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23 novembre 1934: l'Italie du Duce décide d'entrer en guerre contre l'Ethiopie

C'est à Welwel, un endroit perdu entre les possessions italiennes de la Corne de l'Afrique et l'Ethiopie, le long d'une frontière incertaine, que commença par un petit incident, le 23 novembre 1934, la guerre de l'Italie fasciste de Mussolini contre le seul pays indépendant d'Afrique, l'Ethiopie. Une terre au cœur des ambitions impériales du Duce.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Discours de Mussolini le 3 septembre 1936 à Avellino. (FRANCE PRESSE VOIR / AFP)

Welwel, 23 novembre 1934. C'est un petit incident frontalier, comme il en arrive souvent entre pays voisins, qui montre les ambitions de Mussolini en Afrique. Son objectif: donner un empire à l'Italie, qui se sent humiliée après sa participation sanglante et victorieuse à la guerre de 1914-1918, car ses ambitions territoriales n'ont en effet été guère satisfaites par ses alliés anglais et français qui se sont partagés les dépouilles des colonies allemandes.

Welwel est situé à la limite des possessions italiennes en Somalie. L'Italie y a installé un point fortifié. Les 22 et 23 novembre, des militaires éthiopiens, puis une commission frontalière anglo-ethiopienne, constatent la présence des forces pro-italiennes sur ce lieu disputé, sans pourtant provoquer de gros incidents. Mais c'est néanmoins le point de départ du conflit. 

Il faut dire que les deux pays se connaissent bien. Entre 1885 et 1896, l’Italie, qui a pris pied tardivement en Afrique, s’est déjà opposée aux Ethiopiens. En effet, à l’époque, quasiment toute l’Afrique est partagée entre les puissances occidentales, essentiellement l’Angleterre et la France. L’Allemagne et l’Italie, qui ne sont devenues de véritables nations qu’à la fin du XIXe, sont «en retard» en termes de possessions coloniales.

L’Italie contrôle l’Erythrée en 1890 et elle développe sa présence en Somalie à la même époque. Le pouvoit italien aimerait bien mettre la main sur l'Ethiopie, dernière terre non colonisée du continent. Mais les Ethiopiens infligent une défaite sanglante aux Italiens à la bataille d’Adoua en 1896… mettant fin à l’expansionnisme transalpin dans la région, et consolidant de fait l’indépendance (rare à l’époque) de l’Ethiopie.

L’arrivée de Mussolini au pouvoir
Lorsque Mussolini arrive au pouvoir en Italie, en 1922, ses ambitions de grandeur pour l’Italie ne s’arrêtent pas à ses frontières européennes. Tout à ses rêves expansionnistes, voulant faire revivre la grandeur impériale de la Rome antique et offrir des terres à sa population, il a les yeux tournés vers l’Afrique, où il aimerait bien agrandir les quelques possessions italiennes. Pour cela, il va prendre prétexte de l’incident du 23 novembre 1934.

A l’époque, Italie et Abyssinie (nom souvent donné à l’Ethiopie) étaient membres de la SDN (Société des Nations), ancêtre de l’ONU créé après la guerre de 14-18, qui interdit la guerre entre ses membres. Mais c’est sans compter sur l’activisme italien qui fortifie Welwel, un point situé en Ogaden, en territoire disputé entre l’Ethiopie et les possessions italiennes. Le lieu devient le prétexte de multiples incidents.

Le 5 décembre 1934, un accrochage militaire, faisant des dizaines de victimes, a lieu à cet endroit et en janvier 1935, la SDN est saisie de ce point de tension. L’organisation internationale ne sait pas attribuer de responsabilités à la crise.

Il faut dire que les démocraties européennes (notamment Laval en France) font à l’époque les yeux doux à l’Italie fasciste pour éviter un axe Rome-Berlin. Toutes les discussions pour abaisser le niveau de tension échouent face à une Italie qui veut la guerre et ne rencontre pas d’opposition majeure en Europe.

Aviation italienne destinée au conflit avec l'Ethiopie (septembre 1935) (Sputnik / AFP)

La guerre
«Oh Ethiopie! Nous patientons depuis 40 ans, maintenant ça suffit!», lance Mussolini au peuple italien le 2 octobre 1935 en annonçant l’invasion de l’Ethiopie qu’il qualifie de pays «universellement reconnu comme barbare et indigne de figurer parmi les peuples civilisés». Dans son discours, il revient sur le partage colonial de l'après-guerre de 14, arbitré par Paris et Londres: «Après la victoire commune… il ne restera pour nous que les miettes du festin colonial des autres.»

Le 3 octobre 1935, peu après que la SDN a exonéré les deux parties de toute responsabilité dans l'incident de Welwel, les forces armées italiennes basées en Erythrée envahissent l’Ethiopie sans déclaration de guerre. Ainsi commence la seconde guerre italo-éthiopienne qui sera particulièrement sanglante pour les Ethiopiens, beaucoup moins organisés et armés que les Italiens qui disposent de blindés, d'artillerie, d'aviation et qui n'hésitent pas à utiliser des gaz de combat (ce qui ne va pas sans rappeler ce qui s'était passé dans le Rif marocain).

Hailé Sélassié, l'empereur de l'Ethiopie, est contraint à l’exil le 2 mai 1936. Toutes les sanctions imposées par la SDN sont abandonnées après la conquête par l’Italie de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, le 5 mai 1936. L'Ethiopie est ensuite fusionnée avec les autres colonies italiennes pour devenir l'Afrique orientale italienne (Africa Orientale Italiana ou AOI). 

«Le 9 mai, le roi d’Italie, Victor-Emmanuel III, signe un décret annexant l’Ethiopie et prend le titre de "roi d’Italie et empereur d’Ethiopie"», rappelle Jeune Afrique

Photo prise en 1936 à Londres de l'empereur éthiopien Haile Selassie (1892-1975), dernier empereur d'Ethiopie (1930-1936 et 1941-1974) (AFP)


Le retour d'Hailé Sélassié
A la fin de la guerre contre l’Ethiopie, le Duce reprend la parole. Nous sommes le 9 mai 1936. «Italiens et Italiennes, dans la Patrie et dans le monde! Écoutez! L’ltalie possède enfin son empire. Empire fasciste, parce qu’il porte les signes indestructibles de la volonté et de la puissance du licteur romain, car il est le but vers lequel, durant quatorze ans, ont été tendues les énergies impétueuses mais disciplinées des jeunes et vaillantes générations italiennes.» Indiquant que désormais le roi de l’Italie porterait le titre d’empereur d’Ethiopie, il lance: «Levez bien haut, légionnaires, vos drapeaux, vos armes et vos cœurs pour saluer, après quinze siècles, la résurrection de l’Empire sur les collines fatidiques de Rome.»

Si Rome ne s’est pas faite en un jour, il faudra moins de cinq ans pour voir l’empire de Mussolini s’effondrer. La colonisation italienne prend fin en 1941, les alliés étant intervenus militairement après le déclenchement de la guerre mondiale. Le 5 mai 1941, cinq ans après la prise de la capitale par les Italiens, l'empereur Haïlé Sélassié rentre dans Addis-Abeba. L'Italie fasciste sera défaite peu après.

Le bilan de cette guerre est difficile à établir, mais le nombre des victimes éthiopiennes dépasse largement les 100.000 morts.

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