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Le "Kévazingogate", une vaste affaire de trafic de bois précieux au Gabon

L'affaire a fait ses premières victimes politiques avec le limogeage, le 21 mai 2019, du vice-président, issu de l'opposition, et du ministre des Forêts, un fidèle du régime.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Troncs d'arbres entreposés près d'une usine de contreplaqué au Gabon (WITT/SIPA)

Les premières têtes sont tombées. Le président Ali Bongo Ondimba a mis fin, dans un décret, aux fonctions de son vice-président, Pierre Claver Maganga Moussavou, ainsi qu'à celles du ministre des Forêts et de l'Environnement, Guy Bertrand Mapangou. La présidence n'a donné aucun détail sur les raisons de ces limogeages. Mais les deux hommes avaient été mis en cause dans le trafic de bois précieux.

Les appels à la démission de Pierre Claver Maganga Moussavou, en particulier, s'étaient multipliés après la suspension de son directeur de cabinet.

Retour sur l'affaire

Depuis une semaine, la presse gabonaise fait ses choux gras de l'affaire, évoquant un "Kévazingogate"

Fin février et début mars 2019, près de 5000 mètres cube de kévazingo, une essence rare, d'une valeur d'environ 7 millions d'euros, avaient été découverts dans deux sites d'entreposage appartenant à des sociétés chinoises, sur le port d'Owendo, à Libreville. Au Gabon, le kévazingo est un bois sacré. "Les gens viennent pour prendre des écorces. Certaines ont des vertus thérapeutiques. Ensuite, ils remercient l'arbre avec ces cérémonies", racontait  en 2015 un forestier, cité par l’AFP.

Une partie du kévazingo découvert sur le port était chargée dans des conteneurs aux documents falsifiés : y figurait le tampon du ministère des Eaux et Forêts indiquant une cargaison d'okoumé, une autre essence de bois, dont l'exploitation est autorisée. Un bois "abondant et bon marché. Alors que le 'keva' est rare. Et met des années à arriver à maturité. Certains arbres ont ainsi plus de 500 ans. Dur et dense, apprécié pour ses veines apparentes, il est utilisé pour fabriquer des meubles haut de gamme", expliquait franceinfo Afrique en octobre 2018. Très apprécié en Asie et souvent traité en Afrique par des entreprises asiatiques, il sert aussi à fabriquer des parquets, des escaliers ou des portails de temples. 

Un influent homme d'affaires chinois

Après la découverte de ces documents falsifiés, le responsable du ministère des Eaux et Forêts au port et son équipe avaient été arrêtés, soupçonnés d'implication dans ce trafic. Mais le 30 avril, 353 de ces conteneurs, placés sous l'autorité de la justice, s'étaient mystérieusement volatilisés. 200 containers ont par la suite été retrouvés dans les entrepôts de deux entreprises différentes, toujours dans l'établissement portuaire.

Bûcheron coupant un tronc d'okoumé dans la forêt des Abeilles (centre du Gabon) (FRAN?OIS LASSERRE / BIOSPHOTO)

François Wu, un influent homme d'affaires chinois, conseiller juridique pour des entreprises de l'Empire du Milieu désireuses d'investir dans le secteur forestier au Gabon, avait été désigné le 13 mai comme "la pièce maîtresse du réseau de trafiquants" par le procureur de Libreville. Celui-ci avait alors précisé qu'il était "activement recherché".

"M. Wu n'a rien à se reprocher. Il n'était pas sur le territoire gabonais quand l'affaire a éclaté, il n'a jamais été convoqué par la justice. Mais il fallait absolument trouver un coupable dans ce dossier, alors il est présenté comme le cerveau d'un réseau", s'est emporté lors d'une conférence de presse à Libreville son avocat, Me Tony Serge Minko Mi Ddong. "Comment pourrait-il regagner le Gabon, quand avant même d'avoir été jugé, il est déjà condamné, victime d'une instruction qui se fait à ciel ouvert et jeté à la vindicte populaire", a-t-il demandé.

Dénonçant une atteinte à la présomption d'innocence, le défenseur a évoqué une "procédure mort-née". "Je n'ai pas vu d'acte qui confirme que 353 containers ont été saisis. Il faut que l'infraction ait été constatée pour qu'elle existe. S'il n'y a pas de procès-verbal, il n'y a pas d'infraction", a-t-il ajouté.

Pour autant, "François Wu est connu depuis des années comme un exploitant illégal", a affirmé à l'AFP un membre d'une ONG spécialisée sur le sujet, qui a requis l'anonymat.

"Exemplaire"

Avant la mise en œuvre de sanctions politiques, plusieurs hauts cadres avaient déjà été suspendus de leurs fonctions, dont les directeurs de cabinet des ministères des Eaux et Forêts, et de l'Economie.

"Le Premier ministre avait déclaré que son gouvernement serait exemplaire et que les membres de son gouvernement qui s'éloigneraient de cette attitude seraient sanctionnés. Les (ministres) qui seraient impliqués dans cette affaire sont invités à en tirer les conséquences qui s'imposent", avait assuré la porte-parole du gouvernement, Nanette Longa-Makinda.

Flottage de bois dans le port de Libreville (Gabon) (AFP - MICHEL GUNTHER / BIOSPHOTO)

La justice gabonaise a par ailleurs annoncé l'arrestation de deux ressortissants chinois, accusés d'avoir participé au trafic, avec la complicité de fonctionnaires gabonais.

Le bois, pilier de l'économie gabonaise

Représentant 5% du PIB et 7% de ses exportations, le secteur forestier est l'un des piliers historiques de l'économie du Gabon. Un pays recouvert à près de 80% par la forêt.

Fin mars, un rapport de l'ONG britannique Environmental Investigation Agency (EIA) avait dénoncé les pratiques illégales d'un groupe chinois à l'origine d'un vaste trafic d'exploitation de bois au Gabon et au Congo. Le document accusait notamment plusieurs personnalités politiques et agents de l'administration d'y être impliqués.

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