Projet d'attentat en Egypte : "La France est devenue l'une des cibles prioritaires"
Une cellule proche d'Al-Qaïda, démantelée ce week-end en Egypte, semblait viser l'ambassade de France au Caire. La France paie-t-elle son intervention au Mali ? Analyse de Dominique Thomas, chercheur à l'EHESS.
Ils voulaient frapper fort, et ciblaient les ambassades française et américaine au Caire. Une cellule proche d'Al-Qaïda a été démantelée en Egypte ce week-end, alors qu'elle projetait de commettre des attentats à la voiture piégée, selon l'enquête des services de sécurité révélée par l'agence de presse officielle Mena, mercredi 15 mai. Un mois après l'attaque contre l'ambassade de France à Tripoli (Libye), francetv info fait le point sur ces menaces qui pèsent de l'autre côté de la Méditerranée avec Dominique Thomas, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du jihad international.
Francetv info : Selon des proches de l'enquête, la cellule terroriste présumée a des liens avec la mouvance Al-Qaïda. Celle-ci dispose-t-elle d'un vrai réseau en Egypte ?
Dominique Thomas : Il n'est pas surprenant de trouver des connexions entre des radicaux égyptiens et Al-Qaïda, car les choses ont changé dans le pays, depuis la révolution. Comme dans beaucoup de pays en transition, il existe un champ islamiste important et extrêmement varié où figurent tous les courants de l'islam politique, y compris les plus radicaux, au nom de la liberté d'expression et de prédication. Tenter de museler tel ou tel groupe provoquerait des réactions importantes de la population, car cela rappellerait les méthodes de l'ancien régime d'Hosni Moubarak.
Mais il faut se montrer prudent sur les affirmations du gouvernement égyptien, car on dispose de peu d'éléments. Ce climat sécuritaire est un enjeu pour l'armée et les forces de sécurité, qui peuvent ainsi légitimer leur influence. C'est aussi un enjeu pour les Frères musulmans, le parti au pouvoir, pour démonter qu'ils sont une force modérée.
Qui sont ces radicaux égyptiens, tentés par les violences contre les intérêts occidentaux ?
Il y a un courant qui soutient les fronts extérieurs jihadistes, au Yémen, en Syrie et au Mali, dans une confrontation pour soutenir les "frères armés". Ce front-là est composé de plusieurs centaines d'éléments, libérés pendant la révolution égyptienne. Le leadership est confié à plusieurs prédicateurs emblématiques, qui ont passé parfois des dizaines d'années en prison.
Parmi eux, citons Mohamed Al-Zawahiri, le frère du numéro un d'Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, à la tête d'un petit groupe de prédication, Ansar Al-Charia. Il se présente comme un gardien de la révolution égyptienne et entend nettoyer les services de sécurité des anciens partisans d'Hosni Moubarak, introduire totalement la charia, couper les ponts avec les pays occidentaux et réviser la politique à l'égard d'Israël, en revenant notamment sur les accords de Camp David.
Un certain nombre de jeunes militants se rassemblent autour de ces prédicateurs emblématiques. Plusieurs centaines d'Egyptiens sont ainsi partis en Syrie, d'autres sur le front yémenite, et récemment on a rapporté la mort de quatre ou cinq Egyptiens au Mali.
L'intervention militaire française au Mali est justement citée dans l'enquête, selon des sources proches du dossier. Un sentiment anti-français est-il en train d'émerger dans le pays ?
La France, par sa politique, est perçue comme un pays à l'identité ultra-laïque, ce qui est négatif pour des gens qui considèrent que l'islam doit légiférer toute la vie sociale, économique et politique. Avec sa présence en Afghanistan et son intervention militaire au Mali, la France est considérée comme un pays agresseur, une puissance étrangère non-musulmane qui a utilisé la violence pour tuer des musulmans, même si c'est à la demande du gouvernement malien.
Les menaces contre la France vont-elles s'intensifier ?
L'attaque de l'ambassade française à Tripoli a montré que la France n'était pas à l'abri de violences, encore moins après l'opération Serval. Il est possible qu'un groupuscule radical, pas nécessairement connecté à des mouvances salafistes, mais avec son propre agenda, ait intérêt à frapper la France, que ce soit en Tunisie, en Libye ou en Egypte.
Ces trois pays traversent une période de transition, marquée par une déstabilisation des forces de sécurité, une nouvelle mentalité de démocratie et de liberté d'expression. Tout n'est pas aussi contrôlable qu'avant et ces régions constituent un terreau favorable à des opérations contre la France, devenue l'une des cibles prioritaires pour les groupes qui ont inscrit le jihad dans leur agenda. A l'inverse, la menace est bien moins importante à Riyad (Arabie saoudite) et dans les pays du Golfe.
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