centrafrique, Ouganda et Mali.
 
Faute de preuves, la CPI a dû abandonner en décembre 2014 des poursuites à l’encontre du président kenyan Uhuru Kenyatta pour son rôle dans les violences postélectorales de 2007-2008. C’est lui qui est à l’origine de cette proposition de retrait des pays africains de la CPI.
 
Photo de famille des chefs d'Etats et de gouvernements au sommet de l'Union africaine à Addis Abeba, le 30 janvier 2016. (Photo AFP/Tony Karumba)

L’Afrique est «capable de juger ses propres enfants»
L’ouverture du procès devant la CPI de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a ravivé les critiques et relancé les appels en faveur d’une alternative africaine.
 
«C’est comme si nous, les Africains, nous n’étions pas en mesure de dire le droit ou n’avions pas assez de ressources pour pouvoir juger nos propres fils», confie à l’AFP le juriste sénégalais Babacar Ba, président du Forum du justiciable.
 
Il estime que pour ce procès, l’Union africaine pouvait créer un tribunal spécial, à l’instar de celui qui juge, au Sénégal, l’ancien président tchadien Hissen Habré, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
 
L’enjeu, c’est de démontrer que l’Afrique est capable de juger ses propres enfants, pour que d’autres ne le fassent pas à sa place
 
 Pour les dirigeants africains, la CPI est devenu le bras judiciaire de puissances étrangères au continent. Pourtant, explique le chef de la diplomatie éthiopienne Adhamon Ghebreyesus, la création de la CPI «avait été fortement soutenue par l’Afrique». Il considère, avec regret, qu’il ne s’agit  «plus d’un tribunal pour tous».
 
Des accusations qualifiées d’infondées par la procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda. «Toutes les affaires que nous avons, sauf le Kenya, le Soudan et la Libye, ont été initiées à la demande de ces Etats africains», assure-t-elle.
 
Le président soudanais Omar al-Bachir au sommet de l'UA à Addis Abeba, le 29 janvier 2015. Il est toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt international délivré par la CPI. (Photo AFP/Minasse Wondimu Hailu/Anadolu Agency)

Tout le monde pas d’accord avec l’Union africaine
Mais tout le monde n’est pas convaincu de l’opportunité de se retirer de la Cour pénal internationale.
 
«La CPI mérite d’être appuyée», estime Angela Mudukuti, membre d’une organisation d’avocats, mobilisés en faveur d’une arrestation du président soudanais Omar El Béchir. «Les victimes ont besoin de justice et les auteurs présumés de crimes doivent comprendre que la loi les rattrapera», dit-elle à l’AFP.
 
C’est aussi l’avis du quotidien kenyan Daily Nation qui désavoue le président Uhuru Kenyatta. «Quitter la CPI sans avoir en vue aucun mécanisme crédible pour juger les crimes de masse serait une erreur aux proportions colossales», estime le journal kenyan dans un éditorial.

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