Ethiopie : le programme de reforestation du pays se heurte à quelques déconvenues
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed est déterminé à atteindre l'objectif de planter 5 milliards d'arbres cette année, après les 4 milliards de 2019. Des chiffres impressionnants qui sèment le doute, d’autant que le programme de reforestation fait l'objet de nombreuses critiques.
En juin 2019, le Premier ministre Abiy Ahmed appelait les Ethiopiens à planter 350 millions d'arbres en un jour et 4 milliards durant les 4 mois de la saison des pluies. Une annonce reprise par les journaux du monde entier, souvent sceptiques. Un an plus tard, les résultats ne semblent pas tout à fait à la hauteur de la mobilisation des paysans éthiopiens. Pourtant, malgré le confinement lié au coronavirus, Abiy Ahmed a fixé un nouvel objectif, plus ambitieux encore pour 2020, avec cinq milliards d'arbres plantés.
Quantité ou qualité des plantations
Un jour de juillet 2019, 20 000 pousses d’acacias ont été plantées sur un coteau aride proche de la ville de Buee, dans le sud du pays. Mais selon Ewnatu Kornen, un responsable local interrogé par l’AFP, plus d'un tiers des pousses ont été balayées par les pluies et les survivantes peinent à s'épanouir dans cette terre peu fertile.
La déconvenue des agriculteurs de Buee illustre les écueils de la campagne de reforestation éthiopienne, un axe pourtant clé du programme "Héritage vert" d'Abiy Ahmed, prix Nobel de la Paix 2019. Il vise à développer l'écotourisme et à transformer le pays en une économie respectueuse de l'environnement alors que l'Ethiopie a perdu l’essentiel de sa forêt en cinquante ans.
Quelque 353 millions de jeunes arbres, soit 153 millions de plus que l'objectif initial, ont été mis en terre à travers le pays ce jour-là, selon les chiffres officiels. Plus largement, toujours selon des chiffres gouvernementaux, près de 4 milliards d'arbres auraient été plantés durant la saison de pluies entre juin et septembre 2019.
Des chiffres hautement exagérés selon les experts
A l'étranger, des doutes ont été émis quant à la crédibilité des impressionnants chiffres de l'année passée. Et sur place, certains experts contestent l'organisation et le suivi de cette campagne.
Le Premier ministre a pourtant fixé un nouvel objectif, plus ambitieux encore, de cinq milliards d'arbres pour la saison des pluies 2020, mais ce programme de reforestation fait l'objet de critiques.
Negash Teklu, qui dirige le Consortium éthiopien pour la population, la santé et l'environnement, un groupement d'ONG locales, assure soutenir la politique de reforestation du Premier ministre, mais il suspecte que le taux de survie des arbres annoncé par Abiy Ahmed en mai – 84% des 4 milliards plantés – soit "hautement exagéré". Aucune étude indépendante n'a été conduite.
L'essentiel, ce ne sont pas les chiffres (...), mais l'efficacité du programme de plantations
Negash Teklu, responsable d'une ONG éthiopienneà l'AFP
Le militant souligne également le manque de pédagogie auprès des citoyens. Ainsi, à Addis Abeba, certaines bonnes volontés ont planté de grands arbres au milieu de rues passantes, où ils n'avaient aucune chance de survivre, tandis que d'autres mettaient en terre des arbres d'ornement dans des forêts sauvages en périphérie de la capitale.
A l'avenir, estime Negash Teklu, les autorités devront mieux guider la répartition des pousses et mieux expliquer aux citoyens comment la reforestation peut améliorer leur vie. "Il ne devrait pas s'agir d'une campagne d'une semaine, une fois par an. Mais d'une approche qui implique chaque citoyen, où qu'il soit", toute l'année, ajoute-t-il.
La reforestation : une politique de long terme
Belaynesh Zewdie, experte forêt du Programme des Nations unies pour le développement installée à Buee, a été aux premières loges pour observer comment de tels projets peuvent mal tourner sans soutien des communautés.
A la fin des années 1980, sous le régime communiste du Gouvernement militaire provisoire de l'Ethiopie socialiste (Derg), elle a participé à la plantation d'un million d'acacias dans la région Amhara, dans le nord du pays. A la chute du Derg en 1991, des résidents en colère ont arraché les arbres de ce projet imposé par le pouvoir central pour y cultiver la terre, se souvient-elle.
Au cours des dernières années, Belaynesh Zewdie a travaillé sur un projet qui tente, cette fois, d'apporter des bénéfices concrets aux populations locales. En plus d'employer 17 femmes des environs, ce programme inclut par exemple la construction de bassins destinés au bétail des éleveurs. Résultat : des hectares et des hectares d'arbres florissants. "En peu de temps, vous pouvez changer beaucoup de choses, estime Belaynesh Zewdie. Je suis moi-même impressionnée chaque fois que je viens ici. C'est incroyable."
"L'année dernière, nous avons tous répondu à l'appel national et avons atteint notre objectif", a déclaré le Premier ministre éthiopien le 3 juin sur Twitter, invitant les Ethiopiens à renouveler l'exploit "en respectant les mesures de distanciation sociale".
On Friday June 5th, 2020 we are set to officially embark on our annual #GreenLegacy challenge. Last year, we each committed to the national call and met our set target. 1/2 pic.twitter.com/jy5Vwe6CYf
— Abiy Ahmed Ali (@AbiyAhmedAli) June 3, 2020
"Unir le peuple"
La campagne de reforestation a également des finalités politiques. Dans la perspective des prochaines élections générales, les autorités espèrent que l'initiative pourra aider à faire fi des clivages politiques et ethniques et à "unir notre peuple", souligne Sileshi Degefa, directeur du Jardin botanique Gullele d'Addis Abeba. Pour lui, des leçons ont aussi été tirées de l'année passée. "J'espère donc que nous planterons les bonnes espèces aux bons endroits, dit-il, ajoutant cependant qu'avec de tels grands programmes, on ne peut pas espérer la perfection."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.