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Gabon : une illustration de «la faillite démocratique» en Afrique

Jean Ping persiste et signe. Il demande que la vérité des urnes apparaisse après un scrutin qu’il affirme avoir remporté. L’opposant gabonais dénonce les procédés utilisés par un clan qui confisque le pouvoir depuis 50 ans. Comment le Gabon en est arrivé là ? Alioune Tine, directeur du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, répond à Géopolis.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
 
Des supporteurs de Jean Ping tentent de dégager un camarade blessé lors des affrontements avec les forces de sécurité le 31 Août 2016 à Libreville. (Photo AFP/Marco Longari)

«Ce scénario se répète depuis 50 ans, affirme Jean Ping, l’opposition gagne toujours les élections, mais n’accède jamais au pouvoir. Tout ce qu’ils peuvent raconter n’est que mensonge. Tout le monde sait que c’est moi qui ai gagné ces élections», affirme l’ancien chef de la diplomatie gabonaise sur l’antenne de France 24. Des violences post-électorales ont aussitôt éclaté à Libreville.
 
Comment en est-on arrivé là? Géopolis a posé la question à Alioune Tine, directeur du bureau d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre.
 
«Il y a énormément de choses qu’on peut dire au Gabon. Si vous avez des élections à un seul tour, si vous multipliez les obstacles pour arriver à des élections transparentes et à une alternance pacifique, forcément vous aboutissez à des situations de cette nature. En Afrique centrale, on n’a pas l’impression que les gens veulent quitter le pouvoir. Surtout quand il s’agit d’une famille qui y est restée très longtemps. Il faut une équité dans la gestion des ressources. Il ne faut pas que ce soit un groupe, un clan ou une famille qui gardent tout. Les autres vont demander d’une façon ou d’une autre leur part du gâteau.» Soit vous changez pacifiquement par des élections transparentes dont les résultats sont acceptés, et si vous ne le faites pas, vous ne pouvez espérer bénéficier d’une stabilité dans la durée.»

Alioune Tine, directeur du bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre basé à Dakar au Sénégal (Photo AFP/Cemil Oksuz/Anadolu Agency)

Au Gabon, comme dans plusieurs pays du continent, les élections se suivent et se ressemblent. Elles sont entachées de fraudes et se terminent par des bains de sang qui emportent de nombreuses vies innocentes. Faut-il y voir une fatalité en Afrique? La faillite des processus démocratiques lancés dans les années 90?
 
«Le constat, c’est la faillite. Il faut effectivement dire qu’aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, il y a un problème de leadership en Afrique. Ce sont des gens du passé qui reviennent. Des gens qui ne veulent pas partir. Les gens restent parce qu’il y a du pétrole qui est un facteur aggravant au même titre que toutes les ressources naturelles. Des gens sont prêts à tout pour conserver le pouvoir et d’autres sont prêts à tout pour accéder au pouvoir. Accéder au pouvoir, c’est accéder aux ressources. Il faut sortir de cette situation qui n’est pas du tout une fatalité», insiste Alioune Tine.
 
Au Gabon, le candidat déclaré perdant n’a pas cessé de dénoncer le système clanique qui règne sur le pays depuis 50 ans. De quoi s’interroger sur le déficit de culture citoyenne qui s’observe sur le continent. Certains soutiennent qu’aucun système démocratique ne peut être viable dans des Etats peuplés de tribus qui ne pensent qu’à se faire la guerre. Alioune Tine ne partage pas du tout cette approche.
 
«Nous avons en Afrique beaucoup de choses en commun. Dans le domaine de la culture, dans le domaine de la musique. Je pense que nous pouvons, nous les Africains, sortir de cette situation si nous discutons, si nous décidons aujourd’hui de régler les problèmes par le dialogue, en excluant l’utilisation des armes pour régler nos problèmes. Il faut exclure l’usage des kalachnikovs.»
 
A Libreville, les forces de sécurité n’ont pas hésité à prendre d’assaut le quartier général du candidat malheureux en pleine nuit et de le bombarder par hélicoptère. «Nous avons eu au sol des gens qui ont pénétré dans les locaux, qui ont tué, cassé, tout cassé, et qui ont lancé des bombes lacrymogènes à l’intérieur du bâtiment», a dénoncé Jean Ping.
 
De quoi s’interroger sur l’attitude des forces de sécurité dans les crises postélectorales qui déchirent l’Afrique.
 
«Il faut créer de véritables forces républicaines qui ne sont pas là pour défendre un régime. Nous avons demandé aux forces de sécurité gabonaises et aux autorités en place d’arrêter l’usage excessif de la force. Les gens doivent pouvoir exprimer leur mécontentement pacifiquement, sans avoir peur pour leur vie. Sans avoir peur pour leur intégrité physique. Si les forces de l’ordre font preuve d’abus dans l’usage de la force, il faut que la justice soit saisie et que des sanctions pénales soient prises. L’usage de la force doit être exclue au profit du dialogue pour permettre de dénouer la situation», soutient le directeur du bureau d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre.
 
Alioune Tine observe que la campagne électorale gabonaise a contribué à envenimer la situation. Une campagne très dure qui a concouru à créer une explosion de cette nature. Il faut maintenant évaluer ce processus électoral et en tirer les leçons pour la paix au Gabon et en Afrique centrale, conclut Alioune Tine.

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