Putsch au Gabon : "La France s'abrite derrière une légalité qui est factice", estime Thomas Borrel, de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique

La France "condamne" le coup d'État au Gabon ce mercredi. "Il ne faudrait pas privilégier un coup d'État à un autre" car "ce que faisait Ali Bongo, c'était un énième coup d'État électoral", juge le porte-parole de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique.
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Des Gabonais et Gabonaises célébrant le coup d'État du 30 août 2023. (STR / MAXPPP)

"La France s'abrite derrière une légitimité qui est factice", a estimé mercredi 30 août Thomas Borrel, porte-parole de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique, après que des militaires putschistes ont annoncé avoir mis "fin au régime en place" au Gabon. Ils ont indiqué avoir placé en résidence surveillée le président Ali Bongo Ondimba, dont la réélection après 14 ans au pouvoir venait d'être annoncée. 

>> Coup d'Etat au Gabon : "dissolution des institutions", Ali Bongo en résidence surveillée… Ce que l'on sait de la situation après la réélection du président

Thomas Borrel dénonce "l'hypocrisie" de la France qui "fait croire que ces élections auraient quelque part une légitimité". "Il ne faudrait pas privilégier un coup d'État à un autre" car "ce que faisait Ali Bongo, c'était un énième coup d'État électoral", souligne le porte-parole de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique, association créée en 1984 qui dénonce toutes les formes d’intervention néocoloniale française en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique étrangère de la France en Afrique. Selon l'association, "si on tourne la page des Bongo, c'est une bonne nouvelle pour la fin de la Françafrique"

franceinfo : Pourquoi parlez-vous d'un double coup d'État, putsch militaire mené par des officiers d'un côté, putsch électoral tenté par le clan Bongo de l'autre ?

Thomas Borrel : Par rapport à la France qui condamne le coup d'État militaire qui a été mené cette nuit, il ne faudrait pas privilégier un coup d'État à un autre. Ce que faisaient Ali Bongo et son régime, c'était un énième coup d'État électoral. Donc ce n'était pas une élection au sens où on l'entend. Il y a un artifice démocratique, mais ce n'est pas une démocratie.

La France condamne le coup d'État militaire et "réaffirme son souhait que le résultat de l'élection, lorsqu'il sera connu, puisse être respecté". Comment analysez-vous cette déclaration ?

Il y a une hypocrisie totale. D'une part, les résultats ont été annoncés dans la nuit, annonçant Ali Bongo comme vainqueur de l'élection avec plus de 64 % des voix. Donc la forfaiture électorale était déjà accomplie quand le coup d'État militaire s'est mis en branle. Et puis il y a une hypocrisie parce que c'est faire croire que ces élections auraient quelque part une légitimité et que leur résultat serait à reconnaître. En fait, la France s'abrite derrière une légalité qui est factice. 

En quoi le Gabon et la dynastie Bongo sont-ils emblématiques de ce qu'on appelle la Françafrique ? 

La Françafrique, c'est un système de domination de la France sur des pays africains, mais qui est fait avec un certain nombre d'élites africaines depuis toujours. Et le régime Bongo, Omar Bongo d'abord, Ali Bongo ensuite, et tout le clan Bongo en général, toute leur histoire est imbriquée dans l'histoire de la Françafrique.

"Quand on parle de la Françafrique, on parle des Bongo. Quand on parle des Bongo, on parle de la Françafrique"

Thomas Borrel, de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique

à franceinfo

Si aujourd'hui on tourne la page des Bongo, c'est une bonne nouvelle dans la lutte contre la Françafrique. 

Quelle était jusqu'ici la réalité de la vie politique, démocratique, institutionnelle au Gabon ? 

Complètement artificielle. Il y a eu des élections. Mais lors de la dernière élection présidentielle en 2016, on a quand même un hélicoptère de l'armée qui a mitraillé le QG de campagne du principal opposant à Ali Bongo, Jean Ping, qui était le candidat unique de l'opposition. On imagine une démocratie où on nous dit qu'un hélicoptère va mitrailler le QG de campagne. C'était une façade bien utile pour les alliés du régime. 

>> Gabon : l'opposant Jean Ping conteste la réélection d'Ali Bongo et saisit la Cour constitutionnelle

Dans ce contexte, une révolte, une révolution ou une réaction est-elle envisageable autrement que par des militaires ? 

C'est tout le problème auquel font face les militants, les militantes gabonaises. Et puis d'autres pays tenus par des régimes de ce type-là. On peut penser au Togo, au Cameroun, au Congo, au Tchad. Par les urnes, ils n'arrivent pas à se débarrasser de ces régimes autocratiques. Quelle voie leur reste-t-il ? Quand ils essayent par des voies populaires, ils ont face à eux la répression et bien souvent avec le soutien de l'armée française.

"Que des militaires prennent leurs responsabilités, ça peut être, il faut être prudent, une bonne nouvelle, à condition toutefois que cela ne débouche pas sur une dictature militaire"

Thomas Borrel, de l'association Survie-Ensemble contre la Françafrique

à franceinfo

Depuis ce matin, les Gabonais et les Gabonaises sont descendus dans la rue pour saluer l'armée. Certains peuvent craindre une révolution de palais puisque c'est le commandant de la garde présidentielle qui mène le putsch et qui était lui-même au cœur du système Bongo. Mais en réalité, il y a avec lui tout un tas d'officiers qui agissent et qui sont soutenus par la population gabonaise. Donc on voit bien qu'il y a beaucoup d'espoir qui naît de ce processus qui est en train de se dérouler sous nos yeux. 

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