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Le Standard Gauge Railway, «Grande muraille de Chine» au Kenya?
La construction de la ligne de chemin de fer, Standard Gauge Railway (SGR), est l’un des projets développés dans le cadre de Vision 2030, un plan de développement industriel et économique adopté par Nairobi pour transformer le pays. Mais cette réalisation, le plus grand projet d’infrastructure entrepris par le Kenya depuis l’indépendance, est au cœur de nombreuses polémiques.
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En 2009, le président kényan, Uhuru Kenyatta, a signé un accord avec d'autres dirigeants africains et la Chine, pour construire ce chemin de fer à grande vitesse qui sillonnera à terme l'Afrique de l'Est, selon Géopolis. Une première partie à l'intérieur du Kenya a été inaugurée en 2017.
Financée à 90% par la Chine, via la Banque Exim, à hauteur de 3,8 milliards de dollars, cette réalisation a été confiée à la China Road and Bridge Corporation. Elle est le plus grand projet d’infrastructure post-indépendance du Kenya, reliant Nairobi à Mombasa sur 472 kilomètres. Neuf gares et 98 ponts ont été réalisés en trois ans pour parfaire la ligne (2011-2014).
Pouvant transporter 1200 passagers, ce train a radicalement changé la vie des Kenyans et a été déterminant dans le transport des populations, des très nombreux touristes, mais aussi dans la manière d’acheminer des biens et des services.
«De quoi permettre aux trains de relier, sans arrêt, Mombasa à Nairobi en quatre heures et demie (contre neuf heures en bus ou une douzaine d’heures par l’ancienne ligne surnommée Lunatic Express, construite par des ouvriers indiens et africains dans les années 1890, alors que le pays est sous domination britannique, NDLR) pour un prix de 900 shillings (7,75 euros) en classe économique, soit légèrement moins que le bus, le billet en classe Business étant quant à lui trois fois plus cher», précise le site Ville, Rail &Transports.
«Côté fret, Kenya Railway Corp a déclaré que l’envoi d’un conteneur EVP (Equivalent vingt pieds, qui est une unité de mesure, NDLR) entre Mombasa et Nairobi reviendrait à 50.000 shillings (429 euros) par le SGR, contre 90.000 shillings (775 euros) par la route, en huit heures maximum (soit un gain de temps pouvant atteindre 24 heures). Mais c’est surtout en capacité que le fret bénéficiera de gains colossaux, qui devraient permettre de décongestionner l’axe routier entre Mombasa et Nairobi», ajoute Ville, Rail &Transports. 22 millions de tonnes de marchandises devraient ainsi pouvoir circuler chaque année.
Le gouvernement espère grâce à ce moyen de transport engendrer d’énormes retombées économiques. Les experts tablent sur un point et demi de croissance supplémentaire par an et la création de 30.000 emplois.
Ecolos et défenseurs des animaux, vent debout
Mais la construction de cette ligne soulève encore des questions. Les opposants au projet sont nombreux et les conflits récurrents entre les différents protagonistes.
Les premiers à s’être opposés à ce projet sont les écologistes et les défenseurs de la cause animale. Ils pensent que l’environnement a été sacrifié sur l’autel du développement économique. Selon eux, cette construction menace la vie sauvage, la faune et les déplacements des animaux.
Pour résoudre ce problème, il a été décidé après de rudes négociations d’élever le chemin de fer sur des piliers de béton géants. Richard Leakey, paléoanthropologue kényan, a appuyé le projet et joué un rôle de premier plan dans la construction de ce viaduc à 18 mètres de hauteur.
Le scientifique qui s’implique aussi dans la politique du pays pense que les changements sont inévitables, en particulier dans les villes d'Afrique à la croissance exponentielle. Il considère que l'Afrique ne doit pas craindre d'aspirer à la grandeur. Si ce dernier et Kenya Railways ont rassuré le président Kenyatta sur un projet qui n’abîmerait pas l’écosystème, beaucoup ne partagent pas cet avis.
Mais les experts environnementaux craignent que ce chemin de fer crée un précédent très dangereux, car il traverse deux parcs nationaux: Nairobi et Tsavo West. Le parc national de Nairobi est le deuxième parc le plus visité du Kenya et le plus ancien. Il est le seul parc animalier au monde situé dans une capitale.
«Les parcs nationaux du Kenya sont confrontés à de multiples menaces, notamment du braconnage, du pâturage illégal, des activités minières et de l’expansion urbaine et agricole non réglementée. Au fond, toutes ces menaces découlent de conflits – réels ou perçus – entre objectifs de conservation économique et environnementaux», indique The Gardian.
«En laissant les intérêts économiques l'emporter sur les intérêts environnementaux, le gouvernement et le Kenya Wildlife Service perdront l'autorité morale de protéger d'autres parcs confrontés à des menaces comparables. Cela nuira à la réputation du Kenya et, éventuellement, annulera des décennies de succès en matière de conservation», ajoute le quotidien britannique.
