Cet article date de plus de dix ans.

L'article à lire pour comprendre le rapt de 200 filles, au Nigeria, destinées à devenir esclaves

Des lycéennes ont été enlevées, mi-avril, dans leur établissement scolaire, à Chibok, dans le nord-est du pays, par le groupe islamiste Boko Haram. Ce dernier prévoit de les vendre et de les marier de force.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des femmes demandent aux autorités de retrouver les lycéennes enlevées, lors d'une manifestation devant le Parlement, à Abuja, la capitale du Nigeria, le 30 avril 2014. (AFOLABI SOTUNDE / REUTERS)

C'est un enlèvement spectaculaire. Plus de 200 filles ont été enlevées, mi-avril, dans leur lycée, à Chibok, dans l'état de Borno, dans le nord-est du Nigeria. Le groupe islamiste armé Boko Haram a revendiqué le rapt et est soupçonné d'avoir capturé huit nouvelles adolescentes, dans la nuit du lundi 5 au mardi 6 mai, dans la même région.

Francetv info vous explique tout ce qu'il y a à savoir sur cette action qui terrorise les familles nigérianes et déséquilibre le président du pays, Goodluck Jonathan.

Comment 200 lycéennes ont-elles pu être kidnappées ?

Depuis mi-mars, les écoles de l'Etat du Borno sont fermées, car le gouvernement craint que le groupe islamiste Boko Haram les attaque. Mais ces jeunes filles sont exceptionnellement revenues dans leur établissement de Chibok, le 14 avril, pour passer un examen de physique. "C'est arrivé vers 23 heures. Nous étions dans le foyer", raconte Amina Sawok, une lycéenne qui a réussi à échapper aux ravisseurs, au journal nigérian Punch (en anglais). Des hommes vêtus de tenues militaires pénètrent dans le lycée et affirment "venir [les] sauver". Ils incendient les bâtiments, tuent les gardes et font monter les lycéennes dans des camions, avant de prendre la direction de la forêt de Sambisa, la réserve naturelle devenue forteresse de Boko Haram, raconte le Guardian (en anglais).

Combien sont-elles exactement ?

Elles sont au moins 200, selon le Toronto Star (en anglais), qui publie une liste de noms. Mais il semble qu'aucun recensement complet des victimes n'ait été effectué. Les responsables de l'Etat de Borno affirmaient que 129 adolescentes âgées de 16 à 18 ans avaient été enlevées et 52 avaient réussi à s'échapper, en profitant d'un arrêt sur la route entre Chibok et la forêt. Un bilan qui semble très sous-estimé, à en croire les habitants de la ville et la directrice du lycée, qui affirment que 230 filles ont été enlevées et que 187 d'entre elles sont toujours en captivité. La police locale évoque jusqu'à 276 lycéennes, dont 53 auraient réussi à s'enfuir. Et certaines sources estiment que les plus jeunes des captives n'auraient que 12 ans.

Qui sont les islamistes de Boko Haram ?

Boko Haram est un surnom donné au mouvement islamiste par la population nigériane. "Boko" signifie "livre" et "haram", "illicite". Ce que l'on peut traduire par "l'éducation occidentale est interdite par le Coran". Mais le groupe signe ses communiqués "Jama'atu Ahlis-Sunnah Lidda'awati Wal Jihad", soit "les disciples du prophète pour la propagation de l'islam et de la guerre sainte", comme l'explique francetv info dans cet article. Cette secte religieuse née au début des années 2000 s'est radicalisée dans la violence en 2009. Depuis juillet 2013, ses membres multiplient les attaques contre le système éducatif au Nigeria et ont déjà massacré des dizaines d'étudiants, abattus ou brûlés vifs, rapporte le Washington Post (en anglais).

Que cherche Boko Haram ?

"J'ai enlevé les filles", annonce Abubakar Shekau, le chef du groupe islamiste, lundi 5 mai, trois semaines après le gigantesque rapt de Chibok. "J'ai dit que l'éducation occidentale devait cesser. Les filles, vous devez quitter [l'école] et vous marier", ajoute le jihadiste, qui précise garder "des esclaves". Dès 2010, il a promis "d'annihiler" toute trace de culture et d'éducation occidentale dans le pays le plus peuplé d'Afrique.

