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Egypte : la journaliste, les policiers et les homosexuels dans un hammam gay

Tous les ingrédients étaient réunis dimanche 7 décembre pour défrayer la chronique : la police fait une rafle d’homosexuels dans un hammam au Caire, en présence et grâce à une journaliste qui a tout filmé. La polémique enfle en Egypte et sur les réseaux sociaux.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La journaliste Mona Iraqi en train de photographier les homosexuels arrêtés par la police. (DR)

Elle écrit le 11 au matin sur sa page Facebook qu’elle a la conscience tranquille «humainement et professionnellement». Mona Iraqi est au centre d’une grande polémique. L’animatrice de l’émission Ce qui est caché (El Mostakhbi), diffusée sur la chaîne al-Kahera Wal Nas (Le Caire et les gens), se présente comme une journaliste d’investigation qui n’hésite pas à noyauter les milieux mafieux du trafic d’armes, d’œuvres d’art et… de prostitution. Sa dernière «enquête» a mené à l’arrestation de 33 homosexuels dans un hammam du Caire.
 
Pour lancer son sujet sur «la débauche», comprendre homosexualité en égyptien, la journaliste-animatrice commence par parler du sida et de la nécessaire prévention. Très vite, elle aligne des allégations sans aucune vérification. Elle lie homosexualité masculine et propagation du virus, notamment «cette perversion qu’est l’amour en groupe». Et pour illustrer ses propos, elle envoie un «acteur», Farid, dans un hammam «où les hommes font l’amour entre eux en groupe». «Vous comprenez aisément, je suis une femme, je ne peux pas me rendre moi-même dans ce lieu, on ne me laissera pas rentrer», justifie Mona Iraqi.
 


Sexe, vidéo et reporters
En caméra cachée, Farid entre dans le hammam et décrit – à défaut de filmer – des «scènes inimaginables, au-delà de toute compréhension humaine». Sur le plateau, il témoigne avoir assisté à une orgie sexuelle : «J’ai vu des relations sexuelles entre hommes, en groupe et à deux, dans toutes les positions.» A la journaliste et à «l’acteur» de faussement s’indigner. «Mais décris absolument tout ce que tu as vu», le presse-t-elle pour émoustiller l’audimat.
 
Résultat : quelques jours plus tard, la police débarque dans le hammam, arrête les homosexuels et le patron du lieu (lien en arabe). Heureux hasard : la journaliste est présente et filme les corps à moitié nus des personnes arrêtées. Les associations humanitaires l’accusent d’être l’instigatrice de cette rafle. Dans un premier temps, elle se félicite de la fermeture de «ces nids à perversion et de sida». Tollé général sur la Toile : les insultes pleuvent sur son compte Facebook. Elle rétropédale ce jeudi 11 décembre 2014 (lien en arabe). Elle affirme être victime d’une campagne d’une violence inouïe et n’avoir jamais informé la police de l’adresse du hammam.


En Egypte, la loi n’interdit pas formellement l’homosexualité, «la débauche», si. «Le propriétaire du hammam est accusé d'avoir transformé son établissement en un lieu de conduite immorale et indécente et d'homosexualité de groupe», a déclaré Mohamed Hetta, chef du bureau du procureur d'Azbakeyah, à l'AFP. S’ils sont reconnus coupables, ces hommes risquent de longues peines de prison. Trois Egyptiens ont ainsi écopé en avril 2014 de huit années de prison pour avoir, selon les autorités, organisé «une fête déviante» et pratiqué «la débauche». En novembre, un tribunal du Caire a condamné à trois ans de prison huit jeunes hommes accusés d’être apparus dans la vidéo d’un «mariage gay».

Selon un sondage réalisé en 2013 par le centre de recherches américain Pew, seuls 3% des Egyptiens estimaient que «la société devait accepter l’homosexualité».

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