Coup d'Etat au Gabon : "dissolution des institutions", Ali Bongo en résidence surveillée… Ce que l'on sait de la situation après la réélection du président

L'annonce de la réélection d'Ali Bongo dans la nuit de mardi à mercredi a été suivie d'un coup d'Etat, condamné notamment par la France.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des militaires s'expriment à la télévision au Gabon, le 30 août 2023. (GABON 24 / AFP)

La situation reste confuse au Gabon. Un groupe d'une douzaine de militaires et de policiers gabonais a annoncé, mercredi 30 août, dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24 abritée au sein de la présidence, l'annulation des élections, la dissolution de "toutes les institutions de la République" et la "fin du régime". Cette déclaration intervient juste après la proclamation officielle des résultats du scrutin présidentiel de samedi et la réélection d'Ali Bongo pour un troisième mandat. Ce dernier a été placé en résidence surveillée, mercredi matin, et l'un de ses fils a été arrêté. Franceinfo fait le point sur la situation dans ce pays d'Afrique centrale.

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Des militaires annoncent l'annulation des élections et la "fin du régime"

Alors que les résultats de l'élection étaient relayés sur Gabon 24, "juste avant 5 heures du matin, la diffusion est coupée pendant quelques minutes. Une douzaine de militaires apparaissent ensuite à l'écran", rapporte RFI. Après avoir constaté "une gouvernance irresponsable, imprévisible qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos (...) nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place", déclare un de ces militaires, disant s'exprimer au nom d'un "Comité de transition et de restauration des institutions". "A cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés", ajoute-t-il.

"Toutes les institutions de la République sont dissoutes, le gouvernement, le Sénat, l'Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle. Nous appelons la population au calme et à la sérénité et nous réaffirmons notre attachement au respect des engagements du Gabon à l'égard de la communauté internationale", poursuit-il, annonçant aussi la fermeture des frontières "jusqu'à nouvel ordre".

Parmi ces militaires figurent des membres de la garde républicaine (GR), de la garde prétorienne de la présidence, reconnaissables à leurs bérets verts, ainsi que des soldats de l'armée régulière et des policiers. L'intervention est ensuite rediffusée sur la télévision publique Gabon 1ère. Pendant cette déclaration, des journalistes de l'AFP entendent des tirs d'armes automatiques dans plusieurs quartiers de Libreville, la capitale. Ces tirs, sporadiques, ont rapidement cessé.

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Ali Bongo placé en résidence surveillée, un de ses fils arrêté pour "haute trahison"

Le président sortant est "en résidence surveillée" entouré de sa famille et de ses médecins, ont annoncé dans la matinée les militaires putschistes. Noureddin Bongo Valentin, fils et proche conseiller du chef de l'Etat, Ian Ghislain Ngoulou, directeur de cabinet d'Ali Bongo, Mohamed Ali Saliou, son directeur de cabinet adjoint, Abdul Hosseini, un autre conseiller de la présidence, Jessye Ella Ekogha, conseiller spécial et porte-parole de la présidence ainsi que les numéros un et deux du tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG) d'Ali Bongo "sont arrêtés", a ajouté le colonel de l'armée qui avait lu dans la nuit le communiqué annonçant la "fin du régime".

Ils sont notamment accusés de "haute trahison contre les institutions de l'Etat, détournements massifs des deniers publics, malversations financières internationales en bande organisée, faux et usage de faux, falsification de la signature du président de la République, corruption active, trafic de stupéfiants".

Une réélection d'Ali Bongo contestée par son principal adversaire

Ce coup de force suit de peu la publication des résultats officiels de l'élection présidentielle de samedi, qui s'est déroulée dans un climat anxiogène, comme le rapporte le correspondant de RFI au Gabon sur X (ex-Twitter).

Ces résultats ont vu le président sortant Ali Bongo Odimba, au pouvoir depuis quatorze ans, décrocher un troisième mandat avec 64,27% des suffrages. Selon ces résultats proclamés par le président du Centre gabonais des élections (CGE), Michel Stéphane Bonda, à l'antenne de Gabon 1ère, le principal rival d'Ali Bongo, Albert Ondo Ossa, n'a recueilli que 30,77% des voix.

Albert Ondo Ossa avait dénoncé des "fraudes orchestrées par le camp Bongo", deux heures avant la clôture du scrutin, et avait revendiqué la victoire. Lundi, son camp avait exhorté Ali Bongo à "organiser, sans effusion de sang, la passation du pouvoir" sur la base d'un comptage effectué selon lui par ses propres scrutateurs, et sans produire de document à l'appui. Les résultats officiels ont été donnés en plein milieu de la nuit, à 3h30 (4h30 à Paris), sur Gabon 1ère, sans annonce préalable.