«Le parc national de Nairobi est le plus ancien parc d'Afrique orientale. Après avoir été protégé en 1946, il reçoit plus de 150.000 visiteurs chaque année. Il abrite des girafes, des buffles d'Afrique, des centaines d'espèces d'oiseaux et des dizaines de lions», précise National Geographic. La diversité biologique du parc est supérieure à celle de certains pays. Il est un sanctuaire d'importance mondiale pour certaines espèces menacées, notamment le rhinocéros noir.
Corruption, chômage et banques
L’autre critique est venue de la Banque mondiale. Elle considère que ce projet coûte six fois plus cher que la simple modernisation de l'ancienne ligne. Et selon la Banque centrale du Kenya, «le SGR n’est pas un cadeau: 90% du projet a été financé grâce à un prêt octroyé au Kenya par la banque chinoise Eximbank. Or, sous l’effet des emprunts faits à Pékin pour la construction d’infrastructures, la valeur de la dette publique du pays a déjà doublé depuis 2013 et dépasse aujourd’hui les 54% du PIB», indique Le Monde.
A cela se rajoute une autre polémique. Les Kenyans accusent en effet le gouvernement chinois de favoriser ses employés et de «voler» des emplois au pays. Ils réclament à Pékin de fournir davantage de formation professionnelle et de transfert de compétences techniques aux travailleurs kényans.
Le conseiller économique et commercial de l'ambassade de Chine, Dr Guo Ce, a déclaré au sujet des emplois, et en particulier ceux impliqués dans le cadre de la construction du SGR: «Je ne suis pas d'accord avec cela car la compétence du personnel chinois est là pour fournir un transfert de compétences techniques aux travailleurs kényans, qui au final vont prendre en charge et gérer les projets», a déclaré l’économiste cité par à Capital News. La Chine s’est engagée à fournir davantage de formations aux étudiants kényans pour qu’ils puissent à la fin de leur cursus, diriger des opérations SGR et dans d’autres entreprises.
La «Grande muraille de Chine»
A l’été 2018, les relations se sont envenimées entre les différentes parties, suite à un rapport d'enquête, qui a permis d'établir des faits de corruption et de crimes économiques. «Le Procureur général a ordonné alors l'arrestation du directeur de l'Agence foncière nationale, Mohammed Abdalla Swazuri, et du directeur de la Compagnie ferroviaire nationale Kenya Railways, Atanas Kariuki Maina. Epinglés dans une affaire concernant la construction du SGR, ils sont accusés d'avoir alloué des terrains publics à des individus, avant de les indemniser pour ces mêmes terrains lorsque ceux-ci ont été utilisés pour la construction de la ligne de train», déclare La Tribune. Ces arrestations ont eu lieu dans le cadre de la lutte anti-corruption mise en place par les autorités du Kenya afin de mettre fin aux «obstacles du développement» économique du pays.
En octobre 2018, les propos de Li Xuhang, ambassadeur de Chine au Kenya qui menacé de déclencher une guerre commerciale avec le pays de l’Afrique de l’Est, n’ont pas arrangé la situation. Ces propos ont fait suite à «l’appel du président du Kenya, Uhuru Kenyatta, visant à mettre un terme aux importations de tilapia chinois qui, selon lui, inondait le marché et nuisait à l’industrie de la pêche locale. Le gouvernement chinois a réagi avec colère, affirmant qu’il imposerait ses propres sanctions au Kenya. Il a également averti qu’il risquait de se retirer du financement pour la phase deux du SGR», raconte le site Mirast News.
Beaucoup d’opposants au projet voient une mainmise de la Chine, qui souhaite ouvertement disposer d’une tête de pont pour accéder au cœur de l’Afrique. Une Chine devenue, le temps de la construction de la ligne nouvelle, en moins d’une décennie, le premier partenaire commercial du Kenya, détrônant l’Inde, partenaire privilégié de longue date. «La valeur de ses exportations à destination de Nairobi ayant doublé entre 2012 et 2016, pour atteindre 3 milliards d’euros, selon le Bureau national des statistiques du pays (KNBS), reléguant loin derrière l’Inde et les Etats-Unis. Pékin détient en outre aujourd’hui plus de la moitié de la dette extérieure du pays», précise Le Monde.
Mais attention à ceux qui veulent s’en prendre au SGR et dégrader le plus important projet d’infrastructure réalisé au Kenya depuis son indépendance (1963). La BBC a rapporté que «le président Kenyatta ferait passer une loi condamnant à mort par pendaison toute personne se livrant à un acte de vandalisme» sur cette nouvelle ligne, déclare le site Ville, Rail et Transports.
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