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Guinée : la polygamie, une pratique interdite par une loi jamais appliquée

Entre les pesanteurs sociales et le poids de la religion, la Guinée cherche à se doter d’un code civil consensuel sur la question de la polygamie. Une pratique interdite depuis 50 ans par une loi restée lettre morte. Il s’agit d’un véritable défi, comme l’expliquent à Géopolis Yansané Fatou Baldé et Mohamed Camara, deux membres éminents de la société civile guinéenne.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La pyramide des âges montrerait qu’en Guinée, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Un argument avancé par certains pour défendre la polygamie.  (Photo AFP/Georges Bendrihem)

Les Guinéens le reconnaissent volontiers. La loi interdisant la polygamie dans leur pays a été ignorée, y compris par les plus hauts dirigeants du pays depuis son adoption en 1968. Une loi mort-née, explique à Géopolis Madame Yansané Fatou Baldé, présidente de la Coalition des femmes-leaders de Guinée
 
«90 % des ministres du gouvernement de Sékou Touré (premier président de la Guinée, NDLR) sont devenus polygames après 1968. Comme la plupart des magistrats en vue. Et ça s’est fait sous ses yeux. Pourtant, il avait un instrument de répression redouté de tout le monde: le camp Boiro. Mais jamais on a entendu parler d'arrestation ni d'une personne jugée et incarcérée dans cette prison pour polygamie. Aujourd’hui, il n’y a pas un seul procureur de la République qui peut se lever et interpeller un homme qui est allé signer un deuxième mariage, parce que tous les procureurs sont polygames», regrette-t-elle.
 

Madame Yansiné Fatou Baldé est présidente de la Coalition des femmes-leaders de Guinée. Elle appelle à un débat serein sur le projet de code civil guinéen et, si nécessaire, à l'organisation d'un référendum. (Photo/Coalition des femmes-leaders de Guinée)

Faut-il légaliser la polygamie ?
Dans ce pays où la population est musulmane à plus de 90%, un nouveau projet de code civil est à l’étude. Il propose aux Guinéens trois régimes optionnels.
 
«Le jour de la célébration du mariage, les époux conviennent du régime de leur choix. Soit une femme pour le régime monogamique, soit deux femmes pour le régime de la polygamie limitée, soit enfin trois ou quatre femmes qui est le maximum permis par la religion musulmane. C’est le régime de la polygamie intégrale», explique à Géopolis, le juriste guinéen Mohamed Camara.
 
Faut-il légaliser la polygamie? Pourquoi pas, répond Mohamed Camara qui a choisi de vivre sous le régime de la monogamie. A condition, précise-t-il, d’ouvrir un débat national sur la question et de tenir compte des effets pervers associés à la polygamie.
 
«Comment comprendre dans le Code civil guinéen, que lorsqu’il est question pour une femme d’exercer certains métiers, l’on demande d’abord l’avis de l’époux, alors que l’homme peut exercer les métiers de son choix sans le consentement de son épouse. Dès l’éducation de base, il faut intégrer la notion selon laquelle, l’homme et la femme sont égaux, en droit et en devoir. Il faut donner leur chance aux femmes victimes le plus souvent du plafond de verre, de barrières invisibles».
 
Mohamed Camara est un juriste guinéen et enseignant à l'université de Conakry. Il insiste sur le respect du caractère laïc de l'Etat guinéen.  (Photo/M.Camara)

Le poids de la religion et les pesanteurs sociales
Mohamed Camara préconise un savant dosage pour ne pas transformer la Guinée en un pays religieux, alors que c’est un pays laïc. Une religion que les hommes interprétent souvent «à leur avantage et de façon simpliste», soutient la présidente de la coalition des femmes-leaders de Guinée, Madame Yansané Fatou Baldé. Elle en veut pour preuve le fait que les hommes se sentent obligés d’avoir quatre épouses.
 
«La religion musulmane dit : mariez-vous, si vous avez les moyens. Si vous pouvez être juste et équitable, vous pouvez prendre jusqu’à quatre épouses. Le cas échéant, limitez-vous à une. Ce n’est pas une obligation».  Et pour elle, la tradition, plus que la religion, pèse lourdement sur la femme guinéenne.
 
«Cela commence sur les bancs de l’école. Dans les écoles publiques où le balayage des classes se fait par les élèves, ce sont toujours les filles qui sont désignées pour accomplir cette tâche. Il y a trente ans, quand j’étais au Lycée, je me suis retrouvée seule fille de ma classe et on m’a demandé de balayer tous les jours. J’ai refusé catégoriquement. Parce que moi, j’ai été élevée dans un environnement où il y avait une équité entre tous les enfants. Finalement, c’est ma mère elle-même qui est venue prendre ma défense. C’était un choc même pour le corps professoral. J’ai été traitée de rebelle».

«Mettre un terme à cette discrimination devenue institutionnelle»
Fatou Baldé estime que le problème n’est pas de légaliser ou pas la polygamie. La priorité, insiste-t-elle, c’est de mettre un terme à cette discrimination devenue institutionnelle.
 
«Quand j’étais petite, on me faisait comprendre que la femme ne pouvait pas toucher au Coran. Je me suis rendue compte, en grandissant, que c’était une manière de bloquer l’accès des femmes à l’instruction et à l’information, pour pouvoir mieux les asservir. Moi j’ai dit aux femmes, prenez le Coran qui est traduit aujourd’hui dans toutes les langues. Lisez et vous comprendrez que la religion musulmane n’est pas discriminatoire. Elle offre la possibilité de s’épanouir».

Offrir à tous les Guinéens, la possibilité de pouvoir s’épanouir et de choisir le régime de mariage qui leur convient. C’est le vœu du juriste Mohamed Camara. Il souhaite que l’Etat veille au grain. «Il faudra faire en sorte de ne pas rester trop dans la religion, de manière à ce qu’on puisse encadrer les droits des femmes. Il faut que leur consentement soit pris en compte conformément aux conventions internationales que nous avons signées», insiste-t-il, pour mettre fin aux disparités et aux traitements inégalitaires dont souffrent les femmes.
 
 

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