Selon Boko Haram, l'éducation des femmes est imposée par l'Occident et contraire à la loi islamique. En enlevant ces filles, Boko Haram poursuit deux objectifs : l'un idéologique, l'autre économique. Il suscite la terreur jusqu'au gouvernement de l'Etat du Borno, qui cède à ses menaces en fermant les écoles, et s'assure des revenus faciles en vendant ces jeunes femmes comme esclaves.

Où ont été emmenées les lycéennes capturées ?

"Beaucoup d'entre elles ont probablement été déplacées vers des pays voisins", selon la porte-parole de la diplomatie américaine, Marie Harf, citée par l'AFP. "Nos jeunes filles enlevées ont été emmenées au Tchad et au Cameroun où elles ont été mariées à des membres de Boko Haram pour 2 000 nairas (9 euros)", affirme Pogu Bitrus, le chef du conseil des anciens de Chibok. Ces informations, qui ne sont pas encore vérifiées, ne sont pas fantaisistes. L'Afrique de l'Ouest est l'une des régions où la traite des humains est la plus répandue. Le Nigeria à lui seul compte 168 millions d'habitants et au moins 670 000 esclaves, selon le dernier rapport (PDF, en anglais) de l'association australienne Walk Free.

Si les adolescentes n'ont pas encore été vendues, c'est au moins ce que promet Boko Haram. "Je vais les vendre sur le marché, au nom d'Allah", a déclaré Abubakar Shekau, lundi, avant d'ajouter : "Je vais épouser une fille de 12 ans, je vais épouser une fille de 9 ans." Par ailleurs, deux des victimes seraient mortes, mordues par des serpents, selon le Global Post (en anglais).

Que fait le gouvernement nigérian ?

A un an de l'élection présidentielle, ce drame risque de coûter cher au président Goodluck Jonathan. Le gouvernement a d'abord sous-estimé le nombre de victimes de ce gigantesque rapt. Puis l'armée a affirmé avoir secouru la plupart d'entre elles avant de reconnaître que c'était faux. Les forces nigérianes sont incapables de lutter contre la violente guérilla que mène Boko Haram, et qui aurait déjà fait au moins 1 500 morts cette année, selon Amnesty International.

Le président Goodluck Jonathan a attendu presque trois semaines pour s'exprimer, en accusant les familles de ne pas coopérer avec la police, rapporte CNN (en anglais). Dimanche, il a finalement réuni les responsables nigérians directement concernés (chefs des services de sécurité et militaire, gouverneur de l'Etat de Borno, chef de la police locale…) avant d'appeler les Etats-Unis à l'aide pour lutter contre le terrorisme. Goodluck Jonathan ne peut qu'affirmer que "tout est fait" pour retrouver les lycéennes.

Qu'est-ce que #bringbackourgirls sur Twitter ?

Les familles ont perdu toute confiance dans l'opération de secours des autorités, si bien qu'elles recherchent elles-mêmes leurs filles et leurs nièces, en se cotisant pour acheter de l'essence et arpenter la région en voiture et à moto. Pour les soutenir, un grand mouvement s'est levé sur le web. Défenseurs des droits des femmes et internautes anonymes se rassemblent derrière le hashtag #bringbackourgirls.(#rameneznosfilles), pour attirer l'attention sur ce drame sans précédent.

Pourquoi n'en ai-je pas entendu parler plus tôt ?

Pendant deux semaines, seuls quelques médias internationaux se sont intéressés au rapt du lycée de Chibok et aucun responsable politique n'a commenté l'affaire. Le journaliste britannique Piers Morgan estime que les Occidentaux négligent le drame parce qu'il s'est déroulé en Afrique. "Si plus de 200 filles avaient été kidnappées en Europe ou en Amérique, le monde aurait déjà agi", écrit-il sur Twitter.

L'éditorialiste britannique Anne Perkins explique très simplement, dans cet article du Guardian (en anglais), pourquoi les médias ne se sont pas emparés du sujet. "Le sort des jeunes Nigérianes (...) n'a pas été totalement ignoré par les médias internationaux. Mais il a été submergé par l'histoire du ferry naufragé en Corée du Sud", écrit la journaliste. Les raisons sont simples, selon elle. "L'histoire du ferry s'est déroulée devant des caméras, dans une région industrialisée, avec tous les moyens nécessaires pour diffuser l'information. Au contraire, les jeunes Nigérianes se sont évanouies dans les ténèbres d'un monde dangereux", remarque-t-elle.

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