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Sénégal: KFC et l’ouverture des frontières créent du rififi dans le poulet
Les éleveurs de poulets sénégalais s’inquiètent de voir débarquer dans leur pays la chaîne de fast food KFC, géant américain du poulet frit. Ils craignent aussi une éventuelle levée de l'interdiction des importations des volatiles. Une mesure qui a protégé un secteur qui génèrerait quelque 50.000 emplois.
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«Chaque jour, je vends au moins 100 poulets. Cela rapporte bien pour le moment!», lance Pape Demba, un commerçant de la Médina, l'un des quartiers les plus populaires de Dakar, la capitale du Sénégal. Un poulet plumé coûte de 2500 à 3000 FCFA (de 3,75 à 4,5 euros). Et ce alors que le salaire mensuel net d'une serveuse de restaurant atteint difficilement les 80.000 FCFA (120 euros). Et qu’un professeur de lycée, doté d'un diplôme universitaire, commence sa carrière à environ 300.000 FCFA (450 euros).
Mais l'arrivée de Kentucky Fried Chicken KFC (appelé PFK pour Poulet Frit Kentucky au Québec !) et l’éventuelle levée des importations risquent de chambouler le marché. Déjà présente dans 16 pays d’Afrique, l’entreprise américaine a décidé de mettre le paquet sur la partie francophone du continent. Elle a ouvert son premier fast food à Tunis en janvier 2018 et devrait en ouvrir cinq autres cette année. Elle a aussi signé un contrat avec la société pétrolière néerlandaise Vivo Energy, titulaire de la licence Shell pour l’Afrique, «pour l’ouverture de cinq établissements adossés à des stations-services Shell en Afrique», rapporte Jeune Afrique.
«Mets de fête»
Au Sénégal, KFC devrait inaugurer en 2018 un premier établissement de restauration rapide, et une dizaine d’autres par la suite, a expliqué à l'AFP Andrew Havinga, le directeur pour les nouveaux marchés africains de la célèbre enseigne au logo rouge et blanc (avec une tête de grand-père rassurant, représentant son fondateur Harland David Sanders). Le responsable voit dans le Sénégal «un marché en expansion».
Autre bouleversement prévisible, qui inquiète bien plus la filière avicole locale: les jours de l'interdiction des importations, instaurée en 2005 en raison de la grippe aviaire, sont comptés, a prévenu la ministre de l'Elevage, Aminata Mbengue Ndiaye. A l’écouter, les frontières ne pourront «pas être fermées éternellement aux vendeurs de poulets étrangers». «Le gouvernement va rouvrir les frontières le moment venu», a-t-elle prévenu en mars. Sans toutefois donner de calendrier.
Le poulet est aujourd'hui un produit courant au Sénégal, représentant même 39% de la viande consommée dans le pays. Mais il a longtemps été considéré comme un «mets de fête», rappelle le président de l'Association des consommateurs du Sénégal, Momar Ndao. C'est notamment l'un des plats typiques de la fête marquant la fin du jeûne du ramadan au Sénégal, la korité, pour laquelle quelque 11 millions de volatiles étaient prévus en 2018.
L’embargo, une aubaine
Dans les années 1990, l’arrivée de cuisses et ailes surgelées produites en Belgique, aux Pays-Bas ou encore au Brésil, a modifié les habitudes alimentaires sénégalaises et a rendu le poulet fréquent dans les assiettes. La bébête est cuisinée selon diverses recettes. Dont celle du poulet yassa, célèbre dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Pour les éleveurs locaux, l’embargo de 2005 a été une aubaine. Depuis 2004, la production locale a bondi de 7 à 50 millions de têtes par an, explique ainsi le président de la Fédération des acteurs de la filière avicole (FAFA), Serge Sadio.
«Tous au chômage»
Khadim Ndiaye, un jeune éleveur de Bambilor, dans la banlieue de Dakar, craint de ne pouvoir résister à une ouverture du marché. «J'ai commencé avec 400 poules en 2007 et aujourd'hui, j'en ai près de 1500. Si on ouvre les frontières, je vais devoir baisser les prix mais ce ne sera plus rentable», estime-t-il en nourrissant ses poussins.
Le vendeur de la Médina, Pape Demba, redoute lui aussi l'arrivée de produits bon marché: «Si le poulet importé revient chez nous, nous serons tous au chômage», pense-t-il. La filière avicole génère 50.000 emplois au Sénégal, directs ou indirects. De son côté, l'Association des consommateurs plaide elle aussi pour un maintien de l'embargo. Objectif: protéger la production locale.
«Meilleure qualité» ou «malbouffe»?
Pour autant, KFC aura l'obligation de se fournir en produits sénégalais. Une obligation que la chaîne de fast-food dit ne pas voir comme une contrainte. La mesure ne devrait pas être remise en question par une réouverture des frontières, assure son directeur pour les nouveaux marchés africains.
«Nous avons identifié des fournisseurs locaux, nous sommes certains de ne servir que du poulet 100% local dans nos restaurants au Sénégal», affirme Andrew Havinga. Il estime qu'en cas de concurrence accrue, «c'est le consommateur qui sera gagnant en fin de compte, avec un produit de meilleure qualité à un prix abordable». Pour autant, «pour porter le développement de son enseigne», KFC a choisi Sedima, «leader sénégalais et ouest-africain de l’aviculture», révèle Jeune Afrique. Les deux partenaires ont conclu un accord d’exploitation de franchise. De là à penser que ce choix risque de renforcer la concentration dans le secteur…
Pour Babacar, consommateur qui fait ses courses sur un marché de Dakar, la situation est simple: «Moi, je fais attention à la qualité, pas au prix. Je ne veux pas manger de produits chimiques», explique-t-il. Une pierre dans le jardin de KFC, souvent assimilé à la «malbouffe» et à la «junkfood» américaine...
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