Un pays sous couvre-feu et coupé d'internet depuis samedi

Le gouvernement avait coupé internet samedi soir et instauré un couvre-feu dans tout le pays en invoquant des risques de violences, peu avant la fin de la présidentielle. En vue d'éviter "la propagation d'appels à la violence (...) et des fausses informations", "le gouvernement a pris la décision de suspendre jusqu'à nouvel ordre l'accès à l'internet sur toute l'étendue du territoire. Un couvre-feu sur l'ensemble du territoire est décrété et sera appliqué dès ce dimanche 27 août. Il sera en vigueur tous les jours, à partir de 19 heures, jusqu'à 6 heures", avait déclaré Rodrigue Mboumba Bissawou, le ministre de la Communication, sur la chaîne de télévision publique. L'accès à internet a finalement été rétabli mercredi matin.

Samedi soir, la chaîne publique, citant la Haute Autorité de la communication (HAC), avait également annoncé "l'interdiction provisoire de diffusion au Gabon des médias France 24, RFI et TV5 Monde", auxquels il était "reproché un manque d'objectivité et d'équilibre dans le traitement de l'information en lien avec les élections générales en cours".

Dimanche, France Médias Monde, groupe auquel appartiennent RFI et France 24, avait exprimé son "incompréhension". Le groupe "regrette et s'étonne de cette suspension provisoire, sans fondement", qui "prive les Gabonais de deux de leurs principales sources d'information fiables et indépendantes".

Des réactions de la communauté internationale

Les premières réactions n'ont pas manqué. "La France condamne le coup d'Etat militaire qui est en cours au Gabon", a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran. La diplomatie française "réaffirme son souhait que le résultat de l'élection, lorsqu'il sera connu, puisse être respecté", a-t-il ajouté. L'ambassade de France au Gabon recommande aux ressortissants français de "rester à domicile" et "d'observer la plus grande vigilance".

"La Chine suit de près l'évolution de la situation au Gabon et appelle les parties concernées à agir dans l'intérêt du peuple gabonais (...), au retour immédiat à l'ordre normal, et à garantir la sécurité personnelle d'Ali Bongo", a de son côté déclaré devant la presse un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin. 

"La situation au Gabon est un sujet de profonde préoccupation" et "nous surveillons de près ce qui s'y passe", a assuré mercredi à Moscou le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Une campagne électorale chaotique et sous haute tension

Les élections au Gabon se sont déroulées sans observateurs internationaux, africains comme européens, et aucun journaliste étranger n'avait reçu les accréditations demandées ou n'avait été autorisé à entrer dans le pays pour les couvrir, s'était émue l'ONG Reporters sans frontières, dimanche.

De nombreux bureaux de vote dans tout le pays avaient ouvert très tardivement ou étaient restés fermés, avait affirmé à l'AFP François Ndong Obiang, le président d'Alternance 2023, la principale plateforme de l'opposition, dont est issu Albert Ondo Ossa. De même, les bulletins au nom de ce dernier manquaient dans "beaucoup de bureaux" et ceux des candidats qui s'étaient officiellement désistés en sa faveur sont restés présents dans d'autres, avait accusé François Ndong Obiang, dénonçant une "organisation du scrutin préparée pour mettre le chaos".

Albert Ondo Ossa, ancien ministre d'Omar Bongo, avait aussi exhorté les Gabonais à "ignorer" les législatives pour se concentrer sur la présidentielle, car le Centre gabonais des élections avait instauré au dernier moment un bulletin unique pour les deux scrutins, liant impérativement le prétendant à la députation au candidat du même parti pour la présidence. Un procédé destiné à favoriser Ali Bongo, selon l'opposition. Celle-ci avait déjà critiqué une "modification des règles du jeu" il y a cinq mois pour tailler une réélection sur mesure au sortant, en faisant repasser le scrutin de deux à un tour, gagnable à la majorité relative pour Ali Bongo, face à 13 candidats. Ali Bongo, 64 ans, a été élu en 2009 après la mort de son père Omar Bongo, qui avait dirigé le Gabon pendant plus de quarante et un ans. L'opposition a régulièrement dénoncé la perpétuation d'une "dynastie Bongo".

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Enfin, la justice gabonaise a ouvert une enquête mardi soir pour des propos "qui laissent présager une atteinte à la sûreté de l'Etat", après la diffusion de l'enregistrement d'une conversation attribuée à un candidat à la présidentielle et à une autre figure de l'opposition, selon le procureur de Libreville. Dans les extraits audibles, les protagonistes évoquent des scénarios et des stratégies à adopter pour la présidentielle, en vue de "créer un rapport de force". Ils invoquent de prétendus soutiens dans des pays voisins, mais aussi des présidents ivoirien, Alassane Ouattara, et français, Emmanuel Macron. Alternance 2023 avait démenti "catégoriquement", lundi soir, "la véracité et l'authenticité de cette conversation". Elle avait fustigé une "manipulation honteuse" et des "pratiques inacceptables du régime".